Musée d'histoire de la Ville de Luxembourg

Tuer…

d'Lëtzebuerger Land du 28.01.2010

Est-il possible de faire une exposition grand public sur la criminalité ? C’est en tout cas ce que tente le Musée d’histoire de la Ville de Luxem­bourg, comme toujours de manière didactique, même si cette fois, le public le plus jeune sera à la peine. Car si via leurs portables, les ados sont habitués à voir des images à faire peur (ils en jouent d’ailleurs hélas aussi), seront-ils sensibles à l’objet par excellence qui symbolise la mort violente, la guillotine, dont l’exemplaire luxembourgeois est mis en vitrine rue du Saint-Esprit ?

L’objet qui fut utilisé pour la dernière fois au grand-duché pour l’exécution d’un assassin au début du XIXe siècle – rappelons d’ailleurs que chez nous, le dernier condamné a été exécuté en 1948 et la peine de mort abolie en 1979 – fascine et c’est là toute l’ambiguïté de l’exposition qui consacre d’ailleurs une bonne part du parcours au voyeurisme pour les faits-divers morbides. Les tabloïds d’aujourd’hui en font leurs choux gras, mais ce n’est pas un phénomène nouveau, comme en témoignent des journaux du début du XXe siècle, à grands renforts de gravures où les dessinateurs de l’époque reconstituaient la scène du crime ! Autre temps – ou si peu : aujourd’hui, ce sont même des tee-shirts imprimés à l’effigie de criminels qui permettent de se glisser en quelque sorte dans la peau du hors-la-loi.

Le revers intéressant de l’exposition, ce sont les salles consacrées à l’évolution de la recherche des indices criminels (également au grand-duché, la Police grand-ducale étant partenaire de l’exposition) et personne ne niera que les avancées en termes scientifiques et de criminologie ont permis – et permettent toujours – aux instances policières de faire de plus en plus efficacement leur travail. Dans ce domaine, hier com-me aujourd’hui, le mobile du crime passionnel reste un facteur difficilement compréhensible et on pourra (presque) sourire sur la maladroite recherche d’indices : la pho­tographie a, à ses débuts, joué un rôle important dans cette « déduction scientifique » des supposées prédispositions criminelles…

Mais c’est aussi là que tout se gâte, puisque cette exposition, qui se veut une interrogation sur ce qu’est au final la valeur d’une vie, mélange les facteurs politiques, sociaux, philosophiques et éthiques. À trop vouloir donner des informations les plus larges possibles, elle aboutit à opposer de manière simplificatrice le bien et le mal, le blanc et le noir. Bref, le crime et l’innocence seraient en quelque sorte les deux plateaux de la balance… morale. À cet étalon suprême – toute atteinte à la vie est un crime – c’est non seulement l’histoire qui est malmenée : l’exécution sommaire de Benito Mussolini se retrouve dans la section « assassinat politique » avec les attentats du 11 septembre et la bande à Baader ; la banalisation du mal met sur le même plan des génocides à connotation ethnique de l’histoire récente avec le crime organisé à l’échelon industriel de la Shoah, etc.

Peut-on par ailleurs réduire des questionnements éthiques de la société actuelle, telle la camisole chimique pour les récidivistes à la représentation dans une vitrine par des boîtes de tranquillisants au chapitre « prévention » ? C’est terriblement réducteur. Mais le pire attend le visiteur à la toute fin de ce pénible parcours (et dans la même section). Des fauteuils nous invitent à prendre place et à nous interroger sur notre libre-arbitre par rapport au suicide, l’euthanasie et l’avortement. Cette invitation à la prise de conscience, par rapport sans doute au confort irresponsable des temps actuels, est tout bonnement scandaleuse ou incroyablement naïve.

L’exposition Crimes de sang/Mord und Totschlag dure encore jusqu’au 28 mars au Musée d’histoire de la Ville de Luxembourg, 14 rue du Saint-Esprit à Luxembourg-ville. Ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 heures, nocturne le jeudi jusqu’à 20 heures ; Inte
Marianne Brausch
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