Raymond Hains

L’abstraction personnifiée

d'Lëtzebuerger Land du 11.02.2010

Au rez-de-chaussée de la galerie Nosbaum [&] Reding est présenté Raymond Hains, exposition consacrée à cette figure majeure (Saint-Brieuc 1926-Paris 2005) de la deuxième moitié du XXe siècle sur la scène artistique française, plasticien polyvalent adepte de la Pansémiotique, la théorie générale des signes. L’artiste est surtout connu pour ses jeux de mots et calembours métaphysiques ainsi que pour la période des Affichistes ayant réalisé ensemble avec son ami Jacques Villeglé, un cycle d’œuvres importantes s’inscrivant dans l’avant-garde internationale et dans le groupe des Nouveaux Réalistes, auquel il appartenait à sa fondation en 1960 pour s’en détacher par après.

Remarquons qu’il est rare, atypique et nouveau que la galerie expose des artistes disparus de cette ampleur et renommée internationale, dans une exposition proposant une sélection d’affiches lacérées réalisées entre 1968 et 1975 et de sculptures en bronze caractéristiques de l’œuvre de l’artiste. Deux allumettes surdimensionnées sont fièrement dressées à l’instar de totems brûlés dans la salle d’exposition principale. L’une, ronde, issue d’un paquet en vrac, l’autre plate arrachée d’un paquet publicitaire. Ces œuvres emblématiques de Raymond Hains montrent l’intérêt qu’il portait pour la poésie des objets du quotidien avec un changement d’échelle et avec humour. En 1964, il inaugurait le cycle des artistes Seita et Saffa (artistes fictifs) qui sont les régies française et italienne de tabac produisant des pochettes d’allumettes géantes montrées à Paris par la galerie Iris Clert en 1955.

Les morceaux d’affiches collectés dans la rue, découpés et assemblés (assemblages réalisés depuis 1949) démontrent les jeux de langage et un mode d’appropriation du réel, allant jusqu’à emporter des palissades entières. Raymond Hains est « un capteur d’images » peut-on lire dans la grande rétrospective de l’artiste réalisée au Centre Pompidou à Paris en 2001 (Raymond Hains, La Tentative). S’appro­priant des images courantes et fasciné par le graphisme de ces affiches de rues qu’il juxtapose ou superpose et dont il sélectionne méticuleusement des morceaux et des mots pour provoquer un détournement de sens et une déformation du discours (à ses débuts surtout avec des affiches aux messages politiques) ou pour leur beauté typographique et contrastes de couleurs. Les bribes de texte Un vrai chic parisien ou Catch sont lisi-bles dans l’exposition et les formes géométriques rappellent les maî-tres de l’histoire de l’art moderne, la peinture abstraite géométrique, le suprématisme de Malevitch, les lignes de Barnett Newman aux bandes de Daniel Buren dont il fait abondamment référence.

Difficile à placer dans une catégorie et influencé par de nombreux mouvements artistiques, l’artiste a également pratiqué la photographie proche du surréalisme dès les années 1940, la poésie et la sculpture. Il va jusqu’à s’autoréférencer à se citer lui-même avec autodérision : « Je suis le ministre de ma propre culture » ou encore « Je suis moi-même une abstraction personnifiée ». Adepte du ready-made et des palissades (référence à La Palisse), il invente un bonbon, des pièces en chocolat, les raymondines, qu’il distribue au Prin­temps de Cahors en 2005 et joue sur le langage (bêtise, pâtisserie, palissade), un bonbon géant est d’ailleurs exposé où l’inscription noire Rhum en gothique sur son emballage orange peut être lu et dévoré des yeux. Les images créées par Raymond Hains, qu’elles soient formelles, visuelles ou liées aux mots, mélangent de nombreuses références culturelles, objets banals et noms propres, instaurant des rapports cachés, des jeux de coïncidences générant une mythologie personnelle réunissant des lieux et des personnages, des artistes, des marchands, des critiques et des conservateurs.

L’œuvre très vaste de Raymond Hains suit dans les années 1970 et 1980 les mouvances du Pop art et d’Andy Warhol, au moment où il est associé au Nou­veau Réalisme. Les allumettes sont d’ailleurs un pied de nez à l’art conceptuel de l’époque et influencées par les arbres de bronze de Giu­seppe Penone. L’exposition présente également des tableaux sur lesquels des allumettes de bronze sont fixées, alliant médium pictural de la toile, pourtant vierge, privilégiant le support, allusion à Supports/Surfaces, et la sculpture.

Raymond Hains, jusqu’au 27 février 2010. Nosbaum & Reding Art Contemporain, 4 rue Wiltheim, Luxembourg. Ouvert du mardi au samedi de 12.00 à 18.00 heures. Infos : tél. 26 19 05 55, www.nosbaumreding.lu
Didier Damiani
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