Twitter

L’incontournable fil d’actualité

d'Lëtzebuerger Land du 28.03.2014

La pathétique tentative du premier ministre turc de faire taire ceux qui le critiquent en bloquant Twitter en Turquie aura illustré, une fois de plus, la place prise par le site de microblogging dans la couverture, l’analyse à chaud et même la production de l’actualité.

Acculé par des révélations de corruption, inquiet à quelques jours d’un scrutin municipal qui risque de le désavouer, Recep Tayyip Erdogan a cru pouvoir gagner des points auprès de son électorat conservateur et nationaliste avec cette mesure autoritaire. « Nous allons extirper Twitter. Peu m’importe ce que dit la communauté internationale. Tout le monde va être témoin de la puissance de la Turquie », a-t-il déclaré lors d’un meeting à Bursa.

Mal lui en a pris. Le maire d’Ankara s’est fendu d’un smiley depuis son compte trois heures après l’entrée en vigueur du blocage, tandis que le président Abdullah Gul, qui possède un compte Twitter mais ne s’en était pas servi depuis un mois, a tweeté cinq heures après pour dénoncer la mesure. Plus généralement, les adeptes turcs de Twitter ont montré leur familiarité avec la technologie en tweetant de plus belle dans les jours qui ont suivi, multipliant les attaques contre le premier ministre, raillant ses casseroles et sa vaine tentative de réduire ses détracteurs au silence.

Bien plus que le web ou la blogosphère, bien mieux que Facebook et les autres réseaux sociaux, Twitter est bel et bien devenu aujourd’hui le meilleur pouls que l’on ait à sa disposition sur le Net pour happer au vol les tendances du moment, suivre des événements en temps réel et partager à leur sujet informations, opinions et commentaires. Le mécanisme hautement dynamique des hashtags fait en sorte que les cercles constitués par ceux qu’on suit et qui vous suivent, loin de se constituer en silos, sont facilement transcendés.

L’adoption de Twitter par les journalistes, ou du moins par un nombre non négligeable d’entre eux, s’explique par la portée décuplée que la plateforme leur procure. Un reporter qui tweete sur son smartphone depuis un théâtre d’opérations devient à lui seul, dès lors qu’il dispose d’un minimum de connectivité, une agence de presse, capable qu’il est de diffuser à la volée nouvelles, photos, sons et vidéos à une audience allant bien au-delà des habitués de son média. L’envoyée spéciale du Monde en Crimée, Marion Van Renterghem, tweete sans relâche sur l’invasion des casernes ukrainiennes par les forces russes, mais trouve également le temps d’attirer l’attention, par des retweets, sur des articles d’analyse sur Poutine qui lui semblent pertinents et des articles de ses collègues sur le résultat des élections municipales en France. Elle lie la sauce amère en lançant, toujours depuis la Crimée : « Spectaculaire percée du FN en France. Poutine triomphe et mobilise l’armée au frontières ukr. Le monde va droit dans le mur en klaxonnant ».

Face à l’importance que prend Twitter dans la production de l’histoire immédiate, on peut se trouver rassuré par la mésaventure d’Erdogan, qui démontre la résilience de la plateforme et la capacité des utilisateurs de se jouer des tentatives de l’étouffer. Mais si Twitter doit pouvoir conserver cette précieuse fonction, il doit aussi se garder de la désaffection de ses utilisateurs sur laquelle pourraient facilement déboucher ses propres efforts de « monétisation », dont on craint qu’ils deviennent excessifs après sa récente introduction en bourse. Face aux efforts des dictateurs de tout poil pour contrôler l’information, Twitter en vient aujourd’hui à représenter un rempart de la libre expression, un espace de circulation rapide de l’information, au point d’être considéré par certains comme une sorte de service public mondial de l’expression démocratique, qu’il serait dangereux d’abandonner aux seuls appétits de ses actionnaires.

Jean Lasar
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