Nommée au Bünepräis 2025 pour Prima Facie et révélée récemment au cinéma dans Reflet dans un diamant mort, Céline Camara trace un parcours artistique engagé et singulier

La Camara tourne

Céline Camara, la semaine dernière à l’Interview
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 19.09.2025

Après des études de droit et un début de carrière prometteur, la franco-luxembourgeoise a décidé de tout quitter pour se consacrer pleinement à sa vocation artistique. À trente ans, Céline Camara confie avoir fait un choix radical : « Je ne sais pas si ça me donne plus de maturité, mais je suis davantage alignée avec moi-même. Quitter le droit pour devenir comédienne a été l’un des premiers grands choix vraiment personnels et délibérés de ma vie. Avant, tout était un peu prévu, anticipé : études de droit, sécurité, stabilité. J’ai traversé une vraie crise existentielle, un moment où je me suis demandé ce que je voulais vraiment. »

Installée au Luxembourg alors doctorante en droit et salariée à l’Institut Max Planck, elle découvre l’improvisation, « au départ pour me créer un cercle social ». Ce qui débute comme un passe-temps devient rapidement une passion : « J’ai pris des cours au conservatoire d’Esch, ma thèse n’avançait plus, j’étais malheureuse. Une thérapie m’a aidée à mettre des mots sur mon mal-être. Puis, un jour, lors d’un anniversaire, j’ai eu une révélation : j’allais arrêter le droit pour devenir comédienne. »

Contrairement aux idées reçues, le Luxembourg s’est avéré un terreau d’émancipation : « Être loin de mes repères, dans un pays où je me suis sentie libre, m’a permis d’oser. Si j’étais restée en France, je ne suis pas sûre que j’aurais eu ce courage. Ici, j’ai construit mes premiers liens artistiques, vécu mes premières scènes… tout semblait possible. »

Sur scène ou devant la caméra, elle vise avant tout la justesse et la vérité du jeu. « L’improvisation repose sur l’instant, l’écoute, le collectif ; c’est très vivant. Le théâtre demande un travail quotidien, artisanal, avec une rencontre directe et unique avec le public chaque soir. Le cinéma est plus technique et fragmenté, avec un jeu précis sous le regard du réalisateur, puis transformé au montage. » Pour elle, incarner un rôle passe par un engagement intime, « pas forcément de mon vécu, mais de mes émotions, de mes convictions. C’est une rencontre entre un texte, une vision, et ce que je peux y apporter avec mon corps et mon histoire. Même si le personnage est éloigné, il y a toujours un point d’accroche. »

Son regard sur le monde est également nourri par son enfance à Créteil, en région parisienne, dans un environnement multiculturel et divers. « J’ai grandi dans un milieu où la diversité socio-culturelle et religieuse, était la norme, une source de richesse plus qu’un carcan. Ça m’a appris à naviguer entre différents codes sociaux. Mais il y avait cette injonction à ‘réussir’, à travailler dur. » Elle se souvient que lors de son premier jour d’école, sa mère lui a prédit : « Tu devras travailler deux fois plus parce que tu es noire. » Elle l’a aussi mise en garde : « Si un jour quelque chose de lié au racisme t’arrive, ne t’insurge pas, sinon tu vas souffrir. »

Cette forme d’acceptation implicite des injustices, Céline Camara s’efforce aujourd’hui de la déconstruire. « Se documenter, parler, échanger, mettre en lumière le caractère systémique du racisme et de toutes les formes d’oppressions est crucial pour se réparer », affirme-t-elle. Elle explique comment, petite, elle souriait pour rassurer, « pour montrer que je n’étais pas une menace, pour contrer les préjugés. Ce réflexe de ‘faire bonne figure’, de ‘ne pas faire de vagues’, est encore très présent. C’est un mécanisme violent que les personnes racisées vivent dans toutes les sphères, y compris au cinéma. » Elle dénonce l’assignation récurrente à des rôles stéréotypés selon la couleur de peau, pointant « l’éventail des rôles pour une comédienne racisée [qui] reste restreint. L’imaginaire collectif est encore cloisonné et doit être bousculé. »

Pour Céline Camara, le métier d’actrice est aussi une manière de réconcilier toutes ses facettes. « Être artiste, c’est poser des questions au monde tout en s’en posant à soi-même en introspection, mais aussi collectivement pendant le processus de création. J’engage tout mon être et toutes mes facettes dans mon travail. Parfois certaines plus que d’autres, mais c’est ça qui fait la singularité et la puissance du travail d’artiste. »

Cette démarche s’exprime notamment dans Fade to Black, court-métrage co-écrit avec Anne Simon, inspiré d’une expérience traumatisante vécue par Céline. Le projet lui a permis de trouver une forme de réconciliation intérieure, tout en ouvrant un dialogue universel : « La création artistique ouvre des portes de dialogue, d’échange, et permet de passer de l’individuel à l’universel, se sentir appartenir à une communauté au sens large. »

Parmi ses collaborations luxembourgeoises, Céline Camara a été invitée par la styliste Laurie Lamborelle à un shooting de mode autour de sa dernière collection. Après cette séance, Céline a choisi de porter à la Berlinale la même pièce parce qu’elle « représente au mieux » le travail de Laurie. Un choix qui reflète bien le caractère de Céline, selon la créatrice, qui parle d’une actrice très terre-à-terre, sensible, curieuse, agréable et attentive.

Sa nomination au Bünepräis 2025 vient souligner une ascension fulgurante. Dans Prima Facie, elle incarne une avocate spécialisée dans les violences sexuelles, dont la vie bascule lorsqu’elle devient elle-même victime. Ce rôle exigeant a reçu un accueil critique chaleureux, saluant notamment sa « présence magnétique » et sa capacité à traduire la complexité et la douleur du personnage.

À travers un parcours singulier mêlant engagement personnel et artistique, Céline Camara incarne une génération d’artistes capables de traverser les disciplines, de bousculer les représentations et d’explorer avec authenticité les enjeux de notre temps, sur scène comme à l’écran.

Note de bas de page

Frédéric Braun
© 2025 d’Lëtzebuerger Land