Il a rêvé de devenir commissaire européen, mais il n’est pas sûr que Christophe Hansen (CSV) se délecte tant que cela de sa position aujourd’hui. À peine ont-elles commencé que les négociations qu’il dirige pour définir la Politique agricole commune (PAC) pour les années 2028-2034 s’annoncent impossibles. Tous les pays européens critiquent les orientations proposées dans ce premier jet. Sur le fond comme sur la forme : rien ne va et le Wiltzois prend les coups.
Même sa cousine y est allée de ses piques. Sortant du conseil européen « Agriculture et pêche », mardi dernier, la ministre de l’Agriculture Martine Hansen (CSV) déclarait au Wort qu’elle « espérait quelque chose de différent. » Le lendemain, la Saarbrücker Zeitung la citait à son tour : « Weniger Geld für die Gleichen Maßnahmen […], also keine gute Sache ». Même dans sa communication officielle, elle ne cache pas son agacement : « Nous partageons la vision d’une future politique agricole commune avec ‘moins de règles et plus d’incitations’, mais il est difficile d’y arriver avec moins de budget. »
La situation de Christophe Hansen est intenable, mais ce n’est pas complètement de sa faute. Il ne peut jouer qu’avec les cartes que sa cheffe, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, lui a données. Spoiler : sa main est exécrable.
Le budget de l’Europe va grimper de 66 pour cent, passant de 1 200 milliards d’euros pour la période 2021-2027 à 2 000 milliards d’euros pour 2028-2034. Oui, mais l’essentiel sera consacré à la compétitivité et la défense. L’agriculture, jusque-là unique exemple d’une politique véritablement commune à l’ensemble des États membres, est snobée. Son budget passera de 387 à 300 millions d’euros, soit une diminution de plus de vingt pour cent. Puisque ses objectifs ne changent pas, forcément, ça coince.
Le ministre de l’Agriculture espagnol, Luis Planas, est lapidaire : « Les propositions ne nous plaisent pas ». Son homologue française, Annie Genevard, est toute aussi claire : « La proposition initiale de la Commission tourne le dos à la vision ambitieuse que j’ai toujours défendue pour la place de l’agriculture dans le destin de la France et dans le projet européen. » Sa collègue finlandaise, Sari Essayah, abonde : « Les montants du projet sont nettement inférieurs à ce qu’il faudrait pour garantir la stabilité du monde rural. » L’Autrichien Norbert Totschnig y voit un « gravierendern Systembruch ». Même les lobbyistes ne sont pas contents. Le principal groupe de pression, Copa-Cogeca, estime que, tel qu’il a été présenté, le projet va « démanteler l’aspect commun de la PAC » en usant de « coupes budgétaires dissimulées » et d’une renationalisation complète maquillée en « simplification administrative ».
Von der Leyen n’aide pas
Voilà une autre innovation qui ne passe pas. Jusqu’à présent, la PAC reposait sur deux piliers : le soutien aux revenus des agriculteurs et le soutien au développement rural. La commission souhaite qu’ils fusionnent, ce qui est perçu comme une dilution budgétaire dans laquelle les aides seraient mises en concurrence avec d’autres priorités. Chaque pays pourra faire à peu près ce qu’il veut de l’argent qu’il recevra. Face au Land, Martine Hansen râle : « Nous avons toujours plaidé pour que la PAC garde un budget divisé en deux piliers, avec des montants à la hauteur de nos ambitions. La nouvelle structure du budget avec un fonds commun ne va effectivement pas dans ce sens. […] Cela ne renforce certainement pas la visibilité et l’indépendance de la PAC. »
La ministre regrette également que « certaines mesures importantes n’ont plus de budget propre, comme le programme de distribution de fruits et de lait à l’école ou encore l’initiative Leader. » Les programmes leaders (pour Liaison entre actions de développement de l’économie rurale) sont des éléments moteurs de la dynamisation des campagnes. Au Luxembourg, les initiatives Téi vum Séi, les produits Ourdaller ou la création du Mullerthal Trail sont quelques-uns des 591 projets soutenus par ces programmes depuis 1991. Sur la dernière période budgétaire (2014-2022), 157 initiatives se sont partagé 17,6 millions d’euros.
Si la Commission a bien inscrit ces programmes dans son projet de budget, elle ne prévoit aucune obligation réglementaire pour les États de les inclure dans leurs plans. Ce ne sont plus que des options, ce qui fait craindre un désengagement massif et une rupture de la continuité de développement dans certains pays.
Christophe Hansen peine à justifier ces directions. On le sent même mal à l’aise, comme lorsque le 11 septembre, face aux députés européens, il assurait que « la PAC était au cœur du projet européen » et qu’il partageait « un grand nombre de points de vue, l’appel à une PAC forte et l’identité de la PAC qu’il faut maintenir. »
Mais quelle est l’autorité du commissaire à l’agriculture ? Le média Politico note le paradoxe : « Ursula von der Leyen a laissé au commissaire à l’Agriculture, Christophe Hansen, le soin de défendre les coupes budgétaires contre lesquelles il s’était lui-même battu pendant des mois en coulisses. »
Ce n’est pas lui faire injure de dire qu’il n’est pas un poids lourd de la politique européenne. Bien qu’on lui reconnaisse sa connaissance du secteur - il rappelle régulièrement être fils d’agriculteur -, il n’est pas perçu comme un meneur politique. Cela ressemble d’ailleurs à une caractéristique commune à tous ses collègues commissaires. La présidente Ursula von der Leyen n’a nommé que des personnalités qui ne lui font pas d’ombre. Son refus catégorique de conserver dans son équipe le français Thierry Breton, dont la parole était forte et entendue, est significatif.
Von der Leyen a montré ces derniers mois une dimension très verticale de l’exercice du pouvoir. L’accord commercial avec les États-Unis s’est construit sans Stéphane Séjourné (commissaire chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle), mais avec Maros Sefcovic (commissaire chargé du commerce) pourtant sous l’autorité du Français. L’allemande Sabine Weyand, à la tête de la direction générale du commerce, a été exclue des négociations car, plus combative contre les USA, elle ne suivait pas la ligne de la présidente.
La volonté de von der Leyen de conclure l’accord du Mercosur, qui contrarie également les agriculteurs, ou la façon dont est orchestrée la répartition du budget de l’Union sont d’autres exemples illustrant sa poigne autocratique. Malgré toute sa bonne volonté, il est aujourd’hui difficile d’imaginer que Christophe Hansen puisse faire évoluer la PAC dans un autre sens que celui décidé par la présidente de la Commission.
Au Luxembourg, on comprend que Christophe Hansen ne doit pas avoir la vie facile tous les jours. Interrogé par le Land, Christian Wester, président de la Centrale paysanne, soupire, « Il faut être réaliste, il n’est pas le premier à décider… Je suis persuadé qu’il fait de son mieux mais le problème ne vient pas de lui, plutôt de la tête de la Commission. » L’éleveur d’Alzingen compare le commissaire à sa cousine. « Beaucoup d’agriculteurs se sont dit qu’avec Martine Hansen comme ministre, tous les problèmes se règleraient facilement. Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe. On ne fera pas de demi-tour. Même avec elle, si ça n’empire pas, ce sera déjà bien. »
Finalement, Martine Hansen jure ne pas trop en vouloir à son cousin. Elle « salue son travail, car il fait tout son possible pour assurer pour au moins une partie des mesures prévues par la PAC un budget dédié. » Des remerciements dans lesquels résonne surtout l’impuissance du commissaire européen. Le problème avec les rêves, c’est que, parfois, ils se réalisent.