Pour l’inauguration de son quatrième siège à Luxembourg depuis sa création en 1919, BGL a pu compter sur la présence du troisième souverain en exercice depuis Marie-Adélaïde. « Comment c’est son p’tit nom ? — Hé ben dis donc tu t’es pas trop renseigné. C’est Henri », échangeaient deux employés francophones lors de la cérémonie organisée jeudi soir dernier. En petit comité. Moins de cent personnes ont participé. 800 employés couraient le Business Run. D’autres se collaient aux fenêtres pour observer. Le cortège royal s’est avancé à la pointe du Kirchberg, au pied du nouveau triptyque architectural de BGL, entre Kinepolis et l’hôpital. Devant le bâtiment fraîchement érigé, baptisé seKoia, le chef de l’État a salué la directrice générale, Béatrice Belorgey, et le ministre des Finances. Gilles Roth (CSV) avait lui-même été accueilli par son directeur du Trésor et secrétaire général du ministère, Bob Kieffer, là en tant que président du conseil d’administration de BGL. Figuraient aussi parmi les invités de marque, la bourgmestre Lydie Polfer (DP) et le directeur général de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), Claude Marx (voir encadré). Apparaissait enfin dans la délégation du Grand-Duc, Chékéba Hachémi. La diplomate, féministe franco-afghane et femme de réseaux (notamment parisiens), conseille la Grande-Duchesse Maria Teresa depuis 2017 et siège au conseil de son association Stand Speak Rise Up. L’asbl luttant contre les violences sexuelles comme armes de guerre bénéficie du soutien de BGL BNP Paribas.
« Altesse royale, (…) cher Bob. » Lors de son discours, Béatrice Belorgey s’est félicitée de la décision prise en 2021 par le conseil d’administration d’investir dans un nouveau siège, « malgré un environnement économique particulièrement difficile, marqué par une hausse extrêmement importante des coûts des matières premières et des coûts de la construction ». Les engagements financiers auraient néanmoins été respectés. Les délais aussi. Il a suffi de trente mois pour construire et aménager les 18 500 m2 répartis sur huit étages. La directrice générale, une fidèle du groupe BNP avec presque quarante ans d’ancienneté, a narré le transfert des œuvres d’art. La sculpture monumentale réalisée dans les années 1960 par Jean Dubuffet, Élément d’architecture contorsionniste, a été levée par grue dans le ciel, voguant d’un bout à l’autre du parc. « Le Wercollier » a également été déplacé, de même que toutes les « œuvres incrustées » dans l'ancien siège. Elles ont été installées dans le nouveau. Béatrice Belorgey raconte la gestion des 42 kilomètres d’archives stockées « depuis très très longtemps ». Elles ont été « triées, scannées et outsourcées ». Mais l'opération « incontestablement la plus complexe et la plus délicate », aurait été de vider les deux datacenters logés dans les sous-sols du bâtiment Kronos et de transférer dans le cloud quelque 450 applications… ainsi que le core banking system. « Cette opération a été finalisée mi-juin, après trois années de préparation minutieuse », s’est félicitée la dirigeante française.
Le compact seKoia, adossé à ces cousins eKinox et oKsigen livrés en 2016, contraste avec l’ancêtre, Kronos où la banque s’était installée en 1995. Le K majuscule se réfère au Kirchberg, plateau sur lequel la banque avait acheté plus de cinq hectares de terrain entre 1979 et 1987, pressentant que l’espace ne suffirait pas au coin du boulevard Royal et de l’avenue Monterey où elle était installée depuis les années 20 (après avoir passé ses premiers mois d’existence rue de la Congrégation, alors rue Genistre). Des ensembles classicistes bâtis Ville haute par Octave Flaneau pour BGL ne reste que la villa et son petit jardin vis-à-vis le ministère de l’Économie. L’immeuble face à l’Hôtel des Postes s’est élevé au fil des décennies, passant des blocs de pierre à l’aluminium, au béton et au verre. Le bâti de plain-pied était devenu Tour Weicker, en l’honneur du co-fondateur, Alphonse, resté un demi-siècle à la tête de l’établissement. Entre 1950 et 1990, les effectifs de la BGL se sont multipliés par dix pour atteindre 1 647 collaborateurs en 1987 selon les chiffres collectés par les historiens du C2DH autour de Benoît Majerus pour l’exposition digitale BGL, L’histoire d’un siècle (depuis100ans.lu)
Les 1 200 collaborateurs de la banque ont rejoint l’autre rive de l’Alzette et du Pont Rouge en 1995 dans un immeuble signé Pierre Bohler et Jim Clemes, un volume à plusieurs couches, en verre, granit et métal. Il prend la forme d’un X (d’aucuns estiment qu’elle s’apparente à un crapaud) avec quatre ailes attachées à un noyau central grandiloquent aux murs recouverts d’œuvres, l’art « faisant son entrée dans l’architecture bancaire », note Benoît Majerus. Le 28 novembre 1995, lors de l’inauguration du Kronos, le patron de la banque, Alain Georges, s’était ainsi exprimé : « Croisement jadis des voies romaines, croisement demain de la nouvelle infrastructure routière, le lieu d’implantation du nouveau siège de la Banque Générale du Luxembourg est un lieu de rencontre, d’échange et de communication. »
Un article du Wort en 1992 détaille l’investissement de cinq milliards de francs (soit 124 millions d’euros), un placement sur cinquante ans avait expliqué un membre du comité de direction. Celui-ci parlait aussi « d’usine bancaire ». 39 pour cent du budget était alloué aux infrastructures de communications avec une volonté d’accroître la productivité des équipes. « Pour autant, le cadre de travail ne va visiblement pas devenir stakhanoviste », se risquait la journaliste Marie-Laure Rolland. Chaque bureau jouissait de sa climatisation réglable individuellement. Puis la bâtisse est entourée de vastes jardins aménagés par l’architecte paysager Wirtz, propices à l’oisiveté. Ils représentaient aussi « suffisamment d’espace pour envisager ultérieurement d’autres agrandissements », estimait le quotidien de l’archevêché (à l’époque). 1 200 personnes se partageaient alors 71 000 m2. C’est trois fois plus d’espace par employé qu’aujourd’hui.
Ce sont encore 1 200 collaborateurs qui ont déménagé entre juin et septembre, cette fois dans des espaces plus restreints conçus pour « les nouvelles manières de travailler » avec du « flex-office » où l’on prône « agilité » et « travail hybride », expliquent les communications corporate. La consommation d’énergie sera 70 pour cent moindre que dans l’ancien bâtiment. Le Kronos a, lui, été cédé à KPMG, qui traversera l’avenue Kennedy, au 39, où la société d’audit s’est installée en 2014 et où elle s’est vite sentie à l’étroit. Le bâtiment sera « déconstruit » (et non détruit) par BPI, qui développe le programme. Les matériaux seront triés et réutilisés si possible, sinon recyclés. Un nouvel édifice durable, avec une ossature en bois, sera construit sur l’infrastructure existante. Les parkings et une partie des sous-sols seront conservés. « Le jardin est également préservé », nous informe la communication de KPMG.
Les effectifs de BGL plafonnent autour de 1 960 temps plein. Après des décennies de croissance, le nombre de salariés a considérablement chuté. La banque comptait 2 440 salariés en 2000, 2 742 en 2010 puis 2 375 en 2019. BGL a connu la crise des subprimes en 2008 et a changé d’actionnaire à cette occasion, passant de Fortis à BNP Paribas avec un État luxembourgeois qui a hérité de 32 pour cent du capital à la faveur du sauvetage. Un bon investissement a priori. BGL a signé 500 millions d’euros de profits en 2024, soit quatorze pour cent de plus que l’année précédente. Jeudi dernier, le ministre Gilles Roth a « sincèrement remercié l’engagement de BGL en faveur du pays et de notre place financière (...), vecteur important de notre richesse et de notre cohésion sociale ». Il a en outre excusé son chef et camarade de parti, Luc Frieden, absent « en raison d’un état grippal » alors qu’il devait se rendre dès samedi à New York pour s’adresser « à un monde qui change ».
Bientôt la fin de mandat
Aux événements de la Fedil, du Paperjam Business Club (sur les problèmes d’ouvertures de comptes bancaires, dans les locaux de la BIL), de la Chambre de commerce, du LSFI (Luxembourg sustainable Finance Initiative) et donc chez BGL, Claude Marx multiplie les apparitions publiques en cette rentrée. Faut-il y voir un lien ? Son deuxième mandat arrive à échéance en février 2026 et ces prochaines semaines compteront. Pour l’heure, rien n’indique que le renouvellement est remis en cause.