Profession curateur

Le global et le particulier

d'Lëtzebuerger Land du 15.05.2015

On l’avait rencontré pour la visite commentée de l’exposition J’ouvre les yeux et tu es là – Collection Mudam en 2013. Disponible, affable. Très pro et ouvert face à des questions et des commentaires sans doute parfois horripilants pour l’intellectuel qu’il est. Il en a le look. Les lunettes et le parler. Rapide, citant des noms d’artistes à la volée. Ça donne un peu le vertige et notre rendez-vous cette fois-ci ne déroge pas à la règle. Il est souriant et volubile, visiblement hyper-préparé pour l’interview qui devrait, cette fois, être focalisé sur sa personne : un curateur particulier dans l’équipe du Mudam certes, mais singulier pour son intérêt entre écriture, lecture et art.

Mais Christophe Gallois échappe tout d’abord aux questions personnelles, tout absorbé qu’il est par la prochaine ouverture de « la » grande exposition, préparée collectivement avec Enrico Lunghi, Marie-Noëlle Farcy et Clément Minighetti, le directeur et les deux autres curateurs du Mudam. On sait déjà qu’un robot médiateur pourra guider les visiteurs et qu’on pourra voir le Pendule de Foucault dans la grande nef. Voilà pour les accroches les plus spectaculaires de l’exposition Eppur si muove, qui fera, autour de 70 objets prêtés par le Musée des art et métiers, le lien entre la création artistique contemporaine – internationale et nationale –, et l’histoire des sciences et des techniques. Assurément un événement dans le cadre des six mois de Présidence européenne par le Luxembourg (voir page 25).

En fait, Christophe Gallois, qui travaille depuis huit ans maintenant au Mudam, semble aussi à l’aise dans le collectif que dans le particulier. Il ne touchera pas un mot sur le fait qu’il est, au sein du musée, responsable des expositions temporaires, et ce depuis 2007. C’est sans doute dû à sa formation, sur laquelle il revient de bon gré, voire même avec une sorte de « passion ». Détenteur d’un DEA en histoire et critique des arts obtenu à l’Université de Rennes, le jeune Nordiste (Gallois est né en 1978 à Béthune) enchaîne avec deux années d’expérience pratique à la Maison Populaire de Montreuil, en banlieue parisienne, où il se frotte à la coordination d’expositions et à la programmation de films d’artistes. Puis, il reprend le chemin de l’école, mais pas n’importe laquelle : le Royal College of Art à Londres, qui, durant deux ans, lui permettra de se familiariser avec tous les aspects du métier de curateur.

Lors de cette formation, il accumule, selon son propre terme, dans un véritable « marathon », les rencontres avec des professionnels issus d’horizons variés – Londres est la ville idéale pour cela –, les visites d’ateliers, de musées, de galeries. Avec les autres étudiants, qui viennent des quatre coins du monde, il sillonne l’Europe, et part au Brésil. Puis, il passe à la pratique curatoriale lors d’un projet collectif où il se mesure aux différents aspects de l’organisation d’une exposition : le choix des artistes, d’une thématique, la publication, le montage, les contacts avec le public et, sans doute moins glamour mais nécessaire, la logistique et la maîtrise du budget. Aujourd’hui encore, Christophe Gallois sait de ce fait partager des choix et des idées, ainsi qu’une ligne éditoriale, même s’il insiste sur le fait qu’au Mudam, celle-ci est du ressort d’Enrico Lunghi et de Clément Minighetti, le curateur en chef.

Revenons aux intérêts propres de Christophe Gallois. Cela peut sembler curieux, mais le livre, cet objet qui, à l’ère d’Internet, peut paraître désuet, est à l’origine, pour lui, de chemins, d’ouvertures, de passages entre différentes disciplines, entre différents espaces. Ou plutôt la lecture. Savante certes. Ainsi du philosophe Jacques Rancière et de l’écrivain W.G. Sebald, qui l’amènent à établir des connexions avec certaines pratiques artistiques et à des thématiques pouvant induire les bases d’expositions. Comme L’Image papillon, qui, en 2013, s’intéressait aux relations entre image et mémoire à partir de l’œuvre de Sebald. La question du temps et de sa relation à l’image est un autre de ses « leitmotivs ». Sa prochaine exposition solo sera d’ailleurs consacrée à l’artiste vidéaste Fiona Tan. Mais là, ce sont les connexions inter-musées qui vont jouer : Oslo, Francfort, Tel Aviv. Car on ne sait pas toujours que le Mudam est aussi à l’origine d’expositions qui ensuite s’exportent et voyagent. L’inverse est vrai aussi bien sûr. L’aspect papier, le catalogue commun, si cher à Christophe Gallois, où on retrouvera les textes des curateurs des quatre musées, sera la pierre angulaire, interactive, dans le temps, de ce nouveau projet.

À lire donc, par le public, après les expositions. Le public, que Gallois a appris à choyer. N’est-il pas l’auteur de certains des textes des miniguides du musée ?

Marianne Brausch
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