La difficile genèse des musées à Luxembourg (1796-1945)

Un siècle d’actes manqués

d'Lëtzebuerger Land du 15.05.2015

Après la prise de la forteresse de Luxembourg par la France révolutionnaire en 1795, les nouvelles autorités projettent de réaliser dans cette ville un musée du Département des Forêts. En effet, l’ensemble du territoire français devait être couvert d’un réseau de musées mettant les richesses artistiques devenues propriétés de la Nation à la disposition de tous les citoyens. Elles commencent donc en 1796 à mettre à l’abri des « monuments des sciences et de l’art » provenant de la confiscation des biens ecclésiastiques. Citons la pendule à carillon de l’abbaye de Saint-Hubert et des portraits de souverains qui ont été conservés au MNHA ou le mausolée de Mansfeld, lui détruit. Il est très probable que ce musée devrait être logé avec la bibliothèque à l’École centrale du département, l’ancien collège des Jésuites.

Cependant, aucun musée départemental ne voit le jour, ni en France, ni en territoire conquis. Toujours est-il que cette initiative constitue la première prise en charge d’un patrimoine au Luxembourg. Elle y atteste également, pour la première fois, l’existence de la notion de monument historique.

À partir de l’époque romantique, l’archéologie locale connait un développement important, renforcé par la naissance du sentiment national. En 1845, quelques années seulement après l’indépendance de 1839, s’ouvre un musée qui se veut être national. Celui-ci-ci n’est toutefois pas étatique mais associatif. Il s’agit du musée de la Société pour la recherche et la conservation des monuments historiques, qui sera rapidement suivi de celui de la Société des sciences naturelles.

La nouvelle institution forme un musée d’antiquités nationales. Il occupe quelques salles et forme une annexe de la bibliothèque de l’Athénée qui a succédé à l’ancienne École centrale. Un lapidaire est installé dans la cour de l’école. Ce musée emploie un conservateur bénévole, le professeur Antoine Namur. Il est ouvert au public deux heures par semaine, à savoir de 9 à 11 heures, tous les jeudis pendant la période scolaire uniquement. S’il s’adresse donc directement aux élèves de l’Athénée, il constitue également et surtout un lieu de conservation et de recherche pour un milieu de notables. Cependant, faute d’un véritable appui de l’État ou de l’absence d’un grand mécène privé, ce musée de société savante est laissé à l’étroit et ne peut que vivoter.

L’arrivée à Luxembourg en 1870-1871 de la collection de tableaux de maîtres que Jean-Pierre Pescatore a léguée en 1853 à sa ville natale, marque une étape importante dans l’histoire des musées luxembourgeois. Pour la première fois, des tableaux sont considérés non plus comme des œuvres historiques ou patrimoniales, mais comme des œuvres faisant partie de l’histoire de l’art européenne. Pour la première fois, la Ville de Luxembourg est sollicitée en tant que légataire à prendre en charge une collection d’art. Elle a l’obligation de l’exposer de manière adéquate, de préférence dans un bâtiment à bâtir au profit de la Fondation Pescatore. Ainsi se pose, pour la première fois à Luxembourg, la question de la construction d’un immeuble neuf destiné à loger un musée.

Lors de la fondation de l’Institut grand-ducal en 1868, l’État fait la promesse que les bibliothèques et les collections des sections, dont les sections historique et des sciences naturelles, sont conservées dans un bâtiment fourni à ses frais. Il ne tient pas parole. Dix ans plus tard cependant, il plaide pour la réalisation d’un seul grand musée englobant le « musée Pescatore », la bibliothèque de l’État et les collections des musées d’histoire naturelle et d’histoire et d’art.

Commence alors le temps des commissions et des concours d’architectes qui présentent de nombreux projets de musées sur des sites très différents. Mais aucune décision n’est prise et aucun musée n’est construit. Faillant à son engagement de bâtir un musée municipal, la ville cherche la collaboration avec l’État. Elle bute cependant au refus des héritiers Pescatore, qui souhaitent voir un musée indépendant voisiner la Fondation au nom du donateur.

Entretemps, les collections patrimoniales de la Société historique et celles de la Société des sciences naturelles qui, à elles seules, ne valent aux yeux de l’État nullement la construction d’un musée, sont laissées à l’abandon. Elles doivent déménager plusieurs fois pour aboutir finalement dans l’ancienne caserne Vauban au Pfaffental. Peut-on encore parler d’un véritable musée quand, en 1909, le conservateur de la Société historique déclare que les objets sont entassés dans la même salle et que d’autres moins heureux attendent depuis des années qu’on vienne les déballer ?

En 1922, l’État passe enfin aux actes et achète l’immeuble Collart-de-Scherff situé au Marché-aux-Poissons pour y loger les collections des deux sociétés savantes. Suite à cette initiative, ces dernières donnent leur propriété en dépôt à l’État.

En 1926 est créé la Société des Amis des Musées qui cherche « grâce à des appuis précieux, la solution des deux questions principales qui ont retardé pendant des générations l’essor de nos musées ». Sont visés le manque de zèle de l’État pour aménager son musée national et le refus de la Ville de réaliser son musée Pescatore. Ce dernier surgit encore dans les années 1930 avec l’idée du musée municipal des Beaux-Arts qui doit réunir, et les collections de la ville et les tableaux et les sculptures appartenant à l’État. De même, le musée de folklore ou musée luxembourgeois, prévu dans une maison voisine à l’immeuble Collart-de-Scherff, n’est pas réalisé.

Les travaux d’aménagement des futurs musées de l’État n’avancent que très lentement, à tel point que l’occupant nazi continue les travaux pour des raisons politiques. Il veut en faire un Landesmuseum allemand et augmente le personnel et les collections surtout ethnographiques. De cette façon, le musée d’histoire peut ouvrir ses portes en 1945 pour ses expositions temporaires et en 1948 et 1949 pour ses collections permanentes. Le Musée d’histoire naturelle ouvre également en 1949. Nous retenons pourtant l’année 1945 comme la fin d’une époque et comme le début d’une autre. À partir de cette date, le musée d’histoire organise régulièrement des expositions temporaires sur des sujets très variés d’histoire et d’art. Quatre années plus tard, la Ville de Luxembourg achète à une certaine distance de la Fondation Pescatore la Villa Vauban pour inaugurer en 1959 son musée Jean-Pierre Pescatore.

En 1796, l’idée du musée public est introduite au pays par la France, qui entame un début de collection. Les tableaux que Jean-Pierre Pescatore lègue en 1853 à sa ville natale sont ceux qu’il a collectionnés à Paris. C’est cet émigré qui, le premier, lance le projet de construire un bâtiment tout neuf pour un musée. Plus tard, c’est l’occupant allemand qui contribue à achever l’aménagement des musées de l’État. Les musées à Luxembourg ne se sont pas donc faits sans un apport de l’étranger.

Les musées luxembourgeois connaissent une genèse particulièrement longue et difficile. Les pouvoirs publics ne font jamais de ces instituts une préoccupation majeure de leur politique. Il faut un siècle à l’État comme à la Ville pour réaliser un musée digne de ce nom. Ils ont d’autres priorités que de mettre les biens culturels à disposition des citoyens. Au lieu de venir enrichir le paysage muséal, le premier legs important dans l’histoire du pays provoque une discorde qui retarde longtemps le développement des musées.

Aucun de ces musées ne devient un symbole national et aucune des institutions ne constitue une vitrine où les sentiments de fierté nationale trouvent matière à s’exprimer. Il faut attendre la construction du Mudam par l’architecte de renommée mondiale I. M. Pei pour qu’à Luxembourg musée se conjugue avec prestige.

Bibliographie sélective
Jean-Luc Mousset
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