ÉDITORIAL

Extrême centre

d'Lëtzebuerger Land vom 10.10.2025

L’effondrement de la scène politique française est prodigieux. Il est assez sidérant d’observer la chute, autant dire la déchéance, d’Emmanuel Macron. Considéré par la Süddeutsche Zeitung en 2017 comme le leader du « liberal Boygroup » avec Charles Michel et Xavier Bettel, il est parvenu à décevoir à peu près tout le monde en huit années d’exercice du pouvoir. Même ses soutiens historiques se désolidarisent, usés par l’hubris de leur ancien mentor.

Macron n’a pas eu de chance. Il aurait été Luxembourgeois, l’ancien banquier de Rotschild aurait fait un tabac. Au pays où les centristes sont rois, on se serait battu pour être à ses côtés. Luc Frieden n’a jamais caché son admiration, affirmant puiser de l’inspiration chez des leaders comme lui ou Obama. La parenté avec Xavier Bettel est encore plus évidente, tant ils sont proches. En 2018, ils avaient fait campagne commune. Le Luxembourgeois se servait de la présence de son ami pour préparer ses législatives, quand le Français faisait le tour de l’Europe pour créer un groupe libéral au sein du Parlement européen, à la veille des élections continentales. Quant aux socialistes, Étienne Schneider n’aurait pas pu trouver de meilleur allié pro-business.

Mais si la maîtrise du centre est la clé de l’accession au ministère d’État, c’est beaucoup moins vrai de l’autre côté de la frontière. Le Libéral Macron a su faire croire un temps à son « ni de droite ni de gauche ». Mais, celui dont l’humilité n’a jamais été la qualité principale, s’est enfermé dans l’exercice du pouvoir, ne réservant plus son aréopage qu’à de fidèles dévoués, n’écoutant plus les critiques, même celles émises par ses amis.

Il est parfaitement entré dans le costume de ce que l’historien français Pierre Serna appelle l’« extrême centre », dont les trois caractéristiques sont le girouettisme, la maîtrise des codes de la bienséance et une main de fer une fois arrivé au pouvoir. En France, les gilets jaunes ou les manifestants contre la réforme des retraites peuvent témoigner de l’omniprésence et de l’agressivité des forces de police. Plusieurs condamnations prononcées ces derniers mois pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique le rappellent.

Au Luxembourg, bien sûr, cette brutalité physique serait superflue. Les manifestations sont très calmes, qu’elles soient organisées par les syndicats ou des associations (par exemple pour la Palestine). Les cortèges se dispersent sans heurts et font même le ménage derrière eux. La police est discrète et bienveillante.

Mais la brutalité avec laquelle le CEO Frieden a essayé de faire passer sa réforme des retraites ou la raideur de Lydie Polfer (bien assistée par Léon Gloden) qui a tenté de rendre illégale la mendicité dans la capitale sont de vrais exemples de violences institutionnelles. Toutefois, ces tentatives de passages en force ont très rapidement échoué et les derniers sondages attestent qu’au pays des tripartites (tant qu‘elles existent), les électeurs n’aiment pas l’autoritarisme.

La tranquillité s’achète, bien sûr. La Chambre est par définition à l’image des électeurs qui, dans leur majorité, vivent dans un confort matériel rare. Les pauvres, ceux qui auraient le plus de raisons de voter pour les extrêmes, habitent souvent à l’étranger ou, faute de disposer du bon passeport, ne sont pas autorisés à choisir leurs députés.

L’enquête sur la compétitivité fiscale du Luxembourg, que vient de publier la Cellule scientifique de la Chambre, donne le coût de cette félicité bienheureuse. Elle cite l’Atlas of the offshore world qui chiffre les avantages fiscaux offerts par le Luxembourg aux entreprises françaises en 2021 à plus de 4,3 milliards d’euros. Pour l’Allemagne, c’est encore plus : 7,7 milliards d’euros de manque à gagner. Autant d’argent que n’ont pas vu les hôpitaux ou les écoles de nos voisins.

Le Luxembourg peut se targuer d’être un des derniers pays stables en Europe, voire dans le monde. Mais il sait très bien à quel prix. L’extrême centre ne fait jamais de cadeaux.

Erwan Nonet
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