Batteries à base de lithium

Le lithium, nouvelle poule aux œufs d’or ?

d'Lëtzebuerger Land du 04.03.2010

Le 28 février a eu lieu une grande première dans le monde de l’automobile. À l’occasion du Salon de Genève, une voiture hybride Opel a parcouru le trajet de Rüsselsheim (près de Francfort) à Genève, soit plus de 560 km, sans interruption et grâce à sa seule batterie.

Pour des raisons aussi bien écologiques que liées à l’épuisement progressif des ressources pétrolières, la propulsion électrique fait son bonhomme de chemin en Europe et dans le monde. Pratiquement tous les fabricants ont des programmes, plus ou moins avancés, dans ce domaine. Les technologies utilisées, assez différentes selon les constructeurs, ont toutes un point commun : les nouvelles batteries fonctionnent à base de lithium, un métal alcalin très léger (sa densité est la moitié de celle de l’eau), déjà très utilisé pour les téléphones portables et les ordinateurs.

Le cabinet américain AT Kearney prévoit que les ventes mondiales d’accus automobiles au lithium passeront de 34 millions de dollars aujourd’hui à 21 milliards d’ici 2015. Problème : le lithium n’est disponible qu’en quantité limitée et dans quelques régions du globe seulement. Les « salars » (lacs salés) boliviens – en particulier celui d’Uyuni – en recèlent 9 millions de tonnes, sur les 25 millions identifiées dans le monde par l’USGS, l’agence américaine de géologie, et les industriels s’y pressent.

Tous ne viennent pas du secteur automobile. Ainsi en France, ce ne sont pas les deux grands constructeurs locaux qui sont en pointe en la matière (bien que Renault ait le projet de dédier son usine de Flins, près de Paris, à la fabrication d’une voiture électrique), mais le conglomérat Bolloré, qui a mis au point, après plus de dix ans de recherches, une batterie lithium-métal-polymère devant équiper son modèle électrique, la Blue Car, dessiné par Pininfarina, dont le lancement commercial est prévu en 2011.

En 2009, Mitsubishi et Sumitomo ont fait le déplacement de la Paz, où Bolloré, associé au groupe minier Eramet a présenté un projet d’usine d’extraction et de batteries de 800 millions de dollars et continue « d’étudier un projet de filière industrielle complète du lithium » dans le pays. Cela dit, la promesse du président Evo Morales, personnage plutôt imprévisible, selon lequel « le lithium doit rester bolivien » pousse les multinationales à regarder également ailleurs.

Selon un expert suisse, « on a présenté à tort la Bolivie comme une Arabie saoudite du lithium, alors que d’autres pays disposent de grandes ressources : 7,5 millions de tonnes ont été identifiées au Chili ». La Chine, l’Argentine et les États-Unis détiennent chacun pour 2,5 millions de tonnes de réserves. Des ressources qui garantissent des années d’approvisionnement : en 2009, la production mondiale n’a pas dépassé 18 000 tonnes.

La course au lithium se déplace aujourd’hui vers l’Argentine. Le 20 janvier, Toyo Tsuro, maison de négoce affiliée à Toyota, a créé une co-entreprise avec la société d’exploration australienne Orocobre et apportera 4,5 millions de dollars afin d’achever d’ici à l’été l’étude d’un futur site d’extraction sur 118 km2 à Olaroz dans le nord-ouest du pays. Également à la manœuvre, le gouvernement japonais est prêt à avancer l’argent permettant de régler 60 pour cent de la construction d’une mine. La stratégie de Toyota est de maîtriser toutes les cartes de la filière des accus automobiles : le constructeur est déjà allié depuis trois ans avec Panasonic, qui vient d’absorber Sanyo, le premier fabricant de batteries de type lithium-ion. Et s’il a exprimé des doutes sur la généralisation de ce type d’accus dans l’automobile – bien que légers et plus puissants ils seraient moins adaptés au fonctionnement en tandem avec un moteur essence de la Prius – le constructeur lancera pourtant en 2012 des modèles plug-in équipés de batteries lithium et rechargeables sur secteur.

Quant au groupe Bolloré, toujours associé à Eramet, il a signé le 12 février dernier, avec la société argentine Minera Santa Rita, un contrat d’exploration portant sur des gisements de lithium dans la province de Salta, une région voisine. Le consortium français pourra accéder à plusieurs « salars » pour en estimer les ressources et lancer les études pour un projet d’unité de production de carbonate de lithium, matière première à partir de laquelle sont produits les sels de lithium et le lithium métal utilisés dans les batteries rechargeables. Le contrat est assorti d’une option d’achat permettant au groupement Bolloré-Eramet d’acquérir ces concessions à l’issue des études, soit d’ici 24 mois. Spécialiste du nickel, Eramet apporte au projet ses compétences minières et hydrométallurgiques ainsi que la capacité de son centre de recherche à développer de nouveaux procédés d’extraction et de transformation du lithium adaptés à chaque gisement.

Le lithium provoque aussi une forte effervescence boursière, car les investisseurs ne peuvent se désintéresser d’une matière première dont le cours est passé en cinq ans, de 350 à 3 000 dollars la tonne. L’annonce du partenariat avec Toyota permet aux actions d’Orocobre, de s’envoler de 45 p.c. depuis la mi-janvier. Calculé par la bourse de Stuttgart, l’indice S-Box Lithium, qui traque le parcours boursier de vingt-cinq compagnies explorant, produisant ou investissant dans le lithium, montre que celles-ci ont vu la valeur de leurs actions quintupler en un an. Entre début novembre 2009 et fin janvier 2010, l’indice a gagné 35 p.c.

Mais le marché est très volatil. Les perspectives de la voiture électrique sont difficiles à chiffrer et les autres débouchés arrivent à saturation. La crise économique a forcé les grands extracteurs du métal à réduire de 15 à 40 p.c. leur production l’été dernier. L’Argentine a vu sa production chuter de 3 170 tonnes en 2008 à 2 200 tonnes en 2009, soit 30,6 p.c. de moins. L’USGS rappelle également que le plus important producteur chilien « devrait réduire de 20 p.c. les prix de son lithium en 2010, en raison de la conjoncture ». Depuis fin janvier, l’indice S -Box a d’ailleurs perdu près de 10 p.c.

Georges Canto
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