chroniques de l’urgence

Le thermo-capitalisme dans toute sa splendeur

d'Lëtzebuerger Land du 22.11.2024

Faut-il en rire, faut-il en pleurer ? La liste des personnes sélectionnées par le président-élu pour faire partie de la nouvelle administration américaine donne une nouvelle dimension au concept de kakistocratie (gouvernement par les pires). Un antivax pour gérer le secteur de la santé ? Check. Au ministère de la Justice, un ancien membre du Congrès qui a fait l’objet d’une enquête de ses pairs pour avoir eu des relations sexuelles avec une mineure ? Check again. Un présentateur de Fox News aux vues rétrogrades et sectaires, « Deus vult », la devise des croisés devenue cri de ralliement des suprémacistes, tatouée sur son biceps, vétéran certes, mais sans expérience aucune du commandement militaire, pour diriger le Pentagone ? Oui mon général. Une admiratrice de Poutine pour coordonner les services de renseignement ? Da. Où que l’on regarde, les nominations donnent littéralement le tournis. Concentrons-nous ici sur celles liées aux secteurs de l’énergie, de l’environnement et du climat, les plus susceptibles d’influencer durablement le sort des Terriens vivant au-delà des frontières des États-Unis. Sans surprise, les pedigrees des candidats dénotent un mépris caractérisé pour la science, un amour immodéré de la dérégulation et un goût prononcé pour les énergies fossiles.

Lee Zeldin, qui a dans le passé a représenté l’État de New York à la Chambre des représentants, doit, selon les vœux de Donald Trump, diriger l’EPA (Environmental Protection Agency) à partir de fin janvier. En paroles, il a jusqu’ici affirmé la nécessité de protéger le climat, ce qui fait de lui un modéré parmi les Républicains. En pratique, il n’a jamais avancé de lois pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et a voté avec une assez grande constance (à 85 pour cent, selon un site de sa circonscription) contre les mesures favorables au climat, notamment l’Inflation Reduction Act (IRA) arraché par Joe Biden aux Républicains. Après l’annonce de sa nomination, le doigt sur la couture du pantalon, il a indiqué vouloir utiliser l’EPA pour « restaurer la dominance énergétique américaine, revitaliser notre industrie automobile, et faire des États-Unis un leader global de l’IA », précisant son intention de poursuivre ces objectifs « tout en protégeant l’accès à l’air et l’eau propres ». Le futur directeur de l’EPA va donc poursuivre des priorités qui n’ont rien à voir avec le mandat de celle-ci. Au lieu de préserver l’air et l’eau, il entend juste protéger « l’accès » à ces ressources – une formulation fumeuse s’il en est.

Doug Burgum, pressenti pour être ministre de l’Intérieur, est depuis 2016 le gouverneur du Dakota du Nord, le troisième État producteur de pétrole et de gaz du pays. L’élu républicain, un ancien homme d’affaires, nie l’existence de la crise climatique. En tant que responsable des territoires fédéraux, parcs et réserves naturelles, en charge des relations avec les tribus indiennes, il sera parfaitement placé pour faire fi de toutes considérations relatives à la préservation de la nature et des droits indigènes, ouvrant un boulevard à la mise en œuvre du slogan « drill, baby, drill » scandé par Trump et ses admirateurs. C’est Burgum qui en avril dernier a participé à l’organisation à Mar-a-Lago d’une réunion entre Trump et des dirigeants de compagnies pétro-gazières au cours de laquelle le candidat leur a demandé un milliard de dollars de dons pour sa campagne en échange de la promesse de l’abandon de réglementations environnementales.

Chris Wright, patron de la compagnie pétrolière Liberty Energy, sans expérience politique, doit diriger le Département de l’Énergie, qui s’occupe notamment de programmes étatiques de promotion des technologies énergétiques. Pour lui, il n’y a ni crise climatique, ni transition énergétique, et les énergies fossiles sont indispensables pour lutter contre la pauvreté. Ceux qui s’inquiètent du réchauffement ont selon lui succombé à une propagande alarmiste de type soviétique.

Ces choix viennent confirmer les rodomontades de Trump en matière de climat, d’environnement et d’énergie qui ont émaillé sa campagne et sont adossées, même s’il s’en est défendu mollement, à l’agenda extrémiste du Project 2025 rédigé par l’ultra-conservatrice Heritage Foundation. Même sur le sujet de l’adaptation, et alors qu’un grand nombre d’Américains vivent désormais une partie de l’année sous des cieux obscurcis par des incendies à répétition (il y en a onze en ce moment sur la Côte Est !) ou dans l’angoisse d’inondations dévastatrices, il est illusoire d’imaginer que la seconde présidence Trump fasse mieux que la première. On se souviendra que lors de son premier mandat, Trump avait suggéré, au plus fort de la saison des incendies en Californie, en 2018, d’utiliser des râteaux pour empêcher les départs de feux de forêt. En 2019, il avait utilisé un feutre pour modifier une carte de prédictions météo qui contredisait ses affirmations sur l’ouragan Dorian.

Vague lueur d’espoir : une fois aux manettes, ces défenseurs invétérés des énergies fossiles, qui seront chargés de détricoter les dispositions favorables au climat de l’IRA, devraient rencontrer sur leur chemin des résistances quelque peu inattendues : celle de d’États gouvernés par des majorités républicaines, qui en bénéficient grandement.

Les États-Unis, première puissance pétrolière mondiale, s’apprêtent donc à tourner le dos à la science et à tout faire pour augmenter les émissions. Les sondages montrent qu’au moins deux tiers des Américains sont favorables à des mesures de protection du climat. Qu’à cela ne tienne : un savant mélange de déni, de post-vérité et de polarisation extrême, propulsé notamment par des réseaux sociaux vénaux (quand ils ne sont pas, comme dans le cas de Twitter, dénaturés en plateformes de propagande), a préparé le terrain à un programme aux antipodes de ce que recommandent les scientifiques.

Poussé dans ses retranchements et anxieux de grappiller quelques années de plus de dividendes tirés du pétrole, le thermo-capitalisme mise tout sur l’autoritarisme écocidaire, assorti d’une cruauté érigée en spectacle, quitte à aggraver la menace directe qu’il représente pour la survie de la civilisation humaine.

Jean Lasar
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