L'engagement du Premier ministre

Grassroots

d'Lëtzebuerger Land du 07.07.2005

«Je sais que vous n'aimez pas trop la question et que vous y avez déjà répondu, s'excuse la journaliste de la télévision danoise TV Avisen, mais ça n'a pas enregistré.» Après les 90 minutes de débat avec les jeunes de Juncker äntwert Jonken, mardi après-midi au Forum du Campus Geesseknäppchen, la presse internationale, venue presque aussi nombreuse que les jeunes une après-midi libre, a véritablement pris d'assaut le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker (CSV). «Est-ce que vous allez vous tenir au plan D comme démission si le 'non' l'emporte?» s'enquérrait la journaliste danoise, la même question lui fut posée en allemand, en anglais, en luxembourgeois... Et Jean-Claude Juncker de répéter encore et encore que si la politique d'un gouvernement était désavouée par un non massif, ce n'était pas de peuple qu'il fallait changer mais bien de gouvernants. Mais qu'il regrettait avoir été aussi sincère, parce que son affirmation aurait été perçue comme un chantage par les Luxembourgeois et aurait orienté le débat sur une mauvaise voie. À la sortie de la présidence luxembourgeoise du Conseil des ministres de l'Union européenne, Jean-Claude Juncker est visiblement fatigué, marqué par six mois de réunions, de voyages, de discussions politiques, de sommets et de conseils, s'étant soldé par la déception de l'échec des négociations des perspectives financières de l'Union, le 17 juin à Bruxelles. Mais il se bat comme un lion, avec la force du désespoir pour l'adhésion d'une majorité d'électeurs luxembourgeois au projet de traité constitutionnel qui leur sera soumis au vote référendaire ce dimanche. Pour cela, il n'aura eu qu'un peu plus d'une semaine après la fin de la présidence. «Le référendum? C'est d'abord une question qui concerne le Luxembourg lui-même,» avait-il répondu à un journaliste allemand, mardi après-midi, bien conscient toutefois que tous les yeux sont braqués sur le résultat de dimanche. «Je crois sincèrement qu'un oui luxembourgeois nous aiderait à surmonter la crise en Europe,» dira-t-il le soir à Grevenmacher, devant quelque 200 personnes invitées par la Landjugend. Mais revenons au mardi après-midi. La Conférence nationale des élèves (CNEL), l'assemblée représentative de tous les comités d'élèves du postprimaire, avait organisé une série de débats avec le Premier ministre sur le traité constitutionnel, cherchant visiblement à contrecarrer les nonistes, qui avaient pris le dessus dans une classe d'âge forcément contestataire. L'initiative Jonk fir de Jo! avait fait de même, avec une manifestation festive pour le oui samedi dernier place Clairefontaine. Ce ne fut que sous la pression d'opposants – notamment des premiers et anciens membres du CNEL, comme Melanie Noesen, Bernard Thomas, Pia Oppel, Alain Martin et l'ancien porte-parole Michel Erpelding, qui dénonçaient, dans une prise de position envoyée aux médias, «l'instrumentalisation d'une structure représentative à des fins purement politiciennes» ou le «caractère unilatéral, paternaliste et faussement pédagogique» de l'initiative, tout en demandant un «débat contradictoire et démocratique» –, qu'un représentant du Comité pour le non, Claude Simon, fut invité. Or, tout dans la mise en scène laissait transparaître les sympathies aussi bien des organisateurs que du public, notamment des médias : tous les micros, sans exception, restaient posés tout au long du débat devant le Premier ministre. Plus que le débat contradictoire, c'est lui qui intéresse, qui polarise – aussi les jeunes. Ou au moins ceux des jeunes qui se déplacent un mardi après-midi. «Franchement, trente pages de Balzac, c'est bien plus chiant que quinze pages de la Constitution,» s'emporta ainsi Alessandra Luciano, 17 ans, euro-enthousiaste. Elle n'ira pas voter dimanche, trop jeune et Italienne, mais elle défend le traité bec et ongles et attaque surtout Claude Simon pour ce qu'elle estime être une «absence d'alternatives» des nonistes, demandant les caractéristiques exactes de cette «autre Europe» que prône son comité. Applaudissements à gauche de la salle, huées à droite. Car la quarantaine de jeunes, se perdant dans les dizaines de rangées de chaises beiges, s'était tout naturellement divisée en deux camps : les ouistes à gauche – devant Jean-Claude Juncker –, les nonistes à droite. Au fond de la salle, chaque camp avait son petit étal avec des dépliants en quadrichromie pour, respectivement contre le traité. Pour conquérir les jeunes dans les lycées ou à Planet RTL jeudi, Jean-Claude Juncker – l'ancien «Junior» de Helmut Kohl, qui s'était vanté d'être le plus jeune Premier ministre d'Europe à quarante ans, coquetant toujours avec son âge à la cinquantaine atteinte –, s'était préparé : qu'est-ce qui intéresse les jeunes? Quelles peuvent être leurs craintes? Quels avantages de l'unification européenne peuvent bien les intéresser? La téléphonie mobile bien sûr! «Tout n'est pas mauvais dans la libéralisation, dira-t-il. Avant la libéralisation de la Poste, l'envoi d'un SMS coûtait trente francs luxembourgeois!» Pour avoir cette réponse, une toute jeune femme avait demandé pourquoi le traité défendait une vision libérale de l'économie, alors que «c'est prouvé, le modèle anglo-saxon ne nous apporte rien, à nous, travailleurs». Claude Simon, lui, mettra en garde devant les excès de la libéralisation sauvage des services publics… Le matin, l'animatrice star de Planet RTL, Monica, avait affiché dans le Luxemburger Wort son «oui» pour l'Europe – les jeunes premier électeurs sont-ils désormais conquis, surtout après le passage de Jean-Claude Juncker? Peut-être. Mais peut-être qu'il n'a prêché que pour les conquis aussi, justifiant une politique  militaire européenne et indépendante – il y a deux ans, lors du début des bombardements de l'Irak par les États-Unis, ces mêmes jeunes étaient sortis massivement dans la rue pour protester contre cette intervention –, pour une Europe sociale, qui défende les démunis. Le référendum se déciderait-il sur les questions sociales? Le soir, le même Jean-Claude Juncker adaptait son discours au public : les paysans et vignerons invités par la Landjugend à Grevenmacher, dont beaucoup de membres du CSV (qu'on reconnaissait aux buttons pro-Constitution), assis avec un certain intérêt et beaucoup de discipline dans une grande salle du centre culturelle parfaitement symétrique, applaudissaient chaleureusement à la fin d'un discours désormais rôdé sur l'histoire douloureuse du continent au XXe siècle, le rêve de paix et de stabilité, la santé de l'euro, la nécessité de l'élargissement et la responsabilité du pays pour sauver l'Europe de la crise. Avec un accent particulier sur les questions touchant directement les paysans et les vignerons : sa passion dans la défense de la politique agricole commune, la nécessité d'une autonomie alimentaire du continent, la sécurité alimentaire… Devant un électorat nettement plus conservateur, plus de 200 personnes conquises au bout de deux heures, les questions militaires et d'équilibre mondial – à l'exemple de l'Irak toujours – touchent le public. Dans la salle, Fernand Boden, le ministre de l'Agriculture, et sa secrétaire d'État, Octavie Modert, écoutaient patiemment, restaient disponibles pour boire le vin d'honneur à la fin. Et dans un bureau de la capitale, François Biltgen chattait avec les internautes sur le site du gouvernement.

josée hansen
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