L’aménagement du territoire continue de se cogner contre l’autonomie communale. Les maires de Weiswampach, Boulaide, Vianden et Parc Hosingen revendiquent le statut de « centre de développement et d’attraction » pour justifier leur future croissance. Le ministre propose d’inscrire le principe de « l’utilisation judicieuse et mesurée du sol » dans la Constitution

« Les dividendes de la métropolisation »

Le maire de Weiswampach
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 24.03.2023

Publié en septembre dernier, le projet du Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) et les avis qu’il a générés expriment le rapport de forces entre l’État et les communes. Ils exposent aussi le sentiment de marginalisation dans le Nord rural du pays. À la page 150 de ce document se trouve un tableau détaillant le « modal split » pour les 26 communes de « l’espace d’action Éislek » : Le nombre d’habitants y passe de 66 000 à 53 000 entre 2022 et 2035. Une saignée démographique de 13 000 personnes sur les douze prochaines années ? Une erreur de calcul, regrette-t-on au ministère de l’Aménagement du territoire. Mais le lapsus est révélateur. Il exprime un des grands casse-têtes de la Landesplanung : Comment freiner la croissance des communes rurales ? Les impératifs sont pourtant clairs : lutter contre le bétonnage des sols, la dégradation des habitats naturels, le chaos routier et la « banalisation des paysages ».

La sobriété foncière en tout honneur, mais il ne faut rien exagérer : c’est ainsi qu’on pourrait résumer les cinquante pages de l’avis adopté par le Syndicat des villes et communes (Syvicol) en novembre dernier. Le lobby des maires plaide pour une approche « pragmatique ». Il veut plus de « souplesse », plus de « latitude », plus de « marge de manœuvre ». L’État devrait permettre aux communes rurales de saisir « les opportunités territoriales à venir » et « ne pas entraver de manière déraisonnable [leur] développement ». Un certain laxisme et l’attentisme transparaissent tout au long du document du Syvicol. Par exemple lorsqu’il évoque les voitures : « Le Syvicol met en garde contre une approche trop restrictive de limitation des emplacements de stationnement, tant sur le domaine public que privé ». Ou lorsqu’il aborde l’objectif de zéro artificialisation nette des sols (d’ici 2050) : « Il serait sage d’attendre la proposition qui sera faite au niveau européen ».

Dominé par les maires ruraux, le lobby s’inquiète pour les communes qui n’ont pas obtenu le statut de « centre de développement et d’attraction ». De tels CDA, il en existe une ribambelle : une d’importance européenne (Ville de Luxembourg), deux d’importance nationale (Esch-sur-Alzette et la Nordstad) et treize d’importance régionale (Clervaux, Vianden et Wiltz pour le Nord). Elles sont censées offrir une « armature urbaine » à leur hinterland et concentrer les deux tiers de la future croissance démographique. Mais le PADT désigne aussi 66 communes « à développement endogène » (Eigenentwicklungsgemeinden). Pour la plupart situées dans l’Éislek, elles ne devraient en théorie que croître de manière modérée. « Ce n’est donc plus une demande externe qui définit la croissance mais des besoins internes », note le nouveau PDAT.

Le Syvicol crie au « blocage du développement ». Les communes rurales risqueraient de voir leur « attractivité figée ». Les restrictions étatiques devraient « se limiter au strict nécessaire », autonomie communale oblige. « Les communes à développement endogène pourraient par exemple être ‘récompensées’ pour leur contribution au maintien du paysage rural et à la protection des ressources », lit-on dans le PDAT. Un passage qui provoque des remontées acides chez le Syvicol : « Ces communes sont en quelque sorte réduites à leur vocation écologique ». Par moments, le lobby des maires fait même l’éloge du backlash urbanistique post-Covid : « Les communes rurales offrent une qualité de vie recherchée par les citoyens qui, encore davantage après la crise sanitaire, ont pris conscience de la valeur de pouvoir sortir de chez eux et se promener dans la nature. »

L’indignation des édiles semble un peu feinte. À plusieurs reprises, le Syvicol note que le PDAT reste « sans valeur contraignante ». En fait, ce « document d’orientation » est aussi faible que le ministère qui l’a rédigé. La preuve : Les communes en ignorent royalement les recommandations depuis 1978, année de parution du premier PDAT. Or, elles sentent le vent tourner. L’avis du Syvicol se lit comme un prélude aux futures fractures environnementales et climatiques. Dans son « annexe II », le PDAT définit ainsi, commune par commune, le nombre d’hectares de sols qui pourront encore être artificialisés d’ici 2035. Même si ces seuils maximaux restent éminemment théoriques, ils ont causé un choc auprès des bourgmestres. Ils ont réalisé ce que les discours du dimanche pouvaient signifier concrètement, à l’hectare près. Les communes avaient jusqu’au 15 janvier pour faire parvenir leurs avis au ministère de l’Aménagement ; au moins trois s’insurgent contre leur classement en commune endogène. Elles revendiquent le statut de CDA.

Ces tentatives paraissent plus ou moins désespérées. Vianden s’est ainsi alliée à Parc Hosingen pour former un « CDA bipolaire ». Le bourg qui a donné son nom à un comté puis à un canton vient d’être dégradé en « commune endogène » par le nouveau PDAT ; une blessure narcissique. Sur le papier, Vianden est une « ville » depuis 1308, un titre auquel les fonctionnaires de l’Aménagement ne reconnaissent qu’une « importance symbolique », jugeant que les limites topographiques et le « niveau de centralité faible » ne lui permettraient pas de garantir l’approvisionnement (Daseinsvorsorge) de la région. Vianden et Parc Hosingen ont payé deux bureaux d’études pour entourer leur revendication politique d’une aura d’expertise. Même si les deux communes ne sont pas voisines, elles se considèrent comme « complémentaires ». Hosingen veut justifier a posteriori ses zones d’activités, Vianden met son patrimoine religieux et culturel dans la vitrine. Ensemble, elles espèrent « bénéficier d’un traitement prioritaire », c’est-à-dire exploiter leur potentiel de croissance démographique et économique.

Fin janvier, le maire de Vianden, Claude Tonino (LSAP), expliquait au conseil communal que l’enjeu du CDA « bipolaire » était de « pouvoir offrir aux gens tous les services et un certain standard de vie dont bénéficient également les autres gens dans ce pays ». Le Syvicol pose ouvertement la question si le modèle polycentrique « n’a pas vécu » et plaide pour la reconnaissance des « polarités de plus petite importance », celles qui pourraient jouer « un rôle de soutien des CDA ». Bref, toutes les communes seraient quelque part CDA. Dans les faits, cette logique revient à abandonner toute prétention de planification territoriale.

Le maire de Boulaide, Jeff Gangler, revendique, lui aussi, le statut de CDA pour sa petite commune rurale : « Sou frech si mir als Gemeng ». Le jeune politicien LSAP voit dans la croissance « une chance » : « C’est une opportunité pour développer de nouveaux services pour les gens, pour élargir notre marge de manœuvre ». Il est intarissable sur ses visions d’avenir : Une maison d’associations, un Point info jeunes, une cafétéria. Comme secteurs d’activités potentiels, il cite pêle-mêle l’éducation non-formelle, le « tourisme mémoriel », l’« Aktivtourismus ». Il songe également à « construire quelque chose dans le cadre de la santé mentale » : « Ici les gens peuvent décompresser ». Le maire de la commune sur les rivages du Stauséi avance un dernier argument, historique celui-là : « Une telle mesure favoriserait la confiance dans une région qui a fait beaucoup de sacrifices dans les années 1950, lorsque les terrains ont été expropriés et les vallées inondées ».

Gangler a peu apprécié les nouvelles limites calculées par le ministère : 1,92 hectare sur les douze prochaines années. Cette restriction serait « schwer umsetzbar » et empêcherait une « zeitnahe Lösung der Wohnungsnot », lit-on dans l’avis de Boulaide. La commune dispose de « Gesamtsiedlungsreserven » de 29 hectares, dont plus de huit vont être mobilisés « à court et à moyen terme », soit 500 résidents supplémentaires… « an dat ass fein gerechent », précise le maire. Sur les vingt dernières années, la population a doublé, pour atteindre quelque 1 500 habitants en 2023. « De très nombreuses familles se sont installées dans la commune où les terrains restent relativement bon marché », explique le maire. « Pour pouvoir s’offrir leurs quatre murs, les gens acceptent de faire une heure de voiture pour aller en Ville ». Dans son avis, le Syvicol constate, lui aussi, que les bonnes intentions de l’aménagement territorial sont submergées par le marché immobilier : « Aujourd’hui plus que jamais, le choix résidentiel des ménages est surtout dicté par leur budget logement ». Et de rappeler que les prix immobiliers constituent « la principale explication de la dynamique de croissance des communes plus rurales ».

Weiswampach livre l’exemple le plus caricatural du phénomène de rurbanisation. La commune le long de la N7 s’est muée en Kirchberg ardennais. Le laxisme urbaniste de son maire, Henri Rinnen (DP), en a fait une destination de choix pour les capitaux belges se cherchant une adresse grand-ducale. C’est une version Éisleker de la success story offshore. Dans les années 1980, les banques y implantèrent de grandes agences pour capter la clientèle des évadés fiscaux. Dans les villages, les bungalows et maisonnettes alternent aujourd’hui avec les sièges de fiduciaires, de sociétés de construction, de gestionnaires d’actifs, de promoteurs immobiliers et de firmes de transport. Sans oublier les stations-service qui ont fourni les fondements à de nouvelles fortunes locales, comme celles de Jos Massen et de son gendre Arsène Laplume, qui avaient lancé, à la fin des années 1980, le Shopping-Center Massen. Dans l’étude préparatoire de son PAG, la commune évoque pudiquement « une organisation urbaine hétéroclite » et « une problématique urbaine en milieu rural ».

La soif de croissance du maire mène régulièrement le conseil communal au bord de l’implosion. Âgé de 74 ans, Henri Rinnen ne se présentera plus aux élections. Il aura été bourgmestre de 1995 à 2023, un poste que son père, mort en exercice en 1969, avait occupé avant lui. Ce sera donc son successeur qui coupera le ruban du nouveau complexe hôtelier actuellement en construction au bord du lac. Financé par le groupe wallon Lamy, il comptera 89 chambres. Il serait simpliste de réduire cette expansion à la mégalomanie d’un manager-maire. Car chez les anciens Wämper, la mémoire de l’exode et du dépeuplement reste vive. Entre 1935 et 1975, la population de Weiswampach s’était divisée par deux, passant de 1 430 à 789. Les indicateurs statistiques révèlent la fracture sociale qui sépare l’Ösling de la capitale. Moins de vingt pour cent des élèves de Vianden intègrent le lycée classique, à Weiswampach ce taux reste inférieur à trente pour cent.

Sans surprise, la commune de Weiswampach prétend au titre de CDA. Elle insiste sur l’importance de la N7, « d’un statut international ‘Europastrooss’ », qui traverse le village : « Les CDA ne devraient pas être déterminés en fonction de la présence ou non du réseau ferroviaire ». Alors qu’Esch, Dudelange et Schifflange ont leurs friches sidérurgiques, Weiswampach « se questionne » sur les « futures réhabilitations des actuelles stations-service très présentes dans la localité ». « Dans les décennies à venir », ces symboles du capitalisme fossile vont « tendre à disparaître ou à se muer et un nouveau potentiel de développement sera créé ». Le PAG de Weiswampach mise sur « des gabarits plus importants dans le but d’attirer une population importante et ainsi favoriser l’équilibre entre le nombre d’emplois et le nombre d’habitants ». (La commune compte 2 100 résidents pour 4 000 emplois.) En toute logique expansionniste, le conseil échevinal « ne souhaite pas que le PDAT impose une surface maximale d’artificialisation du sol ».

« Weiswampach ass eigentlech scho verschass », analyse Romain Diederich. Le professeur en géographie à l’Athénée avait occupé, entre 2004 et 2014, le poste de coordinateur général au département de l’Aménagement du territoire sous les ministres CSV Hals-
dorf et Wiseler. « Dans de nombreuses communes, le point de non-retour est atteint. Cela n’aurait jamais dû arriver, mais cela est arrivé. Le mal est fait. Alors que faire maintenant ? Va-t-on leur dire : ‘C’est fini, on va mettre la commune sous cloche’ ? Ou va-t-on tenter de développer l’ensemble et essayer de lui donner un minimum de cohérence urbanistique ? Le Duerfcharakter, vous n’allez de toute manière plus pouvoir le reconstituer ». Diederich parle de « dividendes de la croissance » dont les communes du Nord auraient finalement peu profité. Même s’il ne la partage pas, la réaction des maires ruraux lui paraît quelque part « compréhensible ». Ils se seraient toujours sentis laissés-pour-compte. « On leur a dit : Fusionnez, fusionnez ! Ils l’ont fait. Mais maintenant l’État leur dit de ne plus croître ». Si on voulait freiner la croissance des communes rurales, il faudrait les compenser « pour qu’eux aussi profitent des bénéfices de la métropolisation ».

Avec les économistes du think tank patronal Idea, Romain Diederich vient de pondre un papier de réflexion intitulé Une vision territoriale pour le Luxembourg à long terme. Dans ce pavé de 261 pages (la « synthèse » en fait 131), les auteurs font un constat d’échec. Le PDAT de 2003 n’a pas réussi à canaliser la croissance. Si la capitale a vu sa part dans la population globale passer 17,6 à 19,3 pour cent (« ce qui, sur un laps de temps aussi court, est considérable », note Idea), les autres CDA ont connu des croissances faibles, échouant à remplir l’objectif d’une « déconcentration concentrée ». Dans son papier, Idea constate que « l’étalement urbain semble toucher la totalité du pays ». Dans l’Éislek, les densités se sont fortement renforcées, au point de rendre « moins nette la différenciation entre les espaces ruraux et les espaces périurbanisés ». Faire renoncer les communes rurales à développer leurs réserves foncières semblerait « a priori impossible sans mesures à la fois incitatives et contraignantes d’une ampleur inédite ».

Le think tank de la Chambre de commerce évoque sans fausse pudeur l’« interprétation très stricte du droit de propriété par les tribunaux et également la Cour constitutionnelle ». Le penchant propriétariste des magistrats limite fortement le pouvoir du ministère de l’Aménagement du territoire. Idea pointe « une forme d’anachronisme sociétal » : « Face à un développement économique dont bénéficie une grande majorité de la population, l’État n’a pas les moyens de mettre en œuvre un aménagement de ce développement utile à la collectivité ». En octobre 2013, la Cour constitutionnelle jugeait ainsi que le déclassement de terrains (de zone constructible en zone non-constructible) était « équipollent à une expropriation », dans le sens où il limitait « de manière significative l’usage d’un des éléments du droit de propriété ». Concrètement, cela veut dire que les communes devront prévoir une « juste indemnité », à déterminer par le juge civil. Depuis ce jugement, les édiles sont tétanisés à l’idée de réduire les périmètres. « Mögliche Schadensersatzansprüche dürfen auf keinen Fall auf die Gemeinden abgewälzt werden », écrit ainsi la commune de Boulaide dans son avis sur le PADT.

La question paraît technique, mais elle déterminera l’aspect futur du pays. Durant les années 1970-1990, les communes rurales avaient largement ouvert leurs périmètres constructibles, créant des plus-values (potentielles) pour les familles établies. Un gigantesque réservoir s’est ainsi constitué, dont l’étude « Raum+ » a une première fois détaillé l’étendue en novembre 2021. Dans les commues à « développement endogène », la disponibilité foncière représente 1 643 hectares, soit plus que l’agglomération Centre et la région Sud réunies. Si toutes ces parcelles rurales étaient effectivement mobilisées, cela représenterait un potentiel de plus de 110 000 habitants ; une explosion de l’univers pavillonnaire. Le PDAT reste prudent quant à l’interprétation historique à donner à cet héritage toxique. Plutôt que de clientélisme, le ministère de l’Aménagement y voit l’expression de « l’approche de croissance volontariste de l’époque » (et, incidemment, la preuve que les communes se fichaient de ses recommandations). « Eu égard aux craintes liées aux dédommagements financiers des propriétaires », ce stock constituerait « un des obstacles premiers à un développement territorial coordonné et concentré », lit-on dans le nouveau PDAT.

Comment faire dès lors pour assainir les gigantesques périmètres en milieu rural ? Les services de Claude Turmes avancent quelques pistes. Elles nécessiteraient toutes de profonds changements législatifs, voire constitutionnels, pour lesquels une majorité est tout sauf acquise. Elles risquent toutes de déclencher une rafale d’oppositions formelles de la part du Conseil d’État. Le ministère de l’Aménagement rêve à voix haute de la Suisse. Le Luxembourg devrait s’inspirer de la Confédération helvétique et inscrire « l’utilisation judicieuse et mesurée du sol » et « l’occupation rationnelle du territoire » dans sa Constitution, lit-on dans le plan directeur. La question d’une telle consécration des principes de l’aménagement du territoire se poserait « inévitablement ». Le Syvicol demande à voir. Son avis lance des amabilités au ministère, dont les stratégies sont tantôt décrites comme « quelque peu naïves et superficielles », tantôt comme « quelque peu utopistes, voire incantatoires ».

Le mécanisme d’un « fonds de compensation », alimenté par une taxe sur la plus-value, paraît encore la plus réaliste, en comparaison du moins. De nouveau, l’idée est Swiss made. Avant que Claude Turmes ne la reprenne, son camarade de parti François Bausch l’évoquait déjà dans ses interviews. Dans la Confédération, les plus-values foncières réalisées suite à des mesures d’aménagement du territoire sont taxées à hauteur de vingt pour cent depuis 2012. Un propriétaire qui voit sa Kouwiss reclassée en zone constructible doit donc passer à la caisse. Les recettes servent à indemniser les propriétaires dont les terrains ont perdu en valeur suite à un reclassement. Le Syvicol « se félicite » d’une compensation financière, qui rappelle celle souhaitée par Michel Wolter en décembre 2021. Face au Land, le député-maire CSV de Käerjeng avait plaidé pour « une réassurance étatique » couvrant l’assainissement des périmètres. Ce ne serait pas aux communes de porter le risque « fir geklaakt ze ginn », estimait alors l’ancien ministre de l’Intérieur.

Romain Diederich, lui aussi encarté au CSV, dit avoir « beaucoup de sympathie » pour un tel mécanisme (qui figure également parmi les propositions d’Idea), tout comme pour les « transferable development rights », proposés par le ministre. Mais il met en garde : « De tels outils nécessiteraient un appareil d’État extrêmement efficace, avec un manpower à la hauteur. Ce serait un véritable tour de force. Mais que faire d’autre ? » Faire sauter le verrou institutionnel de l’autonomie communale, est-ce possible ? « Si la volonté politique existait dans tous les partis et dans tous les ministres, on pourrait sérieusement faire pression. À mon époque, au ministère, je n’ai jamais ressenti cette pression comme étant assez forte ». Dans son papier de réflexion, Idea note sèchement que « l’aménagement étatique du territoire n’a jamais joué un rôle de premier plan dans l’appareil gouvernemental luxembourgeois ».

En attendant, le plan directeur reste un tigre de papier. Lentement, il suit son chemin. La phase de consultation s’étant achevée en février, le projet devrait passer une première fois au conseil de gouvernement fin mai, pour ensuite être discuté à la Chambre et finalement avalisé par le conseil de gouvernement. La campagne électorale battra son plein. Les propositions de Turmes finiront-ils dans les tiroirs au lendemain du 8 octobre ? Peut-être. Mais les objectifs de « zéro artificialisation nette » et l’impératif de la densification s’imposeront au prochain gouvernement, quelles qu’en soient les couleurs. Idea propose de placer l’aménagement du territoire sous la tutelle du Premier ministre, afin de lui conférer « le poids politique suffisant » pour occuper « une position d’arbitre entre des politiques sectorielles ».

L’incohérence des politiques a en effet contribué à pousser les communes rurales à la croissance. Tant la réforme des finances communales que les règlements sur les stations d’épuration ont produit des effets pervers. La commune de Boulaide met le doigt dans la plaie : « Die finanziellen Fördermittel [sind] primär von der Einwohnerzahl abhängig, da das Einwohnerwachstum jedoch begrenzt wird, stellt dies die Finanzen endogener Gemeinden vor große Herausforderungen». Quant aux stations d’épuration, leurs dimensions doivent correspondre au potentiel démographique du périmètre constructible. Les communes sont donc tentées de la rentabiliser en augmentant le nombre d’habitants. Dans son avis, Weiswampach en fait un argument pour se voir reclassée en CDA : « Les localités sont reliées à une station d’épuration MODERN 3 avec une capacité supérieure à 5 000 habitants » ; soit plus du double de leur population actuelle.

Bernard Thomas
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