Danse urbaine au GTVL...

Orfèvres du mouvement

d'Lëtzebuerger Land du 24.02.2012

Pépinière de talents issus de toutes les danses, le festival Suresnes Cités Danse, a su susciter des rencontres artistiques inédites entre la nouvelle scène hip-hop et des chorégraphes talentueux (entre autres : Kader Attou, Abou Lagraa, Blanca Li, Mourad Merzouki, José Montalvo, Pockemon Crew ou Wanted Posse). Sur base de cet échange entre danse hip-hop et contemporaine et afin de marquer en 2012 ses 20 ans, son directeur artistique Olivier Meyer a proposé à un chorégraphe international incontesté, Angelin Preljocaj, et à une grande signature de la performance, Robyn Orlin, de créer deux nouvelles pièces chorégraphiques.

Sur base de cette carte blanche, l’un et l’autre ont auditionné des danseurs pour lesquels ils ont conçu chacun une pièce empreinte de leur savoir-faire et de l’univers des danseurs, respectivement intitulées Royaume-Uni et With astonishment we note the dog. Les créations ont été reprises toutes deux lors d’une même soirée, le week-end dernier, au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg.

Royaume-Uni, donnée en deuxième partie de la soirée, est la rencontre entre Angelin Prelocaj et quatre danseuses de hip-hop sur le thème de l’écriture. Angelin Prelocaj, artiste de renommée internationale dont plusieurs pièces sont entrées aux répertoires de ballets du monde entier, a chorégraphié depuis la création de sa compagnie en 1984, 38 pièces, du duo aux grandes formes et tant le New York City Ballet que l’Opéra national de Paris se l’arrachent. L’une de ses créations est présentée pour la seconde fois au Luxembourg, après Suivront mille ans de calme, créé dans le cadre de l’année France / Russie et jouée en octobre 2010 au Grand Théâtre.

Ciselant les mouvements et l’espace avec une précision et une grâce inouïe, Royaume-Uni est littéralement acclamé par le public. Prenant le contre-pied du genre urbain, il n’y a aucun danseur et aucune agressivité. À l’inverse, effleurant le langage chorégraphique hip-hop éloigné du sien, il se concentre sur les élans et les suspens de ce type de danse… un vrai travail d’orfèvre du mouvement. Chaque geste est véritablement chargé d’une grande émotion, la salle est plongée dans un silence profond. Les danseuses semblent avoir été toutes modelées pour l’élégance, la douceur et la féminité dans une œuvre abstraite d’une très grande beauté.

Autre regard sur la danse urbaine, With astonishment we note the dog est la rencontre entre Robyn Orlin et sept danseurs hip-hop. Scénographie colorée, imagination débordante, capacité à détourner certains codes chorégraphiques et à refuser les impératifs de la virtuosité, la chorégraphe canalise l’énergie du hip-hop. Mélange d’interaction avec le public en introduction et en conclusion de ses spectacles, de théâtre, de happening, d’utilisation de la vidéo, de grands espaces pour l’improvisation, la recette est toujours la même et fonctionne bien. Le show ne débute évidemment pas sur la scène, mais dans la salle, par une course en sac en papier kraft brun des danseurs évoquant différentes parties des animaux : couleur de la robe, poil, queue… Débordements de câlins et grognements de satisfaction aux spectateurs sur fond de musique de chasse à courre, le thème central de l’animal chien en fait une pièce pleine de mordant.

Certains sont restés sur leur faim, car les passages dansés étaient trop rares. L’exploration des rapports dominants-dominés et le parallèle immédiat avec la compétition et le statut de la danse hip-hop de culture populaire longtemps relayée au second plan aurait pu entraîner plus de battles ! Les danseurs, loin d’être tous des orateurs, étaient dans certains moments narratifs trop bavards et peut-être leur énergie instinctive apparaissait alors trop canalisée. L’animal, chat ou chien, miroir de l’homme avec son ambivalence d’humanité, de violence et de servilité était encore contenu…

Emmanuelle Ragot
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