Deux étapes, deux approches : la maternité et la préménopause. Des sujets féminins et féministes à Dudelange

Cycles de femmes

Darja Linder, tout ce qui passe par la tête enceinte
Photo: MB
d'Lëtzebuerger Land du 17.10.2025

Darja Linder, tout jeune artiste diplômée et habitant à Sarrebruck, nous propose avec mute, à la galerie Dominique Lang à Dudelange, une sorte d’interlude dans l’approche des thèmes activistes féministes sur lesquels elle travaille depuis 2018. Révélée jeune talent 2025 à la Biennale de Mulhouse, elle consacre toute l’exposition présente à la maternité et aux liens de femme à femme qu’elle a découverts à cette occasion avec sa mère. Mais la langue parlée dans le cercle familial, à l’insu de l’enfant, va se révéler un problème identitaire auquel elle se s’attendait pas.

La famille Linder a été déplacée d’Allemagne vers la Russie soviétique après la Seconde guerre mondiale. La jeune Darja (née en 1992) est élevée en russe et ne parle pas sa langue maternelle, l’allemand. La voilà qui se retrouve à réapprendre l’allemand quand, petite fille, elle émigre avec sa famille… en Allemagne.

Se posant des questions sur l’identité qu’elle va transmettre à son enfant, elle illustre par la matriochka, cette poupée russe gigogne, la culture qui est devenue la sienne, où les figures féminines sont emboîtées les unes dans les autres. Enceinte, c’est la première image qui lui est venue pour se représenter dans le domaine qui est le sien, les arts plastiques. Elle se photographie le corps surmonté de la tête ballon toute ronde de la poupée.

On la retrouve, déclinée dans son moyen d’expression privilégié, des peintures un peu naïves, façon « princesse de la pop ». Britney Spears était son idole à l’adolescence. Il y a aussi dans mute, des tableaux qui expriment l’activisme social et politique sur lesquels elle travaille depuis plusieurs années. Mais voilà la maternité. Que va-t-elle transmettre à son enfant, après les tribulations géopolitiques de sa famille, la langue familiale tue et les pourquoi de son abandon, la langue imposée, la langue maternelle, réapprise comme une étrangère.

Que va-t-elle léguer à cet enfant comme fil conducteur qui, vu les circonstances de sa vie et de celle de sa famille, est une mutation : mute. On découvre dans l’exposition, une vidéaste de talent, qui s’essaye ici pour la première fois à ce média et livre deux œuvres intéressantes. Dans la vidéo mute, éponyme du titre général de l’exposition, Darja Linder s’appuie sur la matriochka et ses répliques emboîtées. Un stéréotype des femmes, mères de génération en génération, devient bien autre chose : un appui qui raconte une trajectoire et sa position dans la lignée.

Dans Loreley, autre courte vidéo, Darja Linder utilise l’image stéréotypée de la fille slave, longues tresses blondes alourdies de pompons, image sexualisée véhiculée dans l’imaginaire masculin de l’Europe de l’Ouest. C’est une seconde peau, des tresses et des pompons même accrochés aux seins, sans visage. Darja Linder, ainsi costumée est le corps des femmes qui a une histoire, un pouvoir. Des atouts (et atours), y compris sexuels pour la lutte et la mutation du pouvoir du genre féminin.

À Nei Liicht, la Luxembourgeoise Jeannine Unsen, que nous étions plus habitués à voir manier l’art de la photographie, s’est attaquée, en plusieurs étapes sous forme d’installations, à un phénomène physique et socialement bouleversant les femmes dans la quarantaine : la préménopause. Jeannine Unsen ne travaille pas ici sur la valeur du corps féminin qui ne va plus pouvoir enfanter, mais sur le ressenti physique de la réappropriation à venir de sa vie de femme, à soi.

Les troubles physiques mal traités par la médecine, Jeannine Unsen s’est tournée vers d’autres méthodes (dont le chamanisme), des lectures féministes (elle en a trouvé peu) et le compagnonnage d’autres femmes. On l’aura compris, Moustaches graçias est un essai de reconquête de soi, suivant plusieurs étapes exprimées en installations plastiques : adieu les assiettes domestiques, sinon ornées d’images de femmes à la science ancestrale, bienvenue à un temps de douceur dans une yourte-uterus dans laquelle on renaîtrait.

On peut aimer ou pas les essais formels d’une période de la vie du corps des femmes par Jeannine Unsen. Le titre Moustaches graçias est un peu maladroit, en clin d’œil aux poils qui poussent au menton, signe visible du changement hormonal. L’essentiel du travail de Jeannine Unsen n’est pas là mais le questionnement : la vie des femmes en tant que mères, l’enfantement comme valeur socio-économique sont-ils ce qui doit les satisfaire ? 

Une réponse de Jeannine Unsen est dans une vidéo à laquelle elle s’essaie à Dudelange, comme Darja Linder. Des femmes-sœurs, de la quarantaine à la vieillesse, se passent le relais de la sagesse dans une belle lumière de clairière. Celle des wise women, un livre qui a inspiré Jeannine Unsen : La ménopause non seulement libère, mais donne le pouvoir d’être soi. 

Marianne Brausch
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