Luxair

Zone de turbulences

d'Lëtzebuerger Land du 23.12.1999

Confortablement installé dans son fauteuil, Marcel Barthels* lit le Financial Times. Passager du vol Luxair LG 251 du 8 mars 1997 à destination de Nice, il jette un coup d'oeil distrait à travers le hublot. L'avion est en train de survoler les Alpes, dont les sommets couverts de neige se découpent dans le ciel d'azur. Brusquement, l'avion vire de bord et les voyants lumineux s'allument. L'hôtesse annonce l'arrivée imminente à Nice. Marcel Barthels s'étonne, l'avion n'est en route que depuis une demi-heure à peine. Et tandis que l'avion continue sa descente, les autres passagers commencent à s'agiter, quelque chose d'anormal est en train de se passer. Au bout de cinq minutes, qui paraîssent une éternité, nouvelle annonce de l'hôtesse : « En raison d'irrégularités de pression, nous sommes obligés d'attérrir à Genève ».

De la communication ne passe pas...

Dès qu'il s'arrête sur le tarmac de l'aéroport de Genève, l'avion est entouré de voitures de pompiers, girophares allumés et les passagers sont évacués en toute vitesse vers une salle de transit de l'aéroport. Ils ont le temps de voir que les turbines des hélices sont noircies et fumantes. Pendant plus de deux heures, on les laisse poireauter dans la salle de transit, aucun représentant de Luxair ne s'occupe d'eux et a fortiori, ne leur fournit la moindre explication. Vers midi, ils sont finalement embarqués sur un vol Crossair qui les amène sains et saufs à Nice.

Les agences de presse rapportent cet atterrissage forcé qui s'est heureusement passé sans incident majeur. Luxair réplique par un communiqué de presse, déclarant que cette étape intermédiaire a été faite pour le confort des passagers.

Marcel Barthels ne se contente pas de ces explications farfelues. Revenu à la maison, il écrit une lettre au directeur de Luxair pour demander des précisions. Cette lettre reste sans réponse. Ce n'est que quatre semaines plus tard, suite à une deuxième lettre, cette fois-ci recommandée, que Luxair daigne répondre à Marcel Barthels par des explications techniques incompréhensibles pour un profane. Cet incident donne lieu à une interpellation parlementaire de la part du député libéral Émile Calmes à laquelle la ministre des Transports répond en invoquant des raisons de sécurité.

Sur la même ligne, le vol Luxair LG 254 Nice-Luxembourg du 7 septembre 1998 est stoppé en bout de piste au moment où il s'apprête à décoller en raison de l'alerte donnée par un détecteur de fumée situé dans la soute. En fait, il s'agit d'une fausse alerte, mais il en résulte un retard de douze heures.

La sécurité en aviation, c'est sacré, et il n'y a rien à redire aux mesures prises par Luxair. Mais il ne faudrait pas pour autant prendre les clients pour des retardés mentaux. Pourquoi leur raconter des salades, pourquoi attendre des semaines entières avant de leur fournir des réponses qui les laissent sur leur faim ? Décidément, à la Luxair la communication ne passe pas.

... au dédain et mensonges

D'ailleurs, dans ses rapports avec les clients qui se plaignent, Luxair fait preuve d'un dédain hautain et n'hésite pas à recourir au mensonge.

Exemple : au printemps 1999, Luxair ouvre deux nouvelles lignes vers Marseille et Montpellier. Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir qu'il serait impossible d'obtenir un taux de remplissage suffisant pour deux avions à destination de deux villes distantes d'à peine cent kilomètres (en plus de la ligne existante sur Nice). C'est ce qui se produisit effectivement au bout de quelques semaines. Que fit Luxair ?

Les vols non stop sur Marseille et Montpellier, lancés à grands renforts de publicité, furent remplacés par un seul vol Luxembourg-Marseille-Montpellier, ce qui mettait cette dernière ville à trois heures de Luxembourg ; avec une moyenne de 300 kilomètres à l'heure ! - avec le même inconvénient pour les passagers Marseille-Luxembourg, qu'on trimbalait via Montpellier. Aux passagers qui se plaignaient de cette situation, Luxair répondit qu'il s'agissait d'une « consolidation pour des raisons économiques ». Consolidation pour Luxair peut-être, mais qu'en est-il du confort des passagers ?

De même, en abandonnant également, après des campagnes publicitaires coûteuses, les destinations de Stuttgart, Bologne et Reykjavik, Luxair déçoit bon nombre de clients potentiels.

Quant au désastre new-yorkais pour lequel Luxair s'était embarqué sans biscuits et sans étude de marché sérieuse, il était programmé. Et quand Luxair prétend que le taux de remplissage sur ces vols était satisfaisant, du moins en classe « Économie », il s'agit d'une contre-vérité flagrante. Je n'en veux que pour exemple le vol LG 002 New-York - Luxembourg du 22 juillet où 66 (!!) sièges étaient inoccupés en classe Économie, tandis que la classe Business était totalement vide ! Et ceci en haute saison touristique. Et nombreuses étaient les réclamations pour cette destination : la nourriture (américaine) sur les vols retour était souvent détestable et les avions loués (à prix d'or) auprès de la compagnie belge City Bird n'étaient pas tous du même modèle. Certains présentaient des sièges confortables pour des pygmées, mais pas pour des Luxos bien enveloppés.

Luxair ignore superbement ces réclamations, sachant que ses excellentes relations avec la presse (billets de faveur et autres bonbons) verrouillent l'accès des plaignants au grand public.

À de rares exceptions près. C'est ainsi que les journaux ont récemment rapporté un incident qui montre l'incapacité de Luxair de gérer des situations de crise. Un groupe d'une quinzaine de personnes avait organisé un voyage d'études avec départ à Luxembourg via Francfort. Il s'avéra que le jour du départ, l'aéroport de Luxembourg était fermé en raison d'un épais brouillard. Il restait cependant largement de temps pour organiser un transport par bus, mais Luxair fut incapable de prendre une décision rapide. Résultat des courses : lorsque le bus poussif affrété par Luxair finit par arriver à l'aéroport de Francfort, l'avion pour la Chine s'était envolé depuis belle lurette. Cette affaire, comme tant d'autres, serait certainement restée ignorée du grand public. Malheureusement pour Luxair, le groupe des passagers était conduit par un avocat particulièrement vindicatif qui a promis de traîner Luxair devant les tribunaux.

Vivre avec la concurrence

En vérité, Luxair croit encore vivre à une époque où les compagnies nationales dictaient leur loi sans devoir se préoccuper du voisin. De cette époque datent les prix prohibitifs qui sont encore pratiqués allègrement aujourd'hui.

Deux exemples pris au hasard :

- un séjour de deux semaines à l'Hôtel Aziza à Hammamet (Tunisie) est offert, pour la même période, au prix de 25 450 francs par le tour operator belge Sunair et au prix de 31 100 francs par Luxairtours ;

- un séjour de deux semaines à l'hôtel Beach Club à Agadir (Maroc), très prisé par la clientèle luxembourgeoise, revient à 55 750 francs avec Sunair et à 62 480 francs avec Luxairtours.

Quant aux longs séjours dans les pays chauds durant la saison d'hiver, les différences entre Luxairtours et des tour operators allemands peuvent atteindre jusqu'à cinquante pour cent. Certes, Luxair fait valoir la qualité de son matériel, le parking gratuit à l'aéroport de Luxembourg et l'excellence de ses services. Il est vrai que Luxair dispose d'avions jeunes et a été exempt d'incidents graves jusqu'à ce jour. Touchons du bois.

Il est vrai aussi que c'est commode de savoir qu'on trouvera toujours un parking gratuit à moins de 300 mètres de l'aéroport et que le service à bord est convenable, ce que l'on ne peut pas toujours dire des charters allemands et belges.

Mais à regarder les énormes différences de prix, on constate que les avantages de Luxair se payent finalement très cher.

Les gens qui comptent leurs sous et économisent dur toute l'année pour se payer des vacances en avion - tout le monde ne dispose pas des salaires faramineux et des retraites avec pension complémentaire de plus de 80 (!!) millions des hauts dirigeants de la Luxair - un franc reste un franc et l'on est de plus en plus tenté de jeter un coup d'oeil du côté de Bruxelles, Metz ou Sarrebruck.

Dans le Hunsrück voisin, les Allemands sont en train d'aménager l'ancienne base aérienne américaine de Hahn en aéroport pour vols charters et de fret. Dans ce coin perdu à faible densité de population, les avions peuvent atterrir de jour et de nuit, les taxes d'atterrissage sont réduites au minimum, d'immenses parkings gratuits se trouvent à côté des pistes d'envol et cet aéroport est en train de connaître un accroissement phénoménal. À Hahn, on est bien décidé à casser les prix. Luxair (et Cargolux) devra faire des efforts considérables, descendre de son piédestal et sortir de sa tour d'ivoire pour aller à la rencontre de sa clientèle. Ce ne sera pas facile, mais c'est encore jouable.

* il ne s'agit pas d'une personne fictive

Paul Cerf
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