L’artiste Andrea Mancini propose une expérience visuelle et sonore d’un monde revendiqué par la jeune génération au Casino Display

L’entre-soi d’aujourd’hui

d'Lëtzebuerger Land du 23.07.2021

L’auteur de Surveiller et punir, le philosophe Michel Foucault, critique des institutions sociales et de leurs pouvoirs répressifs dans les années 1970, avait averti sur la société normative globale d’aujourd’hui. Après le succès de la french theory dans les années 1980 aux États-Unis, la philosophe américaine Judith Buttler a mis en question la normativité « homme » ou « femme » dans son travail sur le « trouble dans le genre ». Aujourd’hui, au premier quart du 21e siècle, certains de la jeune génération revendiquent, bien plus qu’une liberté sexuelle, une identité autre, au point de se retrouver dans des communautés fermées, après que les générations précédentes sont descendues dans la rue : féministes, gays, lesbiennes, queers.

L’artiste Andrea Mancini (né à Esch-sur-Alzette en 1989), donne une expression plastique aux « hétérotopies » ainsi dénommées par Foucault. C’est un choix « contre » la norme, exprimé sous la forme de zones pacifiées, les safe zones, auquel l’artiste plasticien a su donner une expression visuelle, dans les espaces normés qui les entourent. Andrea Mancini est aussi artiste sonore. Il a créé des ambiances musicales sur base des ondes magnétiques qui traversent les pièces de la maison qui accueille New Age Landscape : fluides, disruptés par des moments de chocs auditifs intermittents, perturbants.

Dans le monde qui est complexe, ce dualisme entre le bien et le mal, ce qui est bon et ce qui est mauvais, l’entre soi des safe zones est peut-être naïf, voire égoïste. Mais Andrea Mancini montre d’entrée qu’il n’est pas dupe. Ainsi, dès la première pièce Flag zone, il annonce la couleur : un ciel bleu idyllique, traversé par des slogans qui invitent au bonheur (everything is fine, it’s ok), est provoqué par son drapeau de pirate, son étendard. Sur fond blanc, un champ croisé de lignes rouges.

À la cave, voici la safe zone matérialisée par une boîte en méthacrylate, interprétation moderne de la caverne. Sur un écran, est projeté un paysage du Müllerthal. D’étonnants rais pastels, très doux, obtenus par l’analyse du spectre des couleurs réelles sur ordinateur… Andrea Mancini, artiste sonore électronique contemporain, qui a connu le succès international en 2014 avec son projet musical Cleveland, est aussi sorti diplômé d’études de typographie, de graphic design et de communication visuelle de l’École de Recherches Graphiques (l’ERG) en 2016 (lire son portrait dans d’Land du 14 mai 2021).

Mancini sait donc manier les outils sophistiqués de la technologie et de l’informatique, la communication graphique. En guise de guide, il propose un flyer où les installations sont dessinées. Ses installations sont aussi en matériaux simples, de chantier et de construction. Toujours au sous-sol, voici les hétérotopy zones. Mancini projette sur un écran les vidéos de « zones autres » (espace mémoriel du cimetière militaire de Sandweiler, pistes vers l’ailleurs de l’aéroport du Findel, un club « underground » sous une gare à Bruxelles – il est un adapte de la club culture urbaine née aux États-Unis dans les années 1980 – et, plus apaisant, les serres du jardin botanique de Metz).

La dualité ici n’est pas binaire, entre le bien et le mal, mais technologique, puisque sur l’écran jumeau, est projetée l’analyse 3D synthétique de ces espaces réels. L’installation la plus sophistiquée est sans doute l’Acces/Non Acces zone. Sur un mini-écran, défile en noir et blanc, l’image numérisée de l’objet filmé derrière un filet de chantier. Mancini a donc utilisé ses cinq mois de résidence pour non seulement travailler sur le son et des sensations visuelles, il a aussi créé de nouvelles formes plastiques. Remonté au rez-de-chaussée de Display, on découvrira Tape Recorder Zone et Tape Zone, les deux dernières installations du parcours de New Age Landscape.

Tape Recorder Zone matérialise l’ambiance sonore : une bande magnétique tourne autour de plots de chantier, eux-mêmes posés sur des briques creuses en béton. Mais rien n’est littéral. Le triangle ainsi délimité est une « safe zone » et le son, enregistré, celui des ondes magnétiques qui traversent la pièce. Tape Zone enfin, est presque un test pour le visiteur, qui, ou bien suivra la ligne rouge indicative du parcours qui longe les murs de la pièce, soit il osera traverser la pièce et la zone de perturbation..

New Age Landscape, d’Andrea Mancini, est à voir au Casino Luxembourg Display (1, rue de la Loge) jusqu’au 31 juillet, les jeudis, les vendredis et samedis

Marianne Brausch
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