« A repository of identity and rights »

d'Lëtzebuerger Land du 24.10.2025

Roger Hearn, le directeur des secours et des services sociaux de l’UNRWA, était de passage au Luxembourg la semaine dernière pour évoquer « one of the few things which gives us hope ». Durant plusieurs jours, il a échangé avec des diplomates, historiens, archivistes et informaticiens luxembourgeois sur la digitalisation des archives de l’agence de l’Onu. Un projet que le Luxembourg soutient aussi financièrement en y injectant un million et demi d’euros sur trois ans. La question archivistique est éminemment politique : La documentation de l’UNRWA « supports claims to identity, lineage, and origin », rappelle un récent « strategic assessment » commandité par le secrétaire général de l’Onu. Le statut de réfugié palestinien se transmet des parents aux enfants. Les archives seraient « a repository of identity and rights », souligne le rapport onusien. Celui-ci n’est guère enthousiaste. Il constate que l’agence chargée des réfugiés palestiniens (en fait un quasi-État) fait face à la possibilité d’un « disorderly collapse ». Pour l’éviter, un des scénarios envisage le transfert des services sociaux (l’éducation et la santé) de l’UNRWA aux pays-hôtes et à l’Autorité palestinienne, pour se concentrer sur le rôle de « custodian of Palestine refugee rights, registration, and legal identity ». Les archives se retrouveraient donc au « cœur » de la future UNRWA.

L’agence fait face à une crise existentielle alors que Gaza est un vaste champ de ruines, un territoire devenu invivable. (Sur les 67 000 victimes de l’offensive israélienne, figurent 380 employés de l’UNRWA.) Ce vendredi, Roger Hearn relate au Land sa visite de dix jours dans l’enclave sous les bombes. Cet Australien expatrié y avait vécu au-début des années 2000, et il y était retourné régulièrement par la suite. Ce qu’il a vu en novembre 2024 aurait été pire que ce qu’il avait pu imaginer : « It’s gone… I couldn’t recognize anything. It was apocalyptic. »

Roger Hearn a coordonné le sauvetage des archives de Gaza dans les premiers mois de la guerre. Il y a quelques mois, Le Monde a révélé cette opération secrète, titrant : « Les documents attestant du statut de réfugiés de centaines de milliers de Palestiniens ont été sortis de l’enclave, sous les bombardements israéliens ». Face au Land, Hearn souligne que les employés gazaouis sur place avaient été les premiers à saisir l’importance de ces documents qu’ils ont extirpé des bureaux dévastés, pour les acheminer vers Rafah. Le Caire ayant refusé que les archives traversent la frontière sans l’accord israélien, elles sont passées en contrebande, cachées dans les valises des employés internationaux qui quittaient Gaza. L’aviation jordanienne se chargeait ensuite de les acheminer discrètement vers Amman.

Les archives physiques sont actuellement éparpillées entre la Jordanie, la Syrie et le Liban. (Les documents stockés à Jérusalem-Est ont dû être évacués en catastrophe, après un vote de la Knesset interdisant les activités de l’UNRWA.) Le scanning des documents a enfin pu être achevé début 2025. 56 employés ont travaillé d’arrache-pied dans les caves du siège à Amman, afin de numériser les dix millions de documents restants. (Vingt millions de documents avaient été scannés au-début des années 2000, une opération qui s’était enlisée, faute de moyens.) Commence aujourd’hui la deuxième phase : L’analyse digitale de ces millions de pages de sources historiques. Le Grand-Duché est jusqu’ici le seul pays à avoir mis la main dans la poche. (Deux autres États membres devraient suivre.) Hearn ne tarit pas d’éloges vis-à-vis du pays-donateur, louant « a really collaborative environment » : « It’s quite unique in my experience ». Le Luxembourg compte comme un appui fidèle de l’UNRWA. Fin 2024, Xavier Bettel a augmenté la contribution annuelle de 8,8 à 10,7 millions pour la période 2025-2027. (En 2024, la France payait 42,7, la Belgique 20,5 et l’Allemagne 174 millions de dollars, ce qui en fait le premier donateur.) Israël accusait des employés de l’agence d’avoir participé aux massacres du 7 octobre. Une enquête interne menée par l’UNRWA a conclu que neuf salariés (sur les 13 000 que compte l’agence dans la seule bande de Gaza) « may have been involved ». Une douzaine de pays-donateurs avaient alors temporairement gelé leur financement, les États-Unis (sous Biden puis sous Trump) de manière définitive, mettant l’agence au bord de l’asphyxie. Dans un avis rendu ce mercredi, la Cour de Justice internationale rappelle à Israël « l’obligation d’accepter et de faciliter les programmes de secours fournis par les Nations unies et ses entités »

Au milieu de cette dévastation, la digitalisation des archives est un des rares projets qui permettent à l’UNRWA de faire une communication positive (et à peu de frais). Préserver les archives, ce serait « préserver les fondations pour une solution politique juste et durable », lit-on dans le « strategic assessment » onusien. La direction de la Coopération luxembourgeoise met, elle aussi, en avant cette numérisation qui devrait permettre « le retraçage des arbres généalogiques pour les réfugiés palestiniens enregistrés ». Roger Hearn croit au potentiel du projet : Des familles éclatées en 1948 pourraient se reconnecter en quelques clics, l’intelligence artificielle reliant des documents jusque-là épars. « This is massive ! », s’enthousiasme-t-il. Ces sources seraient jusqu’ici « completely untouched », dit Roger Hearn, elles ouvriraient un « virgin territory ». À l’origine, les fiches d’enregistrement des réfugiés devaient structurer les services d’aide et la distribution de vivres. Elles pourraient aujourd’hui fournir de nouveaux éléments sur la Nakba, détaillent la fuite de centaines de milliers de Palestiniens en 1948.

Bernard Thomas
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