Ne vous fiez pas aux numéros indiqués sur l’invitation, les 44 et 47, rue de Montmorency, dans la rue du troisième arrondissement de Paris, n’existent plus tels quels ; les deux salles de la galerie Alberta Pane qui se font face, échappent pour l’heure à toute numérisation, à toute mise en ordre. C’est le signe de l’infini que vous trouverez sur les façades, mais avant de se laisser entraîner ainsi dans le lointain, un lointain sans limite, on se souviendra qu’il n’est qu’un 8 couché, et en l’occurrence la copie exacte du numéro de la maison de l’artiste. D’un côté donc, cet ancrage, de l’autre, son détournement. Dialectique propre à la manière de Marco Godinho, cet homme qui est à la fois profondément attaché à ses origines, et qu’on peut estimer comme le plus nomade de nos artistes.
Dans le titre de l’exposition, il est cette évocation du vent, de ses mouvements, de ses rafales : The Reminder of the winds, et l’œuvre qui vous accueille, qui figure justement sur l’invitation, vous y verrez ensemble, à votre gré, une cartographie des vents et une vivante décoration baroque, l’une ou l’autre faite de morceaux de bandes d’emballages en carton. Avec Eaux vives, vous voilà passé dans la salle d’en face, et confronté à une fontaine de fortune faite d’une bassine, de gouttières en zinc, d’une pompe bien sûr, et vous ne saurez quelle eau exactement y coule, eau de Paris, eau puisée dans la Méditerranée, ou ramenée d’une rivière appelée Enz. Si, elle existe, cette rivière, alors que le soupçon voulait qu’elle vînt de l’Ernz blanche, plus proche du domicile de l’artiste, et il aurait pris la liberté de biffer une lettre, rien que pour l’anagramme de zen. Marco Godinho de la sorte invite à poursuivre ses fantaisies, ses inventions. Cela dit, ses gestes poétiques ne sont pas sans raison, et les œuvres sont à leur tour autant de gestes, d’un autre sens, d’histoires, d’expériences, de métaphores.
Et le visiteur parcourra les deux salles un peu comme il feuilletterait un livre de poèmes (et l’on sait la relation forte de l’artiste à la chose écrite et imprimée). À chaque fois, c’est fortement concret, vécu même, et puis ça se trouve bougé, déplacé, du physique au mental. C’est là qu’intervient, nous sommes dans les arts plastiques, la justesse de formes, des couleurs, des matériaux divers, et chez Marco Godinho elle nous touche d’autant plus qu’elle tient à une grande réduction des moyens. Cela parle, sans un mot de trop, le fait ensemble avec de la délicatesse et de la force.
Il faudrait nous arrêter à toutes les stations (de plaisir esthétique, de réflexion, de méditation) dans les deux salles de la galerie Alberta Pane. Comme devant cette cinquantaine de panneaux en bois, qui remontent au premier confinement, peints les matins d’après la couleur du ciel, entassés là, deux piles, et au fil des jours, ils passent de l’une à l’autre, passage du temps ritualisé par tel geste. Le temps toujours, dans la ligne horizontale de tant d’exemplaires de la « une » du journal Libération, avec la figuration des phases de la lune aux dates de parution. Où phénomènes naturels et événements se rejoignent de la sorte.
Inutile de rappeler ici la participation de Marco Godinho à la biennale de Venise, en 2019, les cahiers vierges immergés dans l’eau. Ils sont donnés, offerts au toucher de ceux pour qui la vue n’existe pas. Au contraire, celle-ci doit se faire perçante dans une série d’œuvres composées de poussière rouge (provenant des tuiles de la maison de l’artiste), avec les mots inscrits en négatif.
Ailleurs, une installation plus insistante réunit une paire de chaussures et une racine (elle rapportée des alentours de la lagune vénitienne), Marco Godinho l’a faite sienne, se l’est appropriée, en lui imposant la dimension de ses pas. Ainsi, de façon plus subtile ou plus directe, les œuvres de l’exposition, une vingtaine en tout, chacune avec ses propres échos, séduisent et poussent à aller plus loin. Au-delà du plaisir esthétique constant. En même temps, toujours en relation avec le monde extérieur, avec l’espace et le temps, elles résonnent à l’intérieur de nous-mêmes, en appellent à notre propre vie. Si Marco Godinho s’avère nomade en arpentant telles régions, en passant par-dessus les frontières qui séparent, il établit un autre lien, plus fort, plus intime. Où le signe de l’infini, d’une infinitude, vient prendre une tout autre signification.