Est-ce un carnet de voyage ? Le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel (DP), a évoqué mardi à la Chambre le « ganz ganz ganz grousse Succès » du pavillon luxembourgeois à l’Exposition universelle d’Osaka et les « ganz ganz positiv Echoen » reçus lors de ses différentes visites sur place au cours de l’année écoulée. « Autour d’un café la semaine dernière avec Madame Merkel » à Berlin, les deux anciens chefs de gouvernement se sont rappelés avoir travaillé ensemble sur le principe de conditionnalité (pour bénéficier des fonds européens). L’argent serait le réel « esperanto de l’Union européenne », notamment pour faire respecter l’état de droit, en a déduit Xavier Bettel dans une de ses réflexion à haute-voix formulée devant les députés et diplomates mardi. Ou est-ce plutôt un brouillon de rapport d’activité 2025 ? Le chef de la diplomatie a brossé pendant 90 minutes à un rythme soutenu, entrecoupé par des digressions toutes personnelles, ses déplacements ces douze derniers mois. Notamment en Chine en novembre 2024 pour une mission économique. « Nous devons continuer à discuter avec la Chine », a avancé Bettel avant de s’aventurer hors-script : « On doit pouvoir discuter avec tout le monde. » Oups ! On ne parle plus à Poutine depuis les massacres de Boutcha. Justement le régime de Xi Jinping « peut avoir une grande influence sur la Russie pour la pousser à arrêter sa guerre en Ukraine ».
Mais peut-être est-ce aussi un agenda… Xavier Bettel informe qu’il se rendra la semaine prochaine à Samarkand en Ouzbékistan pour défendre la candidature du Luxembourg pour un siège au Comité exécutif de l’Unesco. En même temps une délégation financière se rendra à Singapour pour le Fintech Festival. À plus long terme, le Luxembourg prendra la présidence de la Grande région en 2027, puis celle du Benelux et enfin celle de l’UE (en 2029). L’intervention de Xavier Bettel ressemble aussi à un bilan un peu bâclé de l’état du monde, avec son lot de « conflits oubliés », présent (comme au Soudan ou dans la région des Grands lacs) et passés (en Corée), un listing échevelé des différentes régions et pays touchés par les crises. Que le Luxembourg y ait prise ou non. « Der DP Politiker redete zwar viel, sagte jedoch nur wenig », a asséné le Wort au lendemain de ce qui est, en fait, la déclaration de politique étrangère 2025. Car il y a quand même eu quelques annonces, comme la volonté de sanctionner les ministres extrémistes du gouvernement israéliens ou d’interdire les importations de produits des colonies en Cisjordanie. Mais que faut-il en penser ? Depuis New York en septembre, Bettel disait attendre l’analyse juridique sur la possibilité de sanctionner au niveau national des personnes qui ne figurent pas sur une liste européenne. Pour les produits des colonies, il fallait régler cela avec la Belgique. Les paramètres n’ont pas changé, mais maintenant il faut avancer ? Cette politique du « stop and go » discrédite le propos du chef de la diplomatie. Sans parler du bicéphalisme de la politique étrangère apparu ces derniers mois avec un numéro un qui dit oui (sur la procédure d’élargissement de l’UE au Monténégro en 2026 par exemple) quand le numéro deux dit non… et réciproquement. Comme sur les sanctions contre Israël où le Premier ministre Frieden garde le cap du « jamais sans l’UE », quand le Vice-premier s’échappe en solitaire.
L’allocution de Xavier Bettel au Krautmaart mardi a sonné faux dans cette alternance entre la gravité des sujets recensés sur le script (rédigé par ses services) et l’élocution naturelle du ministre, avec son lot d’effets de manche à la de Funès. Xavier Bettel excelle dans la politique sympathique et le contact humain. Mais sa bonhomie trouve ses limites dans le monde codifié et rigoureux de la diplomatie, notamment dans un contexte où les conflits guerriers ressurgissent en de maints endroits. Certes le Luxembourg ne mène pas les relations internationales à la baguette grâce à son arsenal nucléaire. Xavier Bettel a en outre raison de faire du respect du droit international et de l’humanisme la boussole de l’action extérieure du petit pays qu’est le Luxembourg. (Dévier de cette voie mène à des compromissions intenables à long terme.) Mais il ne suffit pas de le dire. Et l’attitude asymétrique entretenue par le Luxembourg et l’UE dans les deux conflits matriciels (Ukraine et Proche-Orient) sapent le multilatéralisme que Xavier Bettel dit chérir.