Chroniques de l’urgence

La croisière tient à s’amuser

d'Lëtzebuerger Land du 09.10.2020

Dans l’invraisemblable tumulte qu’est devenue l’élection présidentielle aux États-Unis, cette information a pu passer inaperçue, mais elle vaut son tonnage : La Maison Blanche a bloqué un ordre du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) proscrivant les croisières jusqu’à la mi-février, a indiqué le New York Times le 30 septembre.

Les gigantesques hôtels flottants américains étaient privés d’appareillage depuis mai, et le CDC a périodiquement renouvelé cette interdiction au vu de l’état alarmant de la pandémie. Alors que le monde découvrait le nouveau coronavirus au début de l’année, le paquebot Diamond Princess, de la Carnival Corporation, a occupé les Unes lorsque 700 de ses 3 711 passagers et membres d’équipage ont été testés positifs et que quatorze d’entre eux sont morts du Covid-19. En tout, le CDC a recensé 2 973 cas et 34 décès liés au Covid-19 sur des paquebots navigant dans les eaux sous sa juridiction entre mars et juillet.

La décision de la Maison Blanche s’explique par l’importance de la Floride, un État très disputé – qu’on se souvienne de l’âpre bataille que s’y sont livrés Al Gore et George W. Bush en 2000 – pour les élections du 3 novembre. Le secteur des croisières y représente un chiffre d’affaires de 53 milliards de dollars, selon son lobby Cruise Lines International Association. Impensable donc pour Donald Trump, sous peine d’indisposer ses puissants donateurs, de continuer de maintenir à quai leurs vaches à lait. Les plus grands groupes américains de croisière ne bénéficient pas des mesures d’aide liées à la pandémie parce qu’ils sont domiciliés hors des États-Unis. Leurs patrons mettent en avant leurs salariés qui dépendent de cette activité, mais se gardent bien de rappeler qu’ils n’hésitent pas à les exposer le moment venu aux risques de contagion. Ces dernières semaines, Tim Scott et Marco Rubio, les deux sénateurs républicains de l’État de Floride, tout comme Carlos Gimenez, le maire de Miami-Dade, du même parti, ont réclamé à cor et à cri la fin de la politique dite « no sail », préconisant des procédures censées éviter toute propagation du virus.

Il suffirait pourtant à ce beau monde de jeter un œil de ce côté de l’Atlantique. Un des premiers grands navires de croisière à reprendre la mer après l’arrêt prolongé dû à la pandémie a été Mein Schiff 6, du croisiériste TUI Cruises. À peine avait-il commencé son tour de Grèce, fin septembre, qu’une douzaine de ses membres d’équipage ont été testés positifs au Covid-19, a rapporté la presse locale. La Protection civile grecque l’a aussitôt contraint à rejoindre le Pirée.

Symboles archi-polluants d’une futilité irresponsable, les croisières industrielles étaient déjà insoutenables avant le début de la pandémie. Qu’en dire lorsqu’on voit qu’elles sont aussi des foyers de contamination ?

Jean Lasar
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