Cinéma

Tous les garçons et les filles de son âge

d'Lëtzebuerger Land du 15.06.2018

Elle aime ses amis, surtout Daniel (Isak Lie Harr), les sorties de cours, les soirées où elle danse, fume et boit. Comme n’importe quelle adolescente, Nisha (Maria Mozhdah) semble avoir une vie sociale dense. Pourtant, dans cette petite banlieue norvégienne, la vie du dehors ne ressemble pas à celle de sa famille pakistanaise, portée sur la tradition et la communauté. Si Mirza, son père (Adil Hussain), la couve d’un œil attendri, sa mère (Ekavali Khanna) a toujours à l’esprit ce que les autres pourraient penser et dire. Alors quand elle est surprise par son père (Adil Hussain), en train de flirter avec Daniel dans sa chambre, son monde explose. Alors que les services sociaux s’intéressent à cette famille sans histoires, Mirza a un autre plan. Un soir, sous couvert d’une réconciliation, Nisha est emmenée en voiture. Puis ça sera le bateau, l’avion, le bus… La jeune fille est désormais assignée à résidence chez sa tante, dans une maison à plus de 300 kilomètres d’Islamabad. Loin de l’occident, elle doit apprendre les bonnes manières pakistanaises. Meurtrie, rêvant d’ailleurs, Nisha se fane mais ne peut plus se rebeller. Quelques mois plus tard, pourtant, éduquée et apaisée, l’adolescente entame une relation romantique avec son cousin, Amir (Rohit Safar). Vite contrariée, l’histoire d’amour va, à nouveau, être l’enjeu de la réputation de la famille et cette fois, mettre la vie de Nisha en danger.

Le second-long métrage d’Iram Haq, Hva vil folk si (What will people say) est une œuvre autobiographique, où la réalisatrice, elle-même Norvégienne d’origine pakistanaise, revient sur la relation houleuse qu’elle a entretenue, des années durant, avec ses parents. Grandir entre deux cultures n’apparaît pas ici comme une richesse, mais comme un tiraillement permanent, où il n’est pas tant question de religion que de tradition, cristallisée par le corps de l’adolescente. Objet social, il ne lui appartient pas, se couvre et se découvre dans un ballet intérieur/extérieur qui fait de la première partie du film une réussite, tout en subtilité. La figure paternelle semble aimante, intégrée, quand la mère, déjà, se préoccupe de ce que vont dire les autres. Pour souligner ces heures où tout bascule, après la tempête, la réalisatrice convoque le silence, la froideur, dans une mise en scène quasi immersive. Loin de la froide Norvège, Iram Haq joue avec la lumière, lors des rares moments de liberté de Nisha, sur le toit de la maison. C’est entre cet espace de chaleur, entre terre et cieux, que la jeune femme provoque l’émotion, où elle survit et se réconcilie avec tout son être.

Le voyage intérieur que propose la cinéaste est sincère, vivace. Les personnages entourant son double cinématographique, en revanche, alimentent une vision manichéenne qui ne supporte pas la nuance : les parents, la tante, les voisins de la communauté en Norvège, tous tiennent le rôle de l’opposition, de l’obscurantisme déshumanisé. La figure du père porte bien quelques contradictions, sans que le film ne permette à Nisha de les confronter, seulement d’y échapper. Il y a dans cette histoire de la crainte du regard des autres un réel point de vue de cinéaste, une urgence de crier les dommages et à donner toute sa force au personnage, mais cette même colère plie parfois sous le poids d’une certaine bien-pensance occidentale. Marylène Andrin-Grotz

Marylène Andrin-Grotz
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