Arts plastiques

Un faux romantique

d'Lëtzebuerger Land vom 09.10.2020

Il en est de la peinture de Grégory Durviaux comme des vues de Naples du 19e siècle, avec l’éruption du Vésuve. Où l’on voit des personnages élégants déambuler le long du front de mer napolitain, tandis qu’au loin, des flammes rougeoyantes décorent le ciel azur. Le moment d’insouciance est une illusion esthétique.

Parmi les références stylistiques de Grégory Durviaux, on citera le peintre suisse Félix Valloton (1865-1925), dont il poste souvent des mèmes (du grec mimésis, imitation) sur un réseau social populaire. Valloton peignait des intérieurs et des paysages, suggérés plus que réalistes. Cela va bien aussi à Grégory Durviaux, qui cultive cette distanciation. Ou plutôt cultivait : comme dans ses précédentes expositions à l’espace Project Room de la galerie Nosbaum Reding, dont on peut encore voir la facture ici, dans Les vendanges et Les moissons, des huiles et acryliques sur fond aluminium de respectivement 2018 et 2019.

Raisins, herbes, sont des motifs agrandis, de telle sorte qu’ils deviennent presque abstraits et se confondent avec le fond pour former une sorte de réseau de couleurs, comme pour le vrai : le bleu pour la vigne, le vert pour les graminées. Mais il faut s’approcher des tableaux pour en saisir vraiment les formes organiques. La lecture est immédiate, croit-on, pour Je ne peindrai plus de fleurs vu que l’homme a mangé la terre, la production la plus récente de Grégory Durviaux. Une phrase entière en guise de titre, paradoxal, pour ces peintures de 2019-2020.

Parmi ces tableaux il s’en trouve un qui fait la transition formelle avec la « manière » antérieure de Grégory Durviaux, Virus-Virum-Vivarum. Une œuvre quasi abstraite, dont le titre vaut explication, comme la phrase-titre de l’exposition. C’est une allusion à un film critique de la société de consommation de 2019, qui se charge elle-même de détruire l’idée de bonheur des protagonistes. Pour en revenir à la peinture de Grégory Durviaux, un réseau mi-organique mi-végétal prend le dessus sur le devant du tableau, sur une sorte de paysage alpestre gris ; le fond bois, allusion à la nature, est laissé nu, tel un ciel vide.

Grégory Durviaux nous livre ici sur le même mode, mi-peint mi-vierge, des scénettes à la fois savoureuses et grinçantes, comme autant de petits contes cruels. Lui qui est né à Bruxelles en 1975 et qui se partage depuis longtemps entre la Belgique et le Luxembourg, a peint un plat de porcelaine, au décor luxembourgeois à la brindille emblématique, porté sur son dos par une tortue. C’est Déckelschmouk. Dans la mythologie indienne, la tortue porte le Monde et au Japon, elle porte bonheur. On peut donc suggérer que cet animal préhistorique qui a traversé le temps jusqu’à nous, aidera à recoller les morceaux. Juste à côté, le hérisson Eiris est installé tel un œuf dans son coquetier, émergeant d’un ballon de rugby.

Sauf qu’il ne faut pas shooter comme dans un ballon dans les piques du petit mammifère, ou posséder une voiture de luxe, au risque de voir s’abattre sur elle un nouveau genre de Plaie d’Égypte. Le reste de la production, comme celle de tant d’artistes qu’on dira peut-être un jour « de la période Covid-19 », fustige la maltraitance animale (Noé dans les villes), ou fait le rapprochement formel entre les ailes de papillon et une éolienne (Dommage collatéral). Sauf que celle-ci broie menu le coléoptère.

Derrière le titre mystérieux Ernst Haeckel, de retour à Sainte-Lucie, il est une espèce de colibris, dits colibris porte-épée. Sauront-ils se débarrasser des pile, fourchette en plastique, boîte de conserve et masque chirurgical butinés en guise de nectar ? Voici en tout cas un art de l’illusion enchanteée et désenchantée.

Je ne peindrai plus de fleurs vu que l’homme a mangé la terre de Grégory Durviaux est à voir jusqu’au 17 octobre à la galerie Nosbaum Reding. 4 rue Wiltheim à Luxembourg-ville. www.nosbaumreding.lu

Marianne Brausch
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