Cactus Bascharage

Shop until you drop

d'Lëtzebuerger Land vom 18.10.2001

Le débat public s'est calmé. L'année 1996, celle de l'arrivée d'un nouveau concurrent, Auchan à Kirchberg, celle aussi des débats politiques sur la réforme de la loi de 1988 sur le droit d'établissement fut marquée par les peurs des petits commerces locaux de ne pas survivre à la lutte des grandes surfaces pour le client. La loi fut finalement votée le 4 novembre 1997 et imposa un gel des autorisations d'établissements « pour la création ou l'extension d'un centre commercial ou d'un magasin spécialisé ou non, d'une surface de vente totale supérieure à 10 000 mètres carrés ». Puis il y eut la « guerre du lait », ensuite une véritable guerre des prix entre le nouvel arrivant et les deux grandes chaînes établies, mais depuis lors, le marché de la grande distribution semble avoir retrouvé un certain équilibre. Au détriment du petit commerce, certes.

Aujourd'hui, Laurent Schonckert, administrateur délégué de Cactus s.a., estime que le groupe français du Kirchberg a trouvé de nouveaux consommateurs, frontaliers travaillant dans ce quartier des banques et administrations, membres de la communauté internationale etc. - 80 pour cent des clients des deux groupes seraient propres à chacun d'eux, seuls quelque vingt pour cent feraient leurs achats dans les deux enseignes, estime-t-il. 

Or, malgré l'implantation du mastodonte boulevard Kennedy à Luxembourg, le chiffre d'affaires du vaisseau amiral du groupe Cactus, la Belle Étoile à Bertrange, aurait progressé aussi. « E Stéck Lëtzebuerg » se vante le site Internet du groupe de Bertrange, car la direction sait que le client typique de Cactus, dernier groupe entièrement luxembourgeois, est « la famille luxembourgeoise ». Ce sont donc aussi en premier lieu les Luxembourgeois, les habitants du Sud, qui sont visés en tant que clients potentiels du nouveau supermarché du groupe, à Bascharage-Biff, qui ouvrira officiellement ses portes mardi 23 octobre, mercredi matin pour le grand public. Zone de chalandise directe : 50 000 habitants sur le territoire luxembourgeois, comportant les communes de Bascharage, Differdange, Rodange, Sanem. 

« Bien sûr, le coin des trois frontières, très convoité, a quelque chose de magique, » affirme Laurent Schonckert, surtout cet emplacement de la Biff, au rond-point sur la route nationale 5 - 20 000 mouvements de voiture Luxembourg-France et vice-versa par jour - et la collectrice du Sud. Même si le pouvoir d'achat des consommateurs grand-ducaux est de loin plus élevé que celui des Belges et des Français, ceux-là constituent une autre zone de chalandise, plus ou moins de la même taille. Et puis la concurrence ne dort pas : les plans d'Auchan d'ouvrir un hypermarché dans le PED près de Pétange, mais du côté français, sont bien avancés ; même si ceux du groupe français Leclerc d'établir une première antenne à Sanem semblent gelés, l'épée de Damoclès reste. 

Dans cette situation en pleine ébullition, Cactus aura toujours l'avantage d'être le premier arrivé. Son hypermarché à Bascharage sera le deuxième du groupe par sa taille, derrière la Belle Étoile, 19 500 mètres carrés de superficie brute, un supermarché conçu exactement selon le concept de celui de la Belle Étoile, avec un lien direct entre les parties alimentation et non-food, des sections Hobby et jardinage et des rayons d'appel, comme la nouvelle section Multitecc (électroménager, hifi et microinformatique) ; seule la galerie marchande sera sensiblement plus réduite avec une douzaine de commerces de détail, contre 65 à Bertrange. 

Le groupe y investit 1,1 milliard de francs, dont 90 millions de francs pour la seule construction d'un tunnel avec rampe souterraine de sortie vers le giratoire afin de rendre le trafic alentour aussi fluide que possible. « Nous avons aussi fait beaucoup de concessions dans le domaine de l'écologie et de la sécurité, » affirme Laurent Schoncpkert. Le terrain de 6,5 hectares, entre deux stations essence et à côté d'une supérette à bas prix Aldi, avec une ambiance suburbaine à l'américaine, fut acquis en 1995 déjà, le droit d'établissement encore accordé avant le gel imposé par le législateur.

On ne critique pas Cactus. À part les syndicats, rarement, protestant par exemple contre le fait qu'aux alentours des fêtes de fin d'année, la concurrence se jouait ces dernières années sur les horaires d'ouverture - au détriment des employés. L'entreprise représente une success story avec une envergure dont le Luxembourg en connaît peu. Depuis l'ouverture du premier supermarché du groupe, en 1967 à Bereldange, Cactus s'est hissé au troisième rang des employeurs privés l'année dernière déjà, avec 3 333 employés au 31 décembre 2000, soit une progression de 32 pour cent ou 809 personnes en cinq ans. À cela s'ajouteront les 361 personnes (la moitié étant des Grands-ducaux, les autres Français et Belges) embauchées par le groupe à Bascharage. 

Au cours des cinq dernières années, le chiffre d'affaires a connu lui aussi une progression importante de quarante pour cent, pour dépasser les 22 milliards de francs à la fin de l'année 2000, lorsque le père fondateur de l'entreprise familiale, Paul Leesch, a pris sa retraite. La nouvelle équipe dirigeante, dont font parti les fille et fils de la famille Leesch, bien que considérablement rajeunie, table sur la continuité. 

Ainsi, pour la construction du nouveau bâtiment, ils ont eu recours à l'architecte spécialisé Erlebacher, déjà concepteur de la Belle Étoile, …en 1974. « Nous ne voulions pas seulement construire un bâtiment fonctionnel, mais également nous inscrire dans une corporate identity qui fait que nos supermarchés sont toujours facilement identifiables, explique Laurent Schonckert, ceci dit, nous nous adaptons en permanence ». Ainsi, le logo du cactus, créé dès 1967, a perdu ses épines ; vers 1986/87, le personnage fétiche Yuppi fut créé « afin de procurer une âme » au groupe, de permettre une communication plus vivante et ludique. Les jeunes décideurs d'aujourd'hui, les trentenaires qui ont grandi avec la télévision et la publicité ont aussi grandi avec Cactus. 

Les grandes enseignes, notamment en France, ont constaté, ces dernières années, une certaine crise dans le domaine des super- et surtout des hypermarchés. « La grande distribution fonde sa stratégie sur de fausses évidences, affirme le consultant Thibault Le Carpentier face au Monde diplomatique (février 2000). Toutes les études montrent clairement que les consommateurs ne privilégient pas les magasins les moins chers. » Et de continuer : « Les clients considèrent désormais les courses en grandes surfaces comme une corvée et leur préfèrent les magasins à taille humaine, situés sur leur trajet, où ils bénéficieront d'un accueil et d'une aide à l'achat. » La première mesure afin de refidéliser le client aurait alors consisté en une diversification de l'offre, en introduisant par exemple de nouvelles sections, de nouveaux services. 

Une tendance que l'on peut aussi constater chez Cactus : introduction des postes de vente de téléphones portables Tango, cadres sur mesure, découpe de bois, bouquets faits sur mesure au rayon jardinage et ainsi de suite... autant de services imitant les magasins de proximité. Les deux dernières étapes dans cette évolution sont le rayon Multitecc, qui demande un effort considérable en conseil et service après-vente, et l'introduction d'un service développement photo qui vient d'être lancé à Bertrange et fera partie de l'offre à Bascharage. Laurent Schonckert ne nie pas que ces évolutions risquent de nuire au petit commerce, mais affirme agir par nécessité, leur concurrence à eux ne dormant pas non plus. 

Car si Cactus domine clairement le marché de l'alimentation en grandes surfaces - détenant avec 17 magasins plus ou moins la moitié des parts de marché, selon Laurent Schonckert, les seize supermarchés Match comptabilisant quelque 35 pour cent, Auchan avec sa seule surface de vente les quinze pour cent restants - son administrateur, en seize ans au sein du groupe, a aussi constaté une forte segmentation de la clientèle. « Aujourd'hui, la demande de nos clients s'est diversifiée, estime-t-il, ainsi, il ne suffit plus que nous offrions les bières luxembourgeoises courantes comme Bofferding ou Mousel, mais le client nous demande aussi d'offrir des bières plus spéciales comme la mexicaine Corona ou des produits spéciaux belges. » 

Pour faire face à cette nouvelle segmentation, le distributeur a lui aussi diversifié son offre, s'associant par exemple à la fin des années 1990 au groupe Shell pour l'installation de petits shops d'alimentation générale aux stations-essences - il y en a actuellement 17. En ce qui concerne les surfaces de vente, la deuxième offre est celle des marchés de ville, comme il y en a à Luxembourg-Limpertsberg ou Esch-Brill, misant fortement sur la convivialité avec des coins rencontres etc., puis suivent les super- et finalement les hypermarchés. Mais est-ce que le marché ne risque pas d'être vraiment saturé ? Combien de shopping peut-on faire ? Selon Laurent Schonckert, Cactus mise aussi sur le potentiel de développement du Luxembourg, sur une population croissante. « Nous avons fait nos planifications selon une perspective de croissance normale, telle que nous l'avons connue ces dernières années. » Mais le nouveau centre commercial ne risque-t-il pas de faire concurrence aux autres points de vente du groupe, notamment la Belle Étoile, qui n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres, ou, plus encore, le supermarché de Pétange ? « Bien sûr, nous nous sommes posé ces questions, nous avons eu beaucoup de discussions internes, répond Laurent Schonckert, Pétange pourra toujours être adapté et devenir un marché de proximité. » Mais qu'il fallait se lancer, ne pas laisser passer cette chance, ne pas laisser le terrain à la concurrence. 

josée hansen
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