Préceptes à la visite

L’ennui au musée ?

d'Lëtzebuerger Land du 09.10.2020

Cet été, nombreux sont ceux qui en ont fait l’amère expérience. La perspective de, finalement, passer ses vacances entre Remich et Weiswampach plutôt qu’en Californie ou au bord de la Mer rouge n’a pas suscité un enthousiasme débordant dans la plupart des foyers concernés. Cet automne encore, si vous aviez envisagé de profiter de l’arrière-saison pour découvrir en famille le Musée d’Orsay, le Rijksmuseum ou le Prado, il va certainement falloir faire appel à la méthode Coué : « On annule mais, vous allez voir, on va trouver quelque chose de génial (et de local) à la place ! »

Le Conseil international des musées (ICOM) définit trois grandes missions aux institutions muséales : « rechercher, conserver, transmettre ». Vous ajouteriez volontiers « occuper les dimanches pluvieux », mais vous savez que vos enfants pencheraient plutôt pour « ennuyer ». Alors, plutôt que leur proposer une quatorzième visite du MNHA, du Natur Musée, du Science Center ou du Dräi Eechelen, une idée pourrait être de se tourner vers les petits musées, cachés dans les différentes localités du pays. 

Premier avantage de ces musées miniatures : leur taille. Quiconque a souffert le martyre en accompagnant un stakhanoviste de la lecture des cartels dans le dédale des couloirs du Musée du Louvre, du genre qui ne veut rien manquer des œuvres mentionnées comme « valant le détour » dans leur guide touristique, tous ceux qui ont vécu l’ascension de la rampe du Guggenheim comme un lent calvaire capable de transformer l’enthousiasme du départ en une frustration croissant au gré du lent trépignement nécessaire pour arriver à son sommet, seront sensibles à l’argument choc : « se visite en une heure ». Même avec le plus grand intérêt possible pour les insignes des différents régiments de la seconde guerre mondiale, je mets au défi quiconque de passer plus de 45 minutes dans les trois salles et l’escalier en colimaçon du Musée de la Bataille des Ardennes à Clervaux.

Et encore, là, on parle de la visite, mais il ne faut pas négliger la longue file d’attente qui la précède, façon Disney Land mais au bord de la route, sac à dos sur les épaules, avec l’aînée qui râle parce qu’elle a froid dans son mini-short et le dernier qui demande à aller aux toilettes depuis dix minutes. Les musées du Vatican, c’est grandiose, mais il faut compter plusieurs heures de queue pour aller voir la collection des carrosses ayant appartenu aux papes, alors qu’en quelques dizaines de minutes, à Peppange, l’on peut tranquillement découvrir le Musée de Calèches Grande-Duchesse Charlotte.

Surtout, du fait de leur taille réduite, ces musées se concentrent forcément sur une thématique précise, qu’elle soit plutôt historique, industrielle, scientifique ou artistique. Oubliez les sept millions d’objets du British Museum, qui couvrent le monde entier, depuis la préhistoire jusqu’au XIXè siècle. Quand vous entrez dans les musées ruraux, à la Robbesscheier, au Thillenvogtei près de Wahl, A Possen à Bech-Kleinmacher ou A Schiewesch à Binsfeld, vous savez que vous allez vous plonger dans la vie à la campagne du siècle dernier. Si vous ne frémissez pas d’excitation à l’idée de caresser un cheval de trait ou que vous ne brûlez pas du désir d’apprendre comment on fabriquait du pain avant le confinement et l’invention du Thermomix, il suffit de choisir autre chose.

Exception faite du Mudam, qui est loin d’entrer dans la catégorie des « petits musées ruraux », et qui expose de l’art contemporain malgré son nom de « musée d’art moderne », il y a rarement tromperie sur la marchandise. Ainsi, au musée de la distillerie de Kehlen (Brennerei) vous allez… découvrir les techniques de distillation. Vous pouvez aussi apprendre comment se produit la bière à Wiltz ou à Bascharage, comment on extrayait le fer à Rumelange, taillé les ardoises à Haut-Martelange, tissé des draps à Esch-sur-Sûre ou même comment on a imprimé des cartes à jouer à Grevenmacher (en partie en raison d’avantages fiscaux, déjà au XVIIIè siècle !). Ces musées ont un côté nostalgique, d’une époque où l’agriculture et l’industrie irriguaient l’activité économique du pays. Il n’y aura pas de musée du pot de yaourt à Bettembourg dans cinquante ans, c’est la vie.

Certes, les dioramas fabriqués à partir de vieux mannequins récupérés lors de fermeture de Monopol sont un peu kitsch. Certes, on reste dans les grands clichés du patrimoine grand-ducal (le musée de la banque à Luxembourg ville, le musée de l’Europe à Schengen… on attend encore le musée de l’espace à Betzdorf). Mais l’enthousiasme communicatif de la plupart des guides, souvent bénévoles, qui n’ont pas encore été remplacés par des dispositifs électroniques qui crachotent dans vos oreilles en vous expliquant une autre œuvre que celle que vous êtes en train de regarder et, last but not least, la perspective de terminer par un petit Choky ou une bonne bière au café d’en face, devraient suffire à convaincre tout le monde de prendre la route lors du prochain dimanche pluvieux et à oublier... l’ennui au musée.

Cyril B.
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