Hons, Gaspard: Lys Light

Une autre épiphanie du désir

d'Lëtzebuerger Land du 15.08.2002

Rome. Ses fontaines, ses jardins, ses rues. La ville aime à citer Dante, Ezra Pound ; à repenser à Michel-Ange, Boccace ou Freud. C'est la ville de toutes les épiphanies qu'évoque ce carnet de voyage de Gaspard Hons : Ly's light. C'est un recueil qui, pensant à Nadja (André Breton), dit une autre épiphanie du désir. Une sosie de Nadja. C'est une figure féminine qui déclenche des mots autres.

Mais Rome n'est pas une carte postale comme en témoigne l'évocation de cette carte qui rechigne à partir. Marchant sur les traces du Moïse de Michel-Ange, Gaspard Hons rencontre un univers dont il peut dire: «Ly's light / comme Anna's Light». Cette rencontre est celle du désir se nourrissant de sa négation, de la négation. Le poète rencontre celle par qui le désir se consume dans l'abîme qu'il laisse entrevoir. Relisons ce passage : «À la lisière/ Du corps-horizon/ Le vocable désir/ Avalé par ses entrailles// Traversée de l'obscur/ À la brève lueur d'une fêlure// Dans la brèche l'oiseau neuf s'abrite».

Qu'est-ce que le désir? C'est l'espace où le désir se réfugie (le mot peut-être, tapi comme l'oiseau de Gaspard Hons). Ce n'est ni ce qui (se) consume ni ce qui consomme mais cela qui, se nourrissant d'insatisfaction, pense à sa mort, à la mort parce qu'«Antigone doit rester au tombeau...». Pourtant l'autre est. Elle a la consistance du poème devenu chose visible comme ces oiseaux qui pullulent à Rome et dans le recueil : «Tant d'oiseaux / Visages venus de nulle part/ Picotent la peau du poème» et qui, étrangement, font penser au cimetière de Thiais où repose Celan.

Comme Rome, comme toute chose, l'autre fait toujours penser à autre chose jusqu'à devenir irréel: «Suis-je toujours à Rome? Ou réellement à Rome?». Rome est peut-être un poème, l'univers poétique de Gaspard Hons devenu contrée visible. Quand j'écris poème, je ne pense pas forcément à la petite fleur bleue mais à la mort aussi, par exemple. En fait, une chose, un être n'est que parce qu'il fait penser à autre chose. Pour citer  Darwich, on peut dire de l'autre qu'elle «ouvre des fenêtres horribles». Avec elle, rien n'est anodin: «Ce matin, j'ai ramassé quelques gousses auprès d'un acacia, des haricots immangeables/ À qui offriras-tu ces semences, me demande-t-elle?».

La double altérité de la femme (étrangère parlant une langue étrangère) nourrit (satisfait) l'insatisfaction dont se nourrit le désir. N'en déplaise à Derrida: «…je me demande si on peut aimer, jouir, prier, crever de douleur... dans une autre langue», il n'y a de désir que dans la traduction où j'insinue que toute prise de parole est traduction. Et aimer, c'est peut-être citer l'autre: «Le cri d'un enfant/ e morte l'ucello». Aimer survit grâce à la lacune de la traduction. L'unisson (de l'étreinte) achève. Elle achève le recueil. Elle achève. 

Gaspard Hons : Lys light ; poèmes ; accompagnés de sept dessins de André Lambotte ; Éditions Phi, juin 2002 ; 136 pages ; 12 euros ; ISBN 2-87962-139-9

Jalel El Gharbi
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