La croissance de la capitale a eu un impact sur les routes qui y mènent. Une meilleure gestion des franges urbaines s’impose, mais se heurte à l’autonomie communale

Et au milieu coule une route

Route de Longwy
Photo: Gilles Kayser
d'Lëtzebuerger Land du 28.04.2023

Cette semaine, les Parisiens célébraient le cinquantième anniversaire de leur périphérique. « Célébraient » et non « fêtaient », tant ce boulevard urbain qui enserre la capitale française est aujourd’hui décrié, correspondant à une époque du tout-automobile, de la bétonisation à tout va et marquant de manière drastique la limite entre Paris et sa banlieue. L’autoroute qui entoure la ville de Luxembourg n’est pas tout a fait comparable. Elle se trouve relativement moins proche de la ville et ne fait que trois-quarts de tour de la capitale – l’idée d’une fermeture autoroutière au Nord, complétant un axe Arlon-Kirchberg, a été définitivement abandonnée il y a plus de vingt ans. Plusieurs voies pénétrantes relient les zones urbaines aux axes autoroutiers. Des routes nationales qui desservent la capitale dans les différentes directions, en une étoile déformée. Elles portent d’ailleurs le nom des villes ou des quartiers dans les directions desquelles elles pointent (ce qu’en Belgique on désigne par le terme de chaussée) : Arlon, Longwy, Esch, Thionville, Neudorf, Beggen (l’avenue J. F. Kennedy fait exception en terme de toponymie).

Ces entrées (ou sorties, les références écrites utilisent généralement « entrée », ce qui connote bien l’attractivité de la ville) ont été aménagées de façon diffuse et peu structurée, en répondant aux développements démographique et socio-économique de la capitale. On y voit l’implantation successive de centres commerciaux, de stations d’essence, de fast-food, de magasins de meubles ou de concessions automobiles, mais aussi d’habitations de tailles variées. Ce sont des voies larges avec peu d’intersections, peu de signes urbains (trottoirs, feux de signalisation, stationnements) à une échelle qui n’est plus celle du piéton. Le résultat de cette croissance sauvage est « une périurbanisation en extension continue » et « une conurbation qui déborde de plus en plus sur les espaces ruraux », comme le pointe aujourd’hui le projet de Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) pour qui « les importants flux de trafic quotidien en sont la démonstration la plus visible et l’une des plus nuisibles. » En d’autres termes, l’entrée « ressentie » de la ville s’éloigne de plus en plus du centre, même si la limite administrative n’a pas bougé. « L’urbanisme raconte ce que nous sommes. Le Moyen-Âge a eu ses villes fortifiées et ses cathédrales, le 19e siècle ses boulevards et ses lycées. Nous avons nos hangars commerciaux et nos lotissements », écrivait le journaliste Xavier de Jarcy dans un article intitulé Comment la France est devenue moche ? paru dans Télérama en 2010. Le Luxembourg est épargné par les panneaux publicitaires qui défigurent les routes françaises, mais n’a pas été un meilleur élève du développement périurbain. Au moment de ces constructions successives, l’artificialisation des sols, la qualité architecturale, la cohérence visuelle ou la banalisation des paysages bâtis n’étaient pas des questions à l’ordre du jour. La mobilité était pensée uniquement autour de la voiture et les questions écologiques pouvaient encore être mises sous le tapis.

On mesure désormais à quel point ces axes et l’urbanisation qui se développe de part et d’autre constituent un enjeu important dans l’aménagement du territoire. Une meilleure gestion des franges urbaines s’impose et avec elle « une politique d’urbanisation prioritairement orientée vers la densification et le renouvellement urbain et non par une consommation supplémentaire d’espaces en périphérie », comme l’indiquait la commission d’aménagement (au sein du ministère de l’Intérieur) dans son avis sur la refonte du PAG de la Ville de Luxembourg en 2016. Cependant, ces voies sont des routes nationales et traversent plusieurs communes. L’administration de la capitale ne peut donc pas agir seule. Une concertation s’avère indispensable avec les communes voisines et avec l’État et plusieurs outils sont déjà mis en place. L’idée de définir des agglomérations urbaines apparaît ainsi dans le PDAT. Ce sont des zones qui regroupent les pôles majeurs de développement et correspondent à un territoire urbain dense caractérisé par une continuité du bâti : la Nordstad, l’Agglo-Centre et la Région Sud. Contrairement au concept français de communauté de communes (Eurométropole de Metz, Grand-Nancy, Métropole européenne de Lille ou encore Grenoble-Alpes Métropole), il ne s’agit pas d’un niveau décisionnel ou juridique nouveau. L’ensemble est régit par une série de conventions, groupes de travail et coopérations. L’espace d’action « Ensemble urbain du Centre » tel que proposé par le PDAT2023 comprend les communes de Bertrange, Hesperange, Leudelange, Luxembourg, Mamer, Niederanven, Sandweiler, Steinsel, Strassen et Walferdange, qui font partie de l’espace de planification actuel Agglo-Centre ainsi que les communes de Kopstal, Schuttrange et Contern. Soit treize communes comptant près de 215 000 habitants.

« Sur ces axes d’entrée de ville, plusieurs logiques doivent cohabiter et plusieurs niveaux de planification doivent coïncider », explique Shaaf Milani-Nia, cheffe du service de l’urbanisme et du développement urbain à la Ville de Luxembourg. Ces voies sont notamment inscrites dans le nouveau plan national de mobilité (PNM2035), « ce qui va forcément influencer la programmation de ces lieux ». Puisque ces routes sont nationales, c’est à l’Administration des Ponts et Chaussées de fixer les besoins pour la bonne réalisation de la programmation. Elle estime ainsi une limite entre le domaine privé et le domaine public, « ce qui détermine un plan d’alignement auquel on travaille en concertation. » La responsable de l’urbanisme détaille : « Si on veut qu’il y ait du tram, du bus, de la voiture, des vélos, des piétons, chacun sur un site propre, plus des places de stationnement et des arbres, ça prend beaucoup de place. Il y a des arbitrages à faire pour voir comment certains usages peuvent coïncider de manière peu conflictuelle, renoncer à certains ou les déplacer vers des voies parallèles ». Les décisions concernant la mobilité sont celles dont l’impact est ou sera le plus visible. La route d’Arlon où il est prévu de faire passer le tram, est ainsi appelée à changer de visage, non seulement dans l’occupation de la route, mais aussi sur ses abords. « Pour que ces routes soient vivables, il faut éviter les ruptures dans le tissu urbain », explique une urbaniste. Elle considère qu’il advient d’assurer une mixité de fonctions entre habitations, commerces, bureaux, espaces verts, espaces sociaux et de loisirs, « ce qui n’empêche pas de réfléchir à une cohérence d’ensemble, y compris de ce qui vient en deuxième ligne ». Elle estime que « la mutabilité, l’évolutivité est un autre point important. L’un des critères d’une bonne conception d’entrée de ville est qu’elle puisse évoluer dans le temps ». Enfin, elle parle aussi de rythme et de coupures, praticables par les piétons, dans les « façades » de la route pour éviter la monotonie, source d’ennui qui suscite l’accélération des voitures. Les architectes du bureau 2001 qui ont planché sur le futur quartier du stade à la route d’Arlon ont eu cette préoccupation en ligne de mire : « Notre volonté est de trancher par rapport au principe d’alignement frontal qui est à l’œuvre aujourd’hui dans les constructions, jusqu’à l’entrée de l’autoroute et au-delà. Il s’agit donc d’ouvrir vers la route et les rues voisines pour inviter à entrer dans le quartier », expliquait Philippe Nathan au Land (17.12.2021)

La route de Longwy qui arrive de manière presque rectiligne jusqu’au centre ville est un exemple de la diversité d’aménagements. Elle traverse différentes ambiances urbaines – petites maisons unifamiliales, commerces, stations d’essence, maisons plus cossues (qui font partie du secteur protégé d’intérêt communal), résidences – pour être coupée de manière abrupte par l’accès à l’autoroute, puis se poursuivre à Bertrange où une nouvelle mixité est en train de se développer. En plus des zones commerciales de différentes ampleurs et plus ou moins bien intégrées dans le paysage, des immeubles d’habitation ont été construits et d’autres sont à venir.

La situation de Bertrange, n’est pas la même que celle de Strassen. Ainsi, la plusieurs services communaux et le centre culturel de Strassen sont situés directement sur la route d’Arlon qui apparaît comme un « centre-ville ». En revanche, que Bertrange a gardé une structure plus rurale même si la commune est encerclées par de grands axes routiers. « Il apparaît nécessaire de réorienter le potentiel de croissance et de structurer l’espace pour contribuer à renforcer les fonctions centrales, à densifier la structure urbaine et à assurer une gestion intégrée des flux de transports », lit-on dans l’avis de la commission d’aménagement sur le PAG de Strassen. Plusieurs autres commentaires vont dans le même sens, pointant un manque de densification. Une « zone d’habitation 2 » est retoquée au motif de « génèrer essentiellement, voire exclusivement des maisons plurifamiliales, mode d’utilisation du sol non approprié en ces lieux », une zone d’activités économiques risque de « contribuer pas au mitage manifeste du paysage ». La commission prône diverses densités d’unités de logement par hectare à divers niveau de la route. Cependant, le plan actuel ne permet de construire des résidences que de 3,8 étages de haut.

La hauteur des immeubles reste bel et bien un tabou doublé d’un fantasme : « La peur de la tour revient régulièrement dans les discussions avec les communes. Les gens s’imaginent des gros immeubles de plusieurs dizaines de niveaux avec des centaines d’habitants. La densité, ce n’est pas cela ! » », s’étrangle Taina Bofferding (LSAP), ministre de l’Intérieur. « Nous travaillons avec les communes pour que les nouveaux quartiers soient pensés en amont avec les habitants et les futurs usagers. Nous les poussons à organiser des ateliers citoyens, des concertations, des présentations de projets le plus tôt possible. Cela permet une meilleure adéquation du projet aux besoins, mais aussi une meilleure acceptation de ce projet », détaille la ministre. Sans empiéter sur la sacro-sainte autonomie communale, elle considère que la Direction de l’aménagement communal a plutôt un rôle d’accompagnement et de conseil. « Dans le cadre de notre fonction de consultation, nous mettons en place des plateformes de concertation entre les différents niveaux décisionnels. Le challenge est d’allier densité et qualité de vie. »

La densité de construction est déjà à l’œuvre sur plusieurs axes de ces routiers. La route d’Esch en montant vers Gasperich a désormais des allures de canyon avec des immeubles de chaque côté, de quatre à cinq étages dans le bas, à six ou sept quand on monte la colline. La route de Thionville connaît plusieurs chantiers où une série de maisons en bande sont transformées en résidences à appartements de quelques étages. Un nouveau quartier sera développé dans une zone entre cette route et le nouveau Boulevard de Kyiv, ce qui aura aussi une incidence sur le paysage urbain. « Les nouvelles constructions d’immeuble semblent arriver d’un coup. C’est ce qui se passe quand une génération vend et libère le foncier », commente la cheffe du service de l’urbanisme de la Ville de Luxembourg. Shaaf Milani-Nia explique que lorsque des maisons se libèrent, lors de successions par exemple, les voisins voient parfois l’aubaine de vendre ou les promoteurs vont les démarcher. Dans les limites autorisées par le PAG, des immeubles plus importants vont alors être construits. Quant à l’esthétique de ces nouvelles constructions, elle se garde bien de juger. « La qualité architecturale et urbanistique dépend de la sensibilité d’abord des maîtres d’ouvrage, puis des architectes. L’administration ne peut pas assurer la beauté urbaine. Les textes réglementaires n’ont pas pour mission de dicter un goût. La notion d’intégration harmonieuse a du mal à être jugée par un tribunal administratif », argue-t-elle. Cependant, elle estime que la culture du bâti a fait d’importants progrès ces dernières années grâce à la création de prix d’architecture, l’adoption de labels de qualité, ou les préoccupations environnementales. « L’utilisation du crépi n’est plus plébiscitée à cause des isolations de façades. Cela met en évidence d’autre matériaux comme la pierre ou la brique, avec d’autres propriétés architecturales. » Pour la responsable, les promoteurs « les plus professionnels » sont de plus en plus soucieux de la qualité des constructions, « même s’il existe toujours des promoteurs qui montent des projets uniquement sur papier, qui revendent des autorisations et qui n’ont aucune préoccupation esthétique. »

Le développement urbain reste un processus continu et dynamique qui dépend de nombreux acteurs et niveaux décisionnels. Les entrées de ville sont symptomatiques de la qualité de la réflexion, de la compétence prospective et de la prise de décision pour concilier ou trancher des intérêts et volontés parfois contradictoires. C’est bien ce que doit être la politique.

France Clarinval
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