François Colling, Paul Cerf

« Pour le PCS et le POSL, il y a eu une rupture »

d'Lëtzebuerger Land du 20.04.2000

d'Lëtzebuerger Land : Avec quel sentiment allez vous voter le 30 avril ?

Paul Cerf : Si je n'y étais pas contraint, Jung et Mutsch pourraient jouer aux dés pour décider qui des deux deviendra bourgmestre...

François Colling : ...ou bien tirer à la courte paille. Cette élection est superflue. En octobre, il y avait peut-être une courte victoire, mais c'était bel et bien une victoire pour le PCS. Puis l'affaire Mischo a éclaté, et la zizanie pouvait commencer.

L'affaire Mischo comme déclencheur d'une situation qui pourrait s'avérer fatale pour l'image de la politique ?

F. C. : Les deux faits majeurs incriminés sont la déclaration de loyauté et les 5 000 francs mensuels que Jung payait à Mischo. Des déclarations de loyauté, j'en ai signé à chaque fois que j'étais candidat aux élections nationales. Il s'agit d'une procédure normale au PCS. Quant à l'affaire des 5 000 francs, s'il y avait eu un fait pénal, je pense qu'il y aurait eu une plainte.

Les opinions divergent pourtant !

P. C. : L'affaire Mischo a créé un effet de surprise parce que les gens n'étaient pas habitués à ce que le linge sale du PCS soit lavé en public, contrairement au POSL. L'affaire des 5 000 francs, même si elle ne relève pas du pénal, moralement, c'est une ignominie. Il s'agit de corruption pure et simple et confirme ceux qui disent que la politique est sale, ce qu'elle n'est pas.

F. C. : Dès que l'argent entre en jeu de cette façon, c'est vrai, il ne peut plus y avoir d'engagement moral.

Donc, ce qu'ont fait Jung et Mischo n'est pas justifiable moralement ?

F. C. : En tout cas difficilement acceptable.

Est-ce que Jung est dès lors encore tolérable comme tête de liste ?

F. C. : Jung était membre du collège échevinal pendant six ans sans que cela ne dérange quelqu'un... Je crois plutôt que c'est la nouvelle équipe du POSL qui n'aime pas Jung.

P. C. : Je me demande d'ailleurs d'où vient cette popularité de Jung. Il est député depuis des années, mais il n'a encore jamais fait de déclaration programmatique, n'a encore jamais été rapporteur d'un projet de loi fondamental. Ce n'est pas une personnalité marquante du point de vue national et à Esch, c'est tout simplement une catastrophe. Il était en charge de la circulation : à Esch, c'est le chaos ! Il était en charge de la culture, il a mis tout son poids pour saboter le projet de la Kulturfabrik ! Le seul endroit où, à Esch, Créativité s'écrit avec un grand C... Et lorsque les machinations de Jung éclatèrent au grand jour, le PCS, avec sa présidente nationale en tête, a continué de le soutenir.

F. C. : Le parti a une influence minimale sur ses sections qui décident souverainement de la composition des listes. Il n'y avait que deux alternatives : soit Jung est tête de liste ou le PCS se présente sans tête de liste. Jung a pris sa décision, la section l'a soutenu et donc le parti doit vivre avec cette situation.

P. C. : Il ne faut cependant pas oublier que Jung est parvenu à faire le grand nettoyage dans les rangs du PCS et que la liste, telle qu'elle se présente, est composée, comme on dit à Esch, de créatures de Jung.

F. C. : Comme les candidats du POSL sont les créatures de Lydia Mutsch...

Déi Gréng et Déi Lénk ont annoncé qu'ils ne participeront pas à une coalition avec le PCS tant qu'il y aura Jung. Ne devraient pas tous les partis se positionner avant les élections ?

P. C. : Non, c'est trop dangereux. On ne sait pas à l'avance quel sera le rapport des forces après les élections. Les libéraux ont dit qu'ils ne voulaient pas Déi Lénk dans une coalition. Était-ce nécessaire ? Il faut toujours se laisser une marge de manoeuvre. Par rapport à Jung, je comprendrai une exclusive, bien qu'on ne sache pas comment réagirait l'électorat.

F. C. : Les déclarations de coalition avant les élections sont à éviter. On attend le verdict des urnes et puis on regarde ce qui est possible. Sinon, nous risquons une troisième élection. Si des partis sont exclus d'office et les autres ne trouvent pas de majorité par après, qu'est-ce qui se passera ?

Le seul parti à ne pas s'être prononcé contre l'ADR est le PCS. Une issue de secours pour l'après-30 avril ? 

F. C. : En théorie cette constellation est possible.

P. C. : Je ne crois pas que les candidats de l'ADR à Esch soient des fascistes ou des totalitaires, ce sont plutôt les rois de la politique de comptoir. Mais ce n'est pas avec cette approche politique qu'on gère une ville. Celà dit, je peux très bien m'imaginer une coalition entre le PCS et l'ADR : tous deux sont, à Esch, avides de pouvoir.

F. C. : Le POSL ne peut pas accepter un bourgmestre PCS, où est la différence ?

À l'inverse du PCS, le POSL a traversé sa crise avant les élections du 10 octobre dernier, avec le retrait de l'échevin Henri Grober... Puis, en douce, le POSL s'est débarrassé de l'actuel bourgmestre François Schaack.

P. C. : Grober était capable, mais un poids plume politique. Il a été catapulté échevin, était désigné à prendre la succession de Schaack, mais n'avait ni l'expérience ni la patience nécessaires. Quant à Schaack, c'est un homme politique de gauche, correct, que tout le monde estime pour le professionnalisme avec lequel il gère sa ville. Il a fait une faute : il n'est pas parti au sommet de sa gloire, et c'est pourquoi il a été impliqué dans la zizanie actuelle. C'est dommage. Résultat des courses, Mutsch contrôle parfaitement la section eschoise du POSL ce qui est de bon augure pour le parti.

F. C. : Ceux qui sont maintenant aux premiers rangs doivent montrer ce qu'ils savent faire. Moi j'ai connu Mutsch au Parlement, et je citerai à son sujet feu mon collègue Fernand Rau : « Dat ass awer éng dënn Zöppchen, déi hatt do gekacht huet ». Jung n'excelle peut-être pas à la Chambre, mais son engagement com-munal est connu. Mutsch n'a pas d'expérience au niveau communal, mais peut compter sur le soutien du syndicat et du tageblatt. Comme leader d'une commune, pour moi, c'est une feuille blanche.

Au sein du PCS, le renouveau a laissé des traces. L'affaire Mischo, le tandem Baschera-Jung qui se débarrasse de l'ancien président de section Maroldt, l'éviction de Kirt...

F. C. : Le renouveau au PCS se fait par les femmes ! Il y a dix femmes sur la liste. Jung aura peut-être été le dernier grand matador masculin du PCS à Esch. Ce qui n'est pas une mauvaise chose, car l'homme est toujours plus orienté vers le succès, alors que la femme a plus de patience et d'intuition pour juger les choses.

P. C. : Le vrai nettoyage dans les rangs du PCS aura lieu lorsque le PCS aura perdu les élections.

La campagne électorale à Esch, se fait-elle par les programmes ou par une focalisation sur des personnes ?

F. C. : Qui lit les programmes des partis politiques ? Ceux qui s'y intéressent sont peu nombreux. Ce sont des gens qui sont élus ou des partis, mais rarement un programme. 

P. C. : Les programmes des partis, surtout au niveau communal, sont des images d'Épinal. C'est toujours la même chose. On fait des promesses et des promesses, et en fin de compte, on retrouve les mêmes promesses que celles formulées en 1970... Et concernant les problèmes qui intéressent les gens : parking, circulation etc., tout le monde promet de toute façon la même chose...

Il y a cependant une grande responsabilité à gérer une commune, surtout une grande commune comme Esch.

F. C. : Cela se fait ensemble. Lorsque nous étions dans l'opposition, nous avons fustigé les socialistes à cause de leur gestion financière. Puis, en coalition avec les socialistes, nous avons - ensemble - assaini les finances. Les contacts, le lobbying au bon endroit, c'est primordial. Quand il y va de l'intérêt de la commune, personne ne doit tirer la couverture vers soi. À l'exemple du Centre national de formation professionnelle continue (CNFPC). Il était prévu à Helfent, mais le ministère n'a pas trouvé de terrain approprié. Je l'ai su au Parlement, puis, ensemble, c'est-à-dire le PCS, le POSL et le PCL, nous avons oeuvré pour que le CNFPC vienne à Esch. Ce qui a permis, par après et à cause des transactions de terrains, à créer la zone industrielle du Zare et aussi la zone d'habitation An de Nonnewisen. C'était une initiative commune, sans que quelqu'un ne se soit profilé avec cette affaire. Et des exemples comme cela, il y en a : par la venue de Telindus à Esch, tout un quartier, celui de la Grenz, a été revalorisé et rénové ; sportivement, Esch a réussi à obtenir le Centre national de Tennis.

Ces exemples sont bien beaux, mais les personnes impliquées n'étaient pas en guerre l'une contre l'autre... Ces coups sont-ils encore possibles au vu de la situation actuelle ?

P. C. : Je crois que oui. Il y a une certaine fierté d'être Eschois, ce qui en fin de compte s'imposera toujours.

F. C. : Vrai ! Et comme acteur politique, il faut savoir dépasser certaines rancunes. J'ai eu les pires disputes politiques avec Henri Grethen, mais notre amitié perdure.

Ces disputes se sont passées sur le plan politique, alors qu'actuellement, il s'agit de véritables règlements de comptes personnels...

P. C. : Effectivement, lorsque Jung cite Schaack en justice, on ne joue plus le ballon, mais on joue l'homme. Mais, après les élections, on verra : ce sera difficile, mais il faudra une solution.

Quant aux slogans : le POSL promet, avec le printemps, le renouveau, tandis que le PCS fait montre d'une certaine indocilité en claironnant : « Elo just d'CSV ! »

F. C. : Ce slogan est choisi en connaissance de cause. Le PCS est combattu sur tous les fronts. Il en a fait son fonds de commerce

Certains prétendent que Esch, c'est la ville des occasions ratées en ce qui concerne l'urbanisation.

P. C. : D'une certaine façon, oui. Tout l'argent européen qui pourrait être consacré au développement d'Esch, rien que dans le cadre du développement régional. Ces possibilités devraient être plus exploitées, mais personne ne semble vraiment s'y intéresser. Pour que la Kulturfabrik est ce qu'elle est devenue, il fallait déclencher une guerre pour que l'on puisse profiter des fonds européens.

F. C. : J'étais à l'époque presque le seul à me battre pour la Kulturfabrik, avec les jeunes de mon parti. Schaack n'en voulait pas, tout comme Jung ! Mais dès qu'on avait réussi à se procurer de l'argent provenant des fonds de l'UE, ils n'ont plus pu dire non, ils étaient forcés de soutenir le projet. Et si vous voyez la Kulturfabrik aujourd'hui, c'est une réussite, pour les jeunes d'Esch, des environs et au-delà.

Esch, capitale du Sud, est-ce vrai ?

F. C. : Esch fait des efforts, Esch remplit une fonction régionale. Il faut que cela soit honoré. Mais qu'est-ce que cela vaut aux yeux des décideurs au Centre ? Esch ne peut être en concurrence avec la capitale nationale, mais devrait être davan-tage considérée comme capitale régionale.

P. C. : Il faut davantage de décentralisation. Pourquoi ne pas implanter plus d'administrations à Esch ? Mais vous savez, il est déjà parfois difficile de réaliser de petites choses dans Esch même. Il y a tellement de petits trucs que l'on pourrait réaliser - aménagement d'un camping avec piscine au Galgebierg p. ex. - pour rendre la ville plus attractive et augmenter la qualité de vie. Mais les intérêts - personnels parfois, politiques sinon - divergents rendent cette chose impossible. Alors, pour oeuvrer vers l'extérieur...

F. C. : Parfois, ça marche : les hôpitaux d'Esch et de Dudelange ont signé un contrat de collaboration, l'hôpital de Differdange va plus que probablement se joindre à cette alliance. Et voilà que trois structures jusque-là gérées au niveau de la commune ont créé une structure régionale efficace.

P. C. : Oui, et concernant le moratoire du plan hospitalier, toute la région est solidaire.

Que représente Esch dans la symbolique pour le POSL, pour le PCS ?

F. C. : Je crois que cette question s'adresse avant tout au POSL...

P. C. : Esch doit être rouge, je ne peux m'imaginer autrement l'avenir d'Esch. Esch, c'est la gauche ! Si Esch tombe, le PCS aura Pétange, Kayl, Belvaux et Mondercange... Ce serait la fin du Sud rouge. Alors que d'un autre côté, l'axe Bettembourg-Dudelange-Esch serait une carte de visite excellente pour les socialistes pour préparer les prochaines élections nationales et regagner « leur » région, le berceau du parti, le berceau du mouvement ouvrier. Il est inimaginable que les socialistes perdent les élections communales du 30 avril. Sinon, c'est la fin.

F. C. : Je n'ai rien à y ajouter. 

Quel est l'influence des médias, surtout du tageblatt, mais aussi du Wort sur la situation à Esch ?

F. C. : Quelques jours après les élections du 10 octobre, l'éditorial de Sold dans le tageblatt disait qu'Esch ne voulait pas de bourgmestre PCS. Pour moi c'était l'annonce de l'échec, car il n'y avait qu'une seule possibilité de coalition.

P. C. : Oui, mais le tageblatt n'est plus un journal socialiste tout comme son sous-produit Le Jeudi se défend d'être socialiste ! On ne peut imputer une telle responsabilité à un journal qui n'est plus ce qu'il était !

F. C. : Les médias ont toujours une influence sur les élections. Mais le Wort est moins impliqué que le tageblatt. Tout se concentre sur les personnes. Le rôle des médias est moins politique, il concerne plus les candidats pris individuellement.

P. C. : L'influence des médias est relative, limitée, car sinon, on n'aurait pas besoin d'élections. Le Wort vend au moins autant d'exemplaires que le tageblatt à Esch... Il ne publie pas tous les samedis un éditorial sur Esch comme le fait le tageblatt, mais met en valeur les candidats du PCS. Quant au tageblatt, il ne suffit pas de soutenir les candidats socialistes dans les éditoriaux du samedi quand on décrie tout ce qui ne fonctionne pas à Esch pendant la semaine.

Qu'apporteront les élections, sans véritablement parler de pronostic ?

F. C. : Le clivage droite/gauche est trop idéel pour être réel. À mon avis, POSL et PCS perdront des voix, les gagnants seront Déi Gréng et l'ADR, sans oublier les libéraux et Déi Lénk. Ce qui équivaut à dire que les « petits » partis seront renforcés. Ce qui ne facilite pas les choses pour trouver une coalition avec une forte majorité.

P. C. : Une coalition entre PCS et POSL ne sera plus possible comme en octobre. D'où : le PCS ou le POSL devront trouver une majorité à part. Tous les partis, à l'exception du PCS, ont exclu une coalition avec l'ADR. Je crains ainsi des coalitions faibles, ce qui n'est pas dans l'intérêt de la ville d'Esch car il y aura trop de tendances à respecter.

F. C. : Le jeu des relations, le lobbying ne sera plus. De plus, la plupart des candidats actuels ne font pas véritablement le poids, ils n'ont pas l'expérience requise. Là résidait la force du POSL lors de son temps de gloire : ils ont édifié leurs candidats doucement, il n'y avait pas de rupture. Pour le PCS et le POSL, il y eut cette rupture.

Coalition de gauche, drapeau rouge sur la mairie à Esch : une vision d'horreur, une possibilité, une chance ?

F. C. : La coalition de gauche, ce n'est pas une vision d'horreur, c'est tout simplement un anachronisme. Une coalition avec les Verts, par contre, je n'ai a priori rien contre. Voyez Belvaux, la coalition entre PCS et Verts fonctionne.

P. C. : Déi Lénk possèdent en leurs rangs des vieux staliniens, mais aussi beaucoup de jeunes gens capables - qui seraient d'ailleurs tout aussi bien chez le POSL. Mais parlant de politique communale, au-delà de la symbolique : la réalisation de desseins communaux n'a que faire de divergences idéologiques. Il faut faire la part des choses, il faut éviter que la politique soit faite par les groupements d'intérêts locaux, il y va de l'intérêt commun.

F. C. : Esch a 250 associations, qui toutes ont une assemblée générale annuelle, avec leurs revendications...

P. C. : Pauvre Ady Jung, il doit se déplacer 250 fois par an...

F. C. : ...et il le fait, incroyable tout de même.

marc gerges
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