Résultats des nouvelles élections à Esch-sur-Alzette

Bâbord, toutes

d'Lëtzebuerger Land du 04.05.2000

Esch-la-Rouge continue d'exister. Indépendamment du fait si la possible, voire probable coalition de gauche verra le jour, les électeurs eschois ont renégocié vers la gauche le virage fuyant à droite du 10 octobre 1999. Petit bréviaire des faits marquants de ces élections.

Le scrutin de dimanche dernier était, malgré les augures contraires, un vote politique. Les partis de droite PCS, PDL et ADR ont encaissé des pertes en pourcentages et/ou en sièges, récupérés par les partis se situant plus ou moins à gauche. Le charabia de l'après 10 octobre a certes joué un rôle - Ady Jung a ainsi fait les frais de l'opération à la tête d'un PCS discrédité - mais la masse des électeurs a fait un choix clairement politique. L'ADR, que d'aucuns prédisaient grand vainqueur de ces élections, a perdu un siège ; son populisme et ses signes du pied vers sa « veste blanche politique » n'ont pas convaincu les électeurs qui ont souhaité d'abord la clarté politique, ensuite le retour à des valeurs sûres et connues. L'élection partielle de dimanche dernier peut ainsi être comparée à un « deuxième tour » d'une élection unique, le premier tour ayant eu lieu en automne dernier : au premier tour, l'on expérimente, au deuxième tour, les décisions sont prises en âme et conscience.

D'aucuns ont regretté que ces élections ont définitivement sonné le glas des contenus programmatiques politiques. Surtout dans le Luxemburger Wort, Henri Leyder se lamente du fait que le PCS ait subit un cuisant échec avec le même programme qui l'a amené à la victoire auparavant. Il est rejoint par le secrétaire du groupe parlementaire du PCS, Marc Glesener, qui estime que les contenus n'ont plus droit de cité dans le débat politique. Effectivement, le PCS a d'abord perdu des voix à cause du comportement de ses membres lors de la « zizanie politique » qui a marqué Esch. Mais si une équipe s'est discréditée, elle peut se présenter avec le meilleur programme du monde et échouer, sans que cela ne s'explique par un désintérêt civil à la chose politique. De fait, les gens se sont davantage intéressés aux programmes des partis que lors du premier vote. La recrudescence des votes de liste en est une illustration. D'un autre côté, il semble aussi que ce soit l'idéologie politique - au-delà des programmes - qui fut déterminante lors du choix électoral. 

La section eschoise du PCS a implosé. Jung a été la seule personnalité à être sanctionnée par les électeurs qui, selon l'intéressé, ont ainsi fait preuve d'une « absence de bon sens ». Qui plus est, il fut dépassé sur sa propre liste par celui qu'il avait cru avoir éliminé, l'ancien président de section François Maroldt. Jung a pris la seule décision possible et se retire de la politique communale. Toujours député, il ne saura probablement pas reconduire sa candidature lors des prochaines élections législatives. Fait aggravant, Jung avait réussi à liguer tout un chacun derrière soi, la défaite est donc collective. Maroldt savoure sa victoire et essayera un renouveau avec de nouveaux venus - parachutés - à l'exemple de Romain Kirt qui n'a pu cacher sa joie maligne lors de la proclamation des résultats et a déjà sonné la révolte contre les leaders locaux. L'implosion de la section eschoise du PCS risque aussi d'avoir des répercutions sur le parti au niveau national. Car Jung et sa liste bénéficiaient jusqu'au bout du soutien des leaders nationaux, de la présidente officielle Erna Hennicot au chef virtuel Jean-Claude Juncker en passant par les ministres d'origine eschoise François Biltgen et Michel Wolter. La défaite de Jung est aussi leur défaite dans la deuxième ville du Grand-Duché. Avoir conquis le fief des rouges dans un premier temps pour le perdre de façon aussi bête sape le moral des troupes. Surtout lorsque le PCS est aux abois au niveau communal.

L'ADR subit son premier revers électoral en perdant un siège. Une responsable du parti l'a expliqué par une liste loin d'être unie et des rapports, surtout financiers, difficiles avec le parti national. Toujours est-il que les politiciens du comptoir qui se disent apolitique - leur chef de file local Aly Jaerling avait déclaré qu'on ne saurait sauver une ville par une idéologie - ont fait les frais, justement, d'un vote politique. Les votes protestataires, fonds de commerce habituel de l'ADR, se sont mués cette fois-ci en votes constructifs. Devant le danger d'une situation ingérable, les électeurs ne voulaient pas d'expérience avec un parti sans lignes claires et avec une approche simpliste et accrocheuse. Preuve que les programmes ont quand même joué un rôle et que l'électeur s'intéresse quand même aux contenus.

Déi Gréng récoltent les fruits poussés sur une politique locale engagée. Le parti, qui se focalise surtout sur la personne de Félix Braz et a, dimanche dernier, bénéficié de la candidature du député vert Jean Huss, est une des valeurs connues et appréciées auxquelles, aux yeux des eschois, ont peut avoir recours. Omniprésent, Braz a tenu un langage clair et précis quant au positionnement politique et programmatique de son parti et a su persuader.

Déi Lénk, liste composée surtout par les membres de la Nei Lénk et du PCL, s'est imposée de façon magistrale. Bien que les communistes aient une grande tradition dans la cité du fer où ils détenaient, voici deux décennies, encore cinq sièges, le parti a continuellement perdu des voix pour finalement n'avoir plus qu'un seul élu communal. Avec 12,78 pour cent des voix, la Nei Lénk dépasse ainsi le résultat du PCL en 1987 (12,33 pour cent). L'union fait la force. L'effet André Hoffmann et son image d'intellectuel de gauche engagé pour la cause sociale a joué, le communiste réformateur a obtenu, de loin, le meilleur score personnel. Ce qui a aussi permis de remplacer les votes communistes traditionnels disparus avec le recul de l'industrie lourde. Mais les premiers effets néfastes du néolibéralisme, qui lors de son avènement dans les années 80 avait semblé sonner le glas des idéologies, ont aussi ramené nombre d'électeurs à l'idée d'un engagement social et solidaire. Surtout dans la ville où a émergé, au Luxembourg, cette idée.

Le POSL s'était présenté comme le parti du renouveau. D'abord le renouveau au sein du parti - l'ancien maire François Schaack avait été mis en touche - pour ensuite donner l'impression de donner un nouveau souffle à la ville. Tactiquement, c'était peut-être risqué, mais en finalité, c'était bien joué. Car l'équipe derrière Lydia Mutsch - qui avait toutes les peines du monde à s'imposer au sein de sa section - en a pleinement profité. Les électeurs ont même appliqué cette logique en soutenant de nouveaux visages sur la liste et en éjectant d'anciens militants, comme Raymond Welz, le seul travailleur de la liste socialiste. Le destin de Welz devient ainsi en quelque sorte symbolique pour la mutation de l'électorat socialiste. En fin de compte, les socialistes qui avaient cru devoir laisser la, « leur » ville au PCS le 10 octobre 1999, ont réussi à adapter l'image de leur parti à la nouvelle composition sociologique de l'électorat eschois. La reconquête du fief d'Esch-sur-Alzette est saluée par le parti. Garder Esch était d'une importance cruciale pour le POSL. Mais les ambitions de Mutsch, à la tête de la deuxième ville luxembourgeoise, sont grandes et le poste de maire pourrait donner un coup d'accélérateur à sa carrière. Un des points forts de sa campagne a été de définitivement imposer Esch comme la capitale du Sud. Or, la concurrence régionale la plus forte provient des villes phares socialistes du Sud que sont Dudelange et Bettembourg. Dont les responsables - Mars di Bartolomeo, Lucien Lux et autres Alex Bodry - jouent un rôle premier au niveau national. Avec Mutsch à la tête d'Esch, une double concurrence s'annonce dans la région du Sud et au sein du POSL.

Le PDL n'a pu profiter du léger regain, dû à leur succès aux législatives, obtenu le 10 octobre dernier. Aussi bien en ce qui concerne les votes personnels que les votes de liste, le PDL est à la traîne. Jouer les seules cartes de la sécurité et de la participation au gouvernement n'aura pas suffi pour s'imposer. Les libéraux restent constants, mais marginaux à Esch. L'image plutôt pro-capitalistique du parti ne semble pas avoir sa place dans l'ancienne ville « prolétaire ». Les libéraux y avaient leur heure de gloire lorsque le scrutin n'était pas encore universel et direct et lorsqu'il fallait contrer l'influence cléricale.

Une coalition POSL-PCS semble exclue d'office, bien que Maroldt fait illusion d'y croire encore. Façon comme une autre d'enquiquiner un peu Jung et ses acolytes. Sinon, le résultat des urnes a effacé d'un trait les six années où le PCS participait à la gestion de la ville. Une coalition à gauche semble s'imposer et est sérieusement envisagée par les trois partis concernés. Ce qui était impossible en octobre - il manquait un siège - devient, par la reconquête de deux sièges, logique. Gréng et POSL s'étaient en octobre dernier heurtés au principe de rotation instauré par Déi Lénk. Hoffmann a trouvé la solution qui empêche toute rotation : en laissant son mandat de député à disposition d'Aloyse Bisdorff qui devait lui succéder lors de la rotation, il pourrait dès lors aller à la fin de son mandat échevinal. Et si en octobre dernier, des revendications électorales devaient encore servir d'explication pour une non-compatibilité programmatique, cela ne semble plus le cas aujourd'hui ni pour le POSL ni pour Déi Gréng ni pour Déi Lénk. Tous semblent prêts à faire des concessions pour renouer avec la tradition des coalitions de gauche à Esch, reste maintenant à savoir à quel degré. En cas de désaccord, il reste une possible  coalition de centre-gauche, avec le PDL au lieu de Déi Lénk. Le seul avantage - à part une adaptation tous azimuts de leur programme - avancé par les libéraux consiste en leur participation gouvernementale. Un argument qui pourrait se révéler contre-productif dans la mesure où Esch, avec une coalition de gauche, pourrait être appelé à devenir un instrument de choix pour l'opposition en ces temps où le parlementarisme bât de l'aile.

marc gerges
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