L’indexation ne compense pas l’inflation si le barème d’imposition n’est pas adapté. Les plus touchés, sont les ménages les plus modestes, selon un rapport de l’OCDE

Double peine

Conférence de presse vendredi 3 mars à Senningen à l’issue de  la réunion tripartite
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 05.05.2023

L’inflation grignote le pouvoir d’achat des ménages. Même lorsque des hausses de salaires sont consenties, de manière plus ou moins automatique, pour le maintenir, elles ne sont pas forcément suffisantes et surtout elles interviennent avec retard. Mais il existe un effet plus pernicieux. Dès lors que les salaires bruts augmentent dans le but de rattraper la baisse du pouvoir d’achat, les cotisations sociales s’accroissent et les impôts sur le revenu font de même puisque les ménages gagnent plus. Cette « double peine », a été mise en évidence par un document publié par l’OCDE le 25 avril. L’édition 2023 des « Impôts sur les salaires » confirme d’abord que si les salaires ont progressé en valeur nominale en 2022 dans les pays de la zone OCDE, ils ont reculé en valeur réelle sous l’effet de la forte inflation. Cela concerne aussi bien les salaires bruts que les salaires nets. L’étude montre par ailleurs que la hausse des rémunérations a fait basculer les salariés dans des tranches d’imposition supérieures. Non seulement ils doivent payer plus, mais leur éligibilité à certains avantages fiscaux et à certaines prestations s’en trouve restreinte.

Finalement, les taux effectifs d’imposition se sont accrus en 2022 dans la plupart des pays de l’OCDE pour une majorité de foyers, quels que soient leur structure et leur niveau de revenus. Cette hausse, très sensible pour les familles avec enfants, particulièrement celles situées au bas de l’échelle des revenus, tient notamment à la mauvaise indexation des systèmes de prélèvements sur l’inflation. Selon l’OCDE, sur 38 pays membres, 17 adaptent automatiquement leurs barèmes d’imposition du revenu des personnes physiques à l’inflation, tandis que les 21 autres le font de manière discrétionnaire. 21 pays procèdent à un ajustement automatique des cotisations de sécurité sociale, et 19 à un ajustement automatique des prestations. Le rapport souligne que lorsque les systèmes fiscaux et sociaux ne sont pas ajustés en tenant pleinement compte de l’inflation (soit dans la moitié des pays environ) ce sont les ménages à faible revenu avec enfants qui en pâtissent le plus. Au Luxembourg, « la progression à froid » a été jugulée par les mesures de la Tripartite du mois de mars avec une adaptation du barème fiscal en 2023 et 2024.

Le rapport de l’OCDE fournit des données détaillées sur les prélèvements fiscaux et sociaux par pays, en fonction des revenus et de la composition des ménages. En prenant le « profil de référence », à savoir un célibataire sans enfant percevant le salaire brut moyen de chaque pays, le poids de l’impôt sur le revenu (IR) est de 16,9 pour cent du salaire brut pour les 22 pays de l’UE membres de l’organisation (parmi les seize autres, certains comme le Chili, la Colombie ou le Mexique ont des données atypiques qui tirent la moyenne générale vers le bas). Le poids de l’IR atteint un pic de 22,8 pour cent pour les célibataires sans enfant gagnant 167 pour cent du salaire moyen, mais il est nettement plus faible pour les autres catégories de ménages. La présence d’enfants joue un rôle-clé (principe de la redistribution horizontale) : un couple de deux salariés gagnant chacun le salaire moyen et avec deux enfants ne verra que quinze pour cent de son revenu brut partir en IR. Ce taux tombe à 12,5 pour cent si l’un des membres ne gagne que 67 pour cent du salaire moyen et à 9,9 pour cent s’il n’y a qu’un seul salaire. Un parent isolé élevant deux enfants avec un salaire modeste ne paiera que 5,3 pour cent en impôt sur le revenu.

À revenu égal, un couple de DINK (double income, no kids) acquittera 2,2 points de plus en IR qu’un ménage avec deux salaires et deux enfants (14,7 pour cent contre 12,5 pour cent). Dans tous les cas de figures, le poids de l’IR a diminué pour les 22 pays entre 2000 et 2021, mais entre 2021 et 2022, il a légèrement remonté pour sept profils sur huit, en raison de l’inflation. La prise en compte des cotisations sociales change quelque peu la donne. Elles sont en principe proportionnelles aux salaires bruts alors que l’IR est généralement progressif. D’autre part on raisonne sur des cotisations nettes de prestations reçues. Or ces dernières peuvent varier selon les profils. Au final la note s’alourdit de onze à douze pour cent du salaire brut pour tous les célibataires, quel que soit leur revenu (pour les plus modestes, les cotisations pèsent ainsi plus que l’IR) et pour les DINK. La prise en compte des prestations familiales fait que l’augmentation de la pression totale due aux cotisations est moindre pour les couples avec enfants (de cinq à neuf pour cent du salaire brut selon leur revenu). Mais pour les parents isolés avec enfants, elles permettent d’alléger d’un tiers le total des prélèvements !

Concernant le rôle possible de l’inflation entre 2021 et 2022, on observe que dans les 22 pays de l’UE, la pression fiscale et sociale n’a augmenté que pour trois profils sur les huit, et de manière très limitée. Le problème est que la catégorie la plus touchée est aussi la plus modeste : les parents isolés avec deux enfants ne gagnant que 67 pour cent du salaire moyen.

Dans ce contexte (donc avant l’adaptation du barème fiscal) comment se situe le Luxembourg ? Le résultat est contrasté. Pour la moitié des profils (deux de célibataires, celui des couples avec enfants les plus aisés et celui des DINK), la pression fiscale et sociale était, en 2022, supérieure à celle de la moyenne des 22 pays de l’UE (jusqu’à 5,4 points supplémentaires pour les célibataires aisés). Pour les quatre autres profils elle était inférieure, mais de peu, sauf pour les couples avec un seul salaire (-5,9 points du salaire brut). Ce qui frappe surtout au Luxembourg, c’est l’augmentation sur longue période (2000-2022) de la pression fiscale et sociale pour tous les profils, mais particulièrement pour quatre d’entre eux. Elle a ainsi progressé de 7,2 à 7,8 points pour les trois catégories de couples avec enfants, le moins bon résultat concernant le « parent isolé modeste avec deux enfants » avec + 8,4 points ! Ce dernier résultat, cohérent avec la moyenne des 22 pays de l’UE, est lié autant à l’augmentation de la fiscalité qu’à celle des cotisations nettes. En revanche pour les célibataires et les DINK la hausse est moins nette, entre un et 3,8 points.

Comme la moyenne des pays de l’UE et celle de l’ensemble de l’OCDE était à la baisse quel que soit le profil, le Luxembourg a connu une véritable dégringolade dans le classement mondial. En 2000, le pays occupait une place enviable pour la modération de sa pression fiscale et sociale, notamment pour les trois profils de couples avec enfants et pour celui de parent isolé. Le Luxembourg limite les dégâts pour les couples avec un seul salaire (passant de la troisième à la neuvième place sur 38) mais la chute est sévère dans les autres cas : ainsi le Grand-Duché tombe de la septième à la 22e place pour les couples aisés et de la quatrième à la quinzième place pour les parents isolés. Il perd aussi quinze places pour les DINK (de la quinzième à la trentième). Pour les célibataires, le Grand-Duché, déjà mal placé en 2000 perd aussi des places et figure désormais en queue de classement (entre le 27e et le 35e rang).

Un autre constat va dans le sens des conclusions du rapport. Après une baisse quasi continue entre 2000 et 2021, le prélèvement total a augmenté pour tous les profils (contre seulement dans trois cas au niveau des pays de l’UE et sept dans le total OCDE). Surtout, la hausse a été bien plus marquée au Grand-Duché qu’ailleurs, en à peine un an, au détriment à nouveau des couples avec enfants (1,2 à 1,4 point en plus) et des parents isolés (+2,3 points). Selon le rapport il faudrait voir là l’effet de l’inflation, mais de nombreux autres facteurs ont pu jouer comme la politique sociale qui influe sur le montant des prestations. Le prochain rapport de l’organisation dira si l’adaptation décidée en mars pour 2023 à 2024 a joué son rôle.

Le « coin fiscal »

L’étude se concentre sur un indicateur peu connu, mais très révélateur, appelé « coin fiscal ». Il est égal à la somme de l’impôt sur le revenu et des cotisations nettes de sécurité sociale, patronales et salariales (les prestations étant déduites), en proportion du total des coûts de main-d’œuvre supportés par l’employeur. Si un salarié célibataire perçoit 4 000 euros bruts par mois, qu’on lui prélève pour 800 euros de cotisations sociales, qu’il reçoit cent euros de prestations et paie 200 euros d’impôt sur le revenu, et que d’autre part son employeur acquitte 1 600 euros de cotisations patronales, le « coin fiscal » sera de (800-100+200+1 600)/(4 000+1 600)= 44,6 pour cent. Selon les calculs de l’OCDE, pour un célibataire percevant le salaire moyen dans chaque pays, le coin fiscal s’établissait à 34,6 pour cent en 2022 pour les 38 pays. Mais, sans surprise, les écarts étaient considérables, le coin fiscal allant de 53 pour cent en Belgique à zéro pour cent en Colombie. Chiffre étonnant, 23 pays sur 38 se situaient au-dessus de la moyenne. Parmi eux, 21 pays membres de l’UE dont le Luxembourg qui, avec 40,4 pour cent, apparaissait au treizième rang, une place somme toute honorable, surtout par rapport aux trois voisins (Belgique, Allemagne et France) qui occupent les trois premières places du classement de la pression fiscale et sociale.

En revanche, si l’on raisonne sur une longue période (depuis 2000) on s’aperçoit que si le coin fiscal a diminué au niveau de l’OCDE dans son ensemble (passant de 36,2 pour cent à 34,6 pour cent) et pour les 22 pays de l’UE membres de l’organisation (passant de 44,3 pour cent à 41,2 pour cent), il a progressé de 4,6 points au Luxembourg. Il n’était en effet que de 35,8 pour cent en 2000. Depuis cette date, le Grand-Duché a perdu 12 places. L’impact de l’inflation entre 2021 et 2022 est difficile à apprécier si l’on raisonne en moyenne générale : le coin fiscal a légèrement augmenté pour l’ensemble de l’OCDE et plutôt baissé pour les pays membres de l’UE. En revanche il a nettement augmenté au Luxembourg : entre +0,4 et +2,3 pour cent en seulement un an selon les profils des ménages. Le coin fiscal est certainement un indicateur utile sur le plan macro-économique, mais, dans la mesure où il incorpore les cotisations patronales, il est peu parlant pour le grand public qui s’intéresse surtout à ce qu’il doit payer.

Georges Canto
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