Congé politique

La fronde des maires

d'Lëtzebuerger Land du 30.10.2008

Same procedure as last year. Quel­ques mois avant la fin de l’année, les élus locaux s’impatientent. Mais chaque année, ils haussent le ton d’un cran à l’encontre de leur ministre de tutelle, celui de l’Intérieur, Jean-Marie Halsdorf (CSV). Le feuilleton politico-politicien qui se trame depuis presque trois ans se joue dans l’ombre des mairies, dans les coulisses des partis, à la Chambre des députés et dans la salle de réunion du conseil de gouvernement. Or, depuis cet été, l’histoire fait du surplace, alors que les acteurs – élus locaux, ministres, députés, direction des partis et le Syndicat des villes et communes (Syvicol) – affirmaient avoir trouvé un consensus depuis au moins le début de cette année, se basant sur les propositions du Syvicol. 

Selon cette proposition, qui remonte à janvier 2008, le congé politique du maire augmenterait, selon la taille de la commune, de une à 22 heures hebdomadaires ; celui des échevins de une à huit heures par semaine. Être maire d’une commune de plus de 10 000 habitants deviendrait alors un métier à temps plein, soit quarante heures par semaine – actuellement ce seraient les villes de Differdange, Dudelange, Esch-Alzette, Hesperange, Pétange et Sanem, plus celle de Luxembourg, dont le maire est déjà aujourd’hui le mieux loti, avec trente heures de congé politique. Les échevins de ces grandes villes gagneraient autant d’heures de congé politique pour arriver à un mi-temps (comme le sont déjà ces mandats à la Ville de Luxembourg). Selon les maires, les nouvelles missions qui incombent aux communautés locales leur demandent de plus en plus de temps et donc de disponibilité, le mandat devenant un métier plutôt qu’un hobby qu’on fait le soir et le week-end. 

Le congé politique tel qu’il est pratiqué actuellement est assez récent et remonte à la loi communale de 1988 : tous les élus locaux, y compris les conseillers, « ont droit à un congé politique pour remplir leurs mandats ou fonctions » (article 78). Durant ces heures, dont le nombre est fixé par règlement grand-ducal, proportionnellement à la taille de la commune, l’élu peut s’absenter de son lieu de travail, mais garde les cent pour cent de sa rémunération. Le patron continue à virer le salaire entier et est remboursé, charges patronales comprises, par l’intermédiaire du fonds des dépenses communales, qui gère ces demandes de la part des patrons, et refacture le montant aux communes. Ce sont donc les communes elles-mêmes qui doivent financer ces salaires des élus locaux. Le salarié garde son emploi et pourra réintégrer pleinement son poste à la fin de son mandat, au moins en théorie. Les indépendants et les personnes sans profession âgées de moins de 65 ans, touchent un montant forfaitaire, qui est actuellement le double du salaire social minimum pour ouvriers qualifiés. Les retraités qui exercent un mandat politique au niveau communal ne touchent que les indemnités de frais liés à la fonction, qui varient entre trente euros par mois pour les échevins des petites communes à 768 euros pour le maire de la capitale – le ministre a promis une augmentation de dix pour cent de ces indemnités, dans le cadre de cette adaptation. Mais on ne peut donc pas vraiment dire que c’est Byzance.

Les profils des maires sont aussi différents qu’ils sont nombreux. Des 116 communes du Luxembourg, 17 sont présidées par des députés-maires, qui cumulent mandats locaux et mandats nationaux – et peuvent également additionner le congé politique accordé selon la loi communale avec les vingt heures maximales de congé politique que leur accorde le mandat de député, sans toutefois excéder les quarante heures par semaine du temps de travail légal. Ceux-là sont donc d’office politiciens professionnels – et ils sont plus discrets dans la fronde actuelle des élus locaux. 

Durant les travaux préparatoires de la commission parlementaire spéciale « Réorganisation territoriale du Luxembourg » présidée par l’ancien ministre de l’Intérieur Michel Wolter (CSV), qui avait l’ambition herculéenne de réorganiser tout le territoire du grand-duché, les idées les plus aventureuses pour professionnaliser les tâches des élus locaux, interdire le cumul des mandats locaux et nationaux et faire siéger les élus locaux dans une nouvelle assemblée circulaient – le DP s’opposant avec ferveur à cette dernière idée. Dans son rapport de juin de cette année, la commission affirme qu’« une discussion sur le bourgmestre professionnel à temps plein s’impose » mais que « la façon de trancher la question du cumul des mandats sera fonction, en définitive, de la future carte administrative du pays » (page 41). Elle se rallie ainsi à la position que le gouvernement lui avait transmise sur la question, et qui jugeait que l’introduction de la fonction de bourgmestre à temps plein pouvait déjà se faire par la petite porte, par le biais de l’augmentation du congé politique dans les grandes communes de plus de 10 000 habitants. 

Le ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf, connaissant bien la revendication des maires pour avoir revêtu ce mandat à Pétange avant les législatives de 2004, a donc préparé un projet de règlement grand-ducal allant dans le sens aussi bien des recommandations des députés, du gouvernement que du Syvicol. Le 18 juillet, il présenta le texte au conseil de gouvernement, suivant la demande du Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) de le soumettre en même temps que le projet de loi sur les communautés urbaines et la nouvelle cartographie du paysage communal. Et c’est là que les discussions internes ont commencé, notamment autour des communautés urbaines, dont le concept même est ressenti par les agglomérations concernées, dont certains fiefs socialistes du Sud, comme un dirigisme mal venu de la part du ministère (d’Land du 29 août 2008). Jean-Marie Halsdorf fut donc chargé de trouver un consensus dans ce dossier avant que ne soit discuté le congé politique. Et c’est depuis que le dossier est bloqué. 

Or, cette attente supplémentaire a soudain amplifié le ras-le-bol des élus locaux ; le ton monte et le discours se corse. « Ça suffit, Jean-Marie Hals­dorf ! » interpellaient le maire de Sanem Georges Engel (LSAP) – un des rares qui deviendraient des maires à plein-temps selon la réforme prévue – et son échevin Marco Goelhausen (LSAP) dans une lettre ouverte publiée il y a quinze jours dans la presse quotidienne. Ils n’y vont pas par quatre chemins, reprochant au ministre de ne pas tenir sa parole de remédier rapidement à la situation, pourtant donnée à deux reprises lors de la journée des bourgmestres, et de vouloir faire du chantage en couplant le congé politique à l’introduction des communautés urbaines. La semaine dernière, quatre maires, un de chaque couleur politique – Pierre Mellina, CSV, de Pétange, Roby Biwer, LSAP, de Bettembourg, Paul Geimer, DP, de Bertrange, et Tilly Metz, Déi Gréng, de Weiler-la-Tour – appelaient tous leurs collègues à une réunion de concertation quant à la marche à suivre pour obtenir une décision rapide du gouvernement, en tout cas une entrée en vigueur des nouvelles conditions pour le 1er janvier 2009 au plus tard. Une cinquantaine d’élus a suivi leur appel et articulé leur mécontentement. 

Ils se sont dits d’accord pour attendre la réunion du conseil de gouvernement d’aujourd’hui, 31 octobre, pour voir si les ministres y adopteront le projet de règlement grand-ducal en question, avant de s’adresser directement, pour une médiation, au Premier ministre. Jean-Marie Halsdorf en tout cas se montre zen : « Bien sûr que je prends leurs revendications très au sérieux, confirme-t-il au Land. Je veux des communes fortes et des maires forts. D’ailleurs le fait que le projet de règlement grand-ducal soit prêt en est la preuve. » Mais que le gouvernement a convenu de traiter les trois textes en même temps, que donc le congé politique ne peut pas être considéré seul. 

Ce qui frappe dans ce mouvement de colère est non seulement que le lien entre le ministre et sa base semble rompu, mais aussi que ce n’est pas l’organisation officielle, le Syvicol, qui défend les intérêts de ses membres. Les échevins et les maires prennent des initiatives à l’extérieur du syndicat. Peut-être parce qu’il s’agit de notables qui ne cumulent pas des mandats locaux et nationaux, probablement aussi parce qu’ils se sentent abandonnés par les professionnels de la politique qui dirigent le Syvicol. Jean-Pierre Klein (LSAP), le président de l’organisation et député-maire de Steinsel, ne le voit pas ainsi : « J’y étais aussi, dans la salle, explique-t-il au Land. J’estime plutôt que cette réunion a cimenté la position du Syvicol ».  

Autre son de cloche de la part d’un des instigateurs de la réunion de Bettembourg :« Le Syvicol n’a pas accouché, dit Roby Biwer, maire de Bettembourg. Maintenant, nous en avons marre d’attendre ! » Et de calculer qu’avec les seize heures de congé politique dont il profite actuellement, il a de plus en plus de mal à remplir toutes ses missions, faire son job convenablement et être disponible pour ses administrés, « déjà maintenant, je passe au moins soixante heures par semaine à la commune ». Avec la réforme, son temps disponible augmenterait à 28 heures par semaine.

Toutefois, même si le mécontentement des maires monte, il n’est pas clair quels seraient leurs moyens de pression – une grève ? un refus de collaborer à l’introduction des nouvelles missions qui leurs incombent, comme les chèques-services l’année prochaine (voir page 2) ? La discussion sur la réorganisation territoriale, tout comme celle sur le congé politique, est toujours vécue par les élus locaux du DP (26 maires et 44 échevins), des Verts (trois maires et 14 échevins) et du LSAP (27 maires, dont 18 grandes communes votant selon la proportionnelle, notamment dans le Sud, et 43 échevins) comme une tentative d’un ministère CSV de faire dans le dirigisme excessif pour justement contrebalancer la relative faiblesse du CSV sur le plan local (ses 26 maires et 64 échevins président plutôt les petites communes) et contrôler le pays à partir de la rue Beaumont. D’ailleurs, au CSV, l’opinion prédominante est qu’un bon maire doit savoir déléguer et qu’avec une meilleure organisation, tout cela devrait être gérable. 

En réalité, la réforme du congé politique n’est qu’une réformette, la professionnalisation de la fonction du maire y est estompée : si le congé politique augmente à quarante heures par semaine, cela équivaudrait de facto à une professionnalisation, mais sans que soient réellement réglées les questions de droit du travail – Qui est réellement l’employeur ? Qu’en est-il de la responsabilité ? – ni celle du cumul des mandats. Or, si le droit du travail luxembourgeois limite le temps de travail hebdomadaire à quarante heures, un maire d’une des sept grandes villes ne pourrait de fait plus exercer de mandat de député en parallèle. Ce qui ne ferait pas que des heureux, y compris dans les rangs des partis : quel meilleur nom sur une liste des législatives qu’un maire d’une grande agglomération ? Et, en sens inverse, les communes profitent aussi du fait que leurs édiles participent à la prise de décision politique au niveau législatif national. Mais ces questions fondamentales-là ne seront certainement plus réglées durant cette législature.  

josée hansen
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