Bande dessinée

L’amour est aveugle

d'Lëtzebuerger Land vom 05.05.2023

Les extrêmes s’attirent, c’est bien connu. Et cela vaut aussi bien dans le domaine scientifique que dans l’univers littéraire. Pascal Ruter l’a rappelé une nouvelle fois avec son roman jeunesse Le Cœur en braille sorti en 2012.

Son histoire a connu une première adaptation, cinématographique – un film assez moyen réalisé par Michel Boujenah sorti en 2016 – avant de débarquer, cette année, dans le rayon bandes dessinées dans un superbe album réalisé à quatre mains par le scénariste des Carnets de Cerise, Les Souris du Louvre, Sorcières Sorcières…, Joris Chamblain, et la dessinatrice de Premières vendanges et Journal d’un enfant de lune, Anne-lise Nalin.

Quelle que soit la version, le pitch reste le même. Victor entre en quatrième, il fait partie des pires cancres de sa classe. C’est simple, l’école ne l’intéresse pas et il n’y retient pas grand-chose. Lui sa passion c’est la musique, le rock, celui des gros riffs de guitare et des batteries surpuissantes. Il a d’ailleurs son groupe, La Chignole qui répète dans le garage de son père. Son autre délire, qu’il partage avec son paternel, les Panhard & Levassor, ces vieilles voitures dont la construction a cessé en 1967. Le garçon n’est pas méchant, au contraire, il s’intéresse aux autres et à ce qu’ils aiment, mais il n’est pas fait pour les études, les apprentissages, les maths ou encore la lecture. C’est un rêveur, un clown, un jeune qui cache une certaine fragilité sous un masque de rebelle.

Lors de cette rentrée il se trouve séparé de ses meilleurs potes. C’est donc un peu par hasard qu’il finit par s’asseoir à côté de Marie-Josée, jeune fille timide, élève surdouée, première de classe dans toute les matières et violoncelliste émérite en dehors de l’école. Une tête bien pleine qui le prend gentiment de haut et s’amuse de mauvaises réponses que son nouveau voisin peut donner aussi bien en français, en géo, en chimie ou encore en maths. Victor arrive à se faire remarquer, négativement bien entendu, dans toutes les matières dès le premier jour de cours. Même en sport, quand l’ado ne peut s’empêcher de crier, devant le prof, « Bon alors ! On entre dans la salle ou on se tripote ?! »

Bref, c’est mal parti. Mais l’aspect cabotin du garçon et la gentillesse de la jeune fille va finir par les rapprocher. Ça commence par un contrôle de maths pendent lequel Marie-Josée laisse copier Victor et ajoute même une faute dans son test pour éviter tout soupçon de triche, ça continue quand elle l’invite à la maison pour réviser pendant les vacances de la Toussaint, puis de manière presque quotidienne jusqu’à ce que les deux deviennent quasiment inséparables.

Victor est content de voir ses notes remonter. Et Marie-Josée, qui commence à s’habiller avec d’étranges combinaisons de couleurs et à manquer des semaines de cours pour des raisons médicales, a une idée derrière la tête. La jeune fille a un secret et elle ne va pas tarder à avoir besoin d’aide. Elle a pensé que Victor, dont elle a fini par tomber amoureuse, pourrait justement lui apporter cette aide. Hors de question de dévoiler ici ce secret que les auteurs ne dévoilent que vers la moitié du récit, mais quelques indices ont été disséminés ci et là dans le livre.

Alors oui, deux personnes que tout oppose, qui commencent sinon par se détester au moins par se déplaire et qui finissent par s’aimer c’est un grand classique. Oui, les récits sur l’âge ingrat du collège sont légion dans les sections jeunesse des librairies. Oui, les histoires sur l’attraction entre un beau jeune homme et une belle jeune fille, il y en a plein à l’affiche. Mais Le Cœur en Braille, non seulement réinterprète tout cela de fort belle manière, mais, en plus, enrichit l’ensemble de plein de détails pertinents, sur la musique classique, la puissance du violoncelle, sur le rock, sur la littérature, sur le cyclisme, sur l’histoire des échecs, sur les relations père-fils ou encore sur la maladie, la résilience, l’importance de se battre pour ses rêves…

Adapté à des lecteurs de tous âges, dédié tout particulièrement à un lectorat adolescent, ce Cœur en braille parvient également à interpeller et intéresser un lectorat adulte. Il y du Romeo et Juliette, de l’Œdipe roi, de l’Iliade, de la Famille Bélier aussi dans ce récit ; du Ducobu ou du Boulard également dans le personnage de Victor, et pour compléter le tout, il y a aussi beaucoup d’humour, de tendresse et de poésie. Ça reste, bien évidemment, une bluette ultra naïve, politiquement correcte, pleine de bons sentiments, mais elle parvient à tellement bien embarquer et toucher le lecteur qu’on lui pardonne volontiers ses petits travers, ses ellipses un peu brusques, ses sujets annexes qu’on aurait souhaité plus développés ou encore son happy-end un peu bâclé.

Comme c’est souvent le cas avec les textes de Pascal Ruter, Le Cœur en braille est une histoire légère traitant des tracas de la destinée. Le scénario de Joris Chamblain est ici porté par le dessin réaliste et ultra-expressif d’Anne-lise Nalin. Un dessin et une coloration – vive et douce à fois –, osant les changements de style ou de gamme chromatique selon les besoins du récit, qui collent à merveille aux épreuves vécues et aux émotions ressenties par les personnages.

Un très beau livre qu’on prend plaisir à lire et à relire tout en pouvant le prêter à l’ensemble de la famille.

Le Cœur en braille, de Joris Chamblain et Anne-lise Nalin. Dargaud

Pablo Chimienti
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