Expositions

Tour patriotique à Berlin

d'Lëtzebuerger Land du 30.10.2020

Un tour, des fois près de l’ancien tracé du mur, Prenzlauer Berg et Kreuzberg, pour finir carrément à l’ouest, Charlottenburg

L’évocation comporte sa part de douleur, qui ramène au tout début du siècle. C’est en novembre 2002 que Michel Majerus nous a quittés, âgé de 35 ans seulement, dans l’accident d’avion près de Niederanven. Il allait revoir sa famille à Esch-sur-
Alzette, rentrant de Berlin qui était devenue comme une seconde patrie. Aujourd’hui, la famille a gardé ce pied-à-terre, a installé au Knaackstrasse 12, le Michel Majerus Estate, lieu de mémoire, mais ouvert à d’autres artistes, à des expositions bien sûr en relation avec notre compatriote.

Comme souvent dans les grandes villes, il faut pousser une porte qu’on dira cochère, passer par un couloir, traverser une cour intérieure, pour déboucher à l’endroit où, sur la droite, se suivent deux salles (un bureau ou magasin les côtoie, l’Estate lui-même est installé au premier étage). En ce moment, pas de véritable dépaysement avec la demi-douzaine de tableaux, de grand format, accrochés aux murs, bien qu’ils ne soient pas de Michel Majerus (mais leur univers enlevé qui nous fait face, colorié, est un vibrant hommage, tellement il est apparenté). D’ailleurs, leur auteur Takashi Murakami le proclame haut et fort, jusque dans le titre de l’exposition (ouverte jusqu’en février 2022) assurée par Tobias Berger : Michel Majerus Superflat, associant le nom du disparu au mouvement qu’il a lui-même fondé, et si les deux artistes ont (eu) en commun le croisement des beaux-arts et de la culture pop, cela se fait ici à la japonaise. Murakami a peint ces tableaux les deux dernières années, quand il a découvert l’œuvre de Michel Majerus ; il a été impressionné par sa liberté extrême, autre chose l’a retenu où il a vu encore de la parenté : « Majerus vereinte die Kultur der späten 1980er Jahre, die Gamekultur, den japanischen Pop, alles – aber auf der Oberfläche… Sein Werk ist extrem nüchtern, ganz im Gegensatz zu Anselm Kiefer oder Gerhard Richter. »

Si tout se passe en surface, à fleur de peau picturale, serait-on tenté de dire, cela n’en est que plus virevoltant, entraînant, figures anthropomorphes ou géométriques emportées vivement, inscriptions qui s’imposent avec force. Du Japonais, on connaît les fleurs qui s’épanouissent, les larges sourires, sur les t-shirts, voire les sacs féminins. L’exemple même de la dichotomie, ou symbiose, dont il a été question dans cet art. Il fournit la transition à l’exposition, Künstlerhaus Bethanien, elle est collective, mais c’est Eric Schumacher qui nous a fait faire le chemin à Kreuzberg, pour une installation, come high go low, lui a-t-il donné comme titre, voilà pour le rapprochement, il ne va pas au-delà.

Elle est plus large, plus nourrie, plus complexe, que dernièrement dans les salles de la galerie Nosbaum&Reding. Les principes, les matériaux, sont restés les mêmes, mais il existe une orchestration tout autre, plus ample. L’espace est toujours parfaitement structuré, tribut de l’artiste à l’urbanisme, aux villes modernes, mais là-dessus le paysage s’avère très variée, et le visiteur se fait vite un peu comme le piéton, le promeneur, parmi les sculptures qui allient la rigueur et leur rude finesse.

Eric Schumacher, de cette façon, fait de notre visite une succession de découvertes, de surprises, suivant les points de vue qui changent, les regards qui embrassent le tout pour s’attarder aussitôt à un détail, et font naître un sourire aux lèvres pour répondre à l’humour, à la fantaisie des objets assemblés : Installed together on a grid, the works charmingly point to the man-made and equally random
arrangement of the « unplaces » that accompany our daily public life.

Dernière étape, et changement radical de quartier dans ce tour berlinois, étape toujours artistique, mais les œuvres s’y trouvent aux murs d’un restaurant, Leonhardtstrasse 13, et gageons que beaucoup de clients ne se doutent guère que les tableaux renvoient à une vie antérieure (avec quand même de beaux prolongements) de celui qui les accueille avec Heike Kaschny. L’œil averti, lui, prend plaisir comme jadis et naguère à se laisser aller au fil des structures répétitives de Luc Wolff ; et le manger n’est pas moins délectable. L’autre soir, il était fait de plats portugais, nonobstant l’enseigne luxembourgeoise du restaurant, de Maufel. Pour ce qui est du qualificatif élogieux, amplement mérité, on ne manquera pas de l’ajouter après le passage.

Lucien Kayser
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