Sommet UE

Roumanie, la bataille pour la justice

d'Lëtzebuerger Land vom 10.05.2019

Les symboles sont au rendez-vous. Le 9 mai, date anniversaire de la création de l’Union européenne (UE), les chefs d’État et de gouvernement de l’UE se rencontrent en Roumanie pour débattre du futur de cette institution. Le lieu de cette rencontre est, lui aussi, chargé de symboles. Sibiu, ville située au centre de la Roumanie, est le joyau de la Transylvanie. Son autre nom est Hermanstadt, la ville d’Herman, en hommage aux Saxons venus du Luxembourg et de la région mosellane au xiie siècle pour fonder la ville dans les terres de Dracula. En 2003, Sibiu s’était enrichie de la Maison du Luxembourg, qui abrite l’Institut des itinéraires culturels du Conseil de l’Europe (IEIC) et un institut linguistique.

Sur les 745 000 Allemands que comptait la Roumanie en 1930, il n’en reste aujourd’hui que 35 000. Mais le peu qui reste continue de marquer l’histoire de la Roumanie. Sibiu, ville qui ne compte plus que 1 500 Allemands, c’est-à-dire un pour cent de la population locale, les Roumains ont choisi d’élire comme maire un parfait inconnu, le professeur allemand de physique Klaus Iohannis. Depuis 2000, il a fait de cette ville le joyau de la Transylvanie en attirant des investissements allemands qui ont changé le visage de cet ancien bourg devenu capitale culturelle européenne en 2007.

En 2014, le libéral Klaus Iohannis était élu président de la Roumanie et c’est dans sa ville natale qu’il a choisi de recevoir les chefs d’État et de gouvernement de l’UE à l’occasion du sommet européen du 9 mai. « De plus en plus d’hommes politiques parlent du besoin d’écouter plus les citoyens, a-t-il déclaré à la veille du sommet. C’est une phrase qui sonne bien, mais nous avons besoin de découvrir à travers ce sommet ce que cela veut dire concrètement. Si nous n’agissons pas maintenant nous risquons de tout perdre. Je ne veux pas perdre l’Union européenne, je veux qu’elle soit plus forte et mieux préparée pour l’avenir. »

Âgée de 62 ans l’UE a certainement besoin de réformes et ce besoin se retrouve sur l’agenda du sommet de l’UE de Sibiu dont l’agenda vise cinq domaines prioritaires : créer des emplois, protéger les citoyens, une nouvelle politique énergétique et protection du climat et justice. « Les citoyens européens ont peur de perdre la démocratie et les valeurs qui ont forgé l’Europe, a affirmé Klaus Iohannis. En Europe de l’Est les gens ont peur d’être abandonnés par l’Europe occidentale et nous avons besoin de trouver des solutions qui nous rendent crédibles face à nos citoyens. »

La crédibilité c’est justement le problème de la Roumanie. La cohabitation instaurée en 2016 entre un président libéral et un gouvernement social-démocrate qui attaque sans arrêt l’État de droit n’a pas été des plus faciles. Le 24 avril le parlement roumain votait une soi-disant réforme de la justice pour permettre à plusieurs hommes politiques condamnés pour corruption échapper à la justice. En réponse à cette remise en question de l’État de droit, le président Iohannis a proposé un référendum contre la corruption qui aura lieu le 26 mai à l’occasion des élections européennes. « Nous devons mettre fin aux attaques du Parti social-démocrate contre la justice, a-t-il déclaré. Nous en avons assez du dilettantisme et de l’incompétence de ces voyous qui gouvernent la Roumanie. » Le président a rompu avec la réserve teutonne à laquelle il avait habitué son public, et il n’a pas mâché ses mots pour attaquer ses adversaires politiques.

Les tensions au sujet de la corruption divisent la classe politique et l’opinion publique. Le gouvernement social-démocrate a tenté à plusieurs reprises de limiter les pouvoirs des magistrats afin de blanchir son leader Liviu Dragnea condamné à deux reprises à la prison : en 2016 à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale, et en 2018 à la prison ferme pour trafic d’influence, condamnation qu’il a contestée en appel. « Ce sont des condamnations politiques, a-t-il affirmé à plusieurs reprises. Je suis innocent. » Liviu Dragnea, président de la Chambre des députés, dirige le gouvernement dans l’ombre, ses condamnations pénales l’ayant empêché d’accomplir son rêve de devenir Premier ministre.

Ses tentatives visant à blanchir son casier judiciaire au moyen d’une amnistie se sont heurtées à l’opposition du président Iohannis et à la réaction virulente de la rue, laquelle a été le théâtre de plusieurs manifestations anticorruption. Le 10 août 2018 des milliers de Roumains de la diaspora sont revenus à Bucarest pour protester contre les dérapages antidémocratiques du gouvernement, mais ils ont été accueillis par les gendarmes avec des canons à eau, des gaz lacrymogènes et des coups de bâtons. Malgré la colère des Roumains le Parti social-démocrate (PSD) a poursuivi son offensive contre la justice. « Au parlement c’est un désastre, on y vote des lois favorables aux délinquants, a accusé le président Iohannis. Les sociaux-démocrates doivent comprendre qu’ils ne sont pas les maîtres de la justice. C’est pour cette raison que les Roumains sont venus manifester. »

Les malheurs du chef de file des sociaux-démocrates sont loin d’être terminés. Il fait également l’objet d’une enquête où il est accusé par l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) de Bruxelles d’avoir détourné 21 millions d’euros de fonds européens. Le 11 avril le Parti socialiste européen (PSE) gelait ses relations avec le PSD. Du côté des populaires européens, on évoque de conditionner l’octroi de fonds européens par le respect de l’État de droit, chapitre pour lequel la Roumanie, la Hongrie et la Pologne ne semblent pas faire leurs devoirs. « Je propose d’améliorer le mécanisme de l’Etat de droit, a affirmé Manfred Weber, candidat du Parti populaire européen (PPE) pour succéder à Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Nous devons éloigner ce problème de la politique et finalement laisser décider les experts et les juges. Je suis d’accord avec l’idée de relier les pénalités dans de telles procédures aux fonds européens. » Une mauvaise nouvelle pour bon nombre d’hommes politiques d’Europe de l’Est qui veulent sauver leur peau en sacrifiant le système judiciaire de leurs pays.

Mirel Bran
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