Petit pays

Le président et les sept nains

d'Lëtzebuerger Land du 13.03.2003

Sept Premiers ministres, excusez du peu. Le 19 mars, la veille de la réunion de printemps du Conseil européen, les chefs de gouvernement de sept pays de l’Union européenne de moindre taille se concerteront au sujet de l’agencement futur des institutions européennes. Il s’agira de « lancer un signal », selon le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. Il était temps. L’initiative sur ce plan revenait les derniers mois clairement aux grands.
« Il faut faire savoir que plusieurs États ne sont pas d’accord avec les propositions de Valéry Giscard d’Estaing, » expliquait Juncker vendredi dernier après le Conseil de gouvernement. Les propositions en question concernent en premier lieu la mise en place d’un nouvel homme fort au niveau européen. VGE, qui préside la Convention sur l’avenir de l’Europe, soutient ainsi l’idée de doter le Conseil européen, qui réunit les chefs de gouvernement des Quinze, d’un président à temps plein pour un mandat de plusieurs années. Ce nouveau poste d’un « Monsieur Europe » bénéficie du soutien du Royaume-Uni, de l’Espagne et de la France. On prête d’ailleurs à Tony Blair et José Maria Aznar l’ambition d’occuper un jour ce fauteuil.
L’allié naturel des petits pays, opposés à tout arrangement qui pourrait réduire le poids de la Commission européenne dans le « triangle institutionnel » formé par la Commission, le Parlement et le Conseil, est l’Allemagne. Or, dans un compromis avec l’Hexagone, le plus grand pays d’Europe a déjà accepté le principe d’un président permanent du Conseil européen. La dynamique s’accélère donc au désavantage des positions luxembourgeoises.
La grande question, selon Jean-Claude Juncker, est le rôle qu’aura ce nouveau président. Dans une première phase, les grands pays se voulaient rassurants. Ils niaient qu’il pourrait y avoir un conflit de compétences avec le président de la Commission européenne. Le nouveau « chairman » du Conseil européen s’occuperait surtout de politique étrangère « au plus haut niveau », laissant la gestion quotidienne à un nouveau ministre européen des Affaires étrangères. Or, depuis, cette retenue a laissé la place à des propositions plus ambitieuses.
Selon le projet franco-allemand sur les institutions européennes, il reviendrait ainsi au secrétaire général du Conseil des ministres -- en fait un adjoint du nouveau président -- de diriger les travaux du Conseil « Affaires générales ». Au « CAG » revient le rôle crucial de coordonner les travaux des différentes formations du Conseil des ministres. Dans un récent document commun,  Anglais et Espagnols affichent de même clairement la couleur en proposant que le président du Conseil européen dirige aussi le CAG.
Cette idée provoque des cauchemars chez les défenseurs de la méthode communautaire. Celle-ci repose sur un rôle fort de la Commission européenne. Dans leur « mémorandum » sur les institutions européennes, les pays du Benelux plaident ainsi pour que le président de la Commission préside le CAG. D’autres propositions -- que le Luxembourg accepterait sans hésitations -- visent le maintien, au CAG comme au Conseil européen, de la rotation semestrielle de la présidence entre États membres.
Les contacts entre petits pays en parallèle aux travaux de la Convention européenne se poursuivent depuis des mois. La réunion du 19 mars n’est donc pas hors contexte. Il serait toutefois erroné de réduire la question à un conflit « grands contre petits ». À part le Benelux, la réunion rassemblera l’Autriche, l’Irlande et la Finlande. La Suède et le Danemark se montrent par contre plutôt ouverts à l’idée d’un président permanent du Conseil européen.

Jean-Lou Siweck
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