Roumanie

Bruxelles somme la Roumanie à respecter la Justice

d'Lëtzebuerger Land du 17.05.2019

Ce n’est pas une lettre ordinaire mais un avertissement adressé le 10 mai aux autorités roumaines par Frans Timmermans, le numéro deux de la Commission européenne. « Les évolutions récentes de la Roumanie ont aggravé les problèmes liés au respect de l’État de droit, lit-on dans cette lettre rendue publique. Les amendements adoptés par le Parlement roumain le 24 avril 2019 au Code pénal, au Code de procédure pénale et à la loi anti-corruption rendent ces problèmes plus difficiles à résoudre. Les nouveaux articles de la loi risquent de créer une situation d’impunité pour les infractions liées à la corruption. »

Les tensions au sujet de la corruption divisent la classe politique et l’opinion publique et irritent Bruxelles qui vient d’interpeller la Roumanie sur la question de la justice. Le gouvernement social-démocrate, installé au pouvoir en 2016, a tenté à plusieurs reprises de limiter les pouvoirs des magistrats afin de blanchir le leader de la gauche, Liviu Dragnea, condamné à deux reprises à la prison : en 2016 à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale, et en 2018 à la prison ferme pour trafic d’influence, condamnation qu’il a contestée en appel. M. Dragnea fait également l’objet d’une enquête de la part de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) de Bruxelles qui l’accuse d’avoir détourné 21 millions d’euros.  Il se dit innocent et accuse tout le monde pour ses malheurs avec la justice : un « État parallèle » composé des services de renseignements, les multinationales, les banques, l’Occident, les institutions européennes et les étrangers.

Les discours de M. Dragnea pourraient faire pâlir d’envie les extrémistes européens. Le 11 avril, le parti socialiste européen (PSE) a interrompu ses relations avec le parti social-démocrate (PSD). Du côté des populaires européens, on évoque la possibilité de conditionner l’octroi de fonds européens au respect de l’État de droit, chapitre sur lequel la Roumanie, la Hongrie et la Pologne ne semblent pas faire leur devoir. La Commission de Bruxelles somme la Roumanie de respecter le système judiciaire qui a conduit à des centaines de condamnations pour corruption depuis l’adhésion du pays à l’UE en 2007.

La soi-disant « réforme de la justice » prônée par le gouvernement ne vise qu’à sauver la peau des hommes politiques qui font l’objet d’enquêtes pour corruption. « Les problèmes que nous avons identifiés et les recommandations destinées à atténuer nos inquiétudes ne sont pas pris en compte, a déploré Frans Timmermans dans sa lettre. Si les améliorations nécessaires ne sont pas apportées rapidement, la Commission déclenchera sans délai le mécanisme sur l’État de droit. » C’est l’étape préalable à l’activation de l’article 7 du traité de l’UE qui peut déboucher sur des sanctions.

Le président libéral d’origine allemande Klaus Iohannis, un pro-européen qui s’oppose au gouvernement social-démocrate, a proposé un référendum au sujet de la corruption qui aura lieu le 26 mai à l’occasion des élections européennes. « Nous devons mettre fin aux attaques du Parti social-démocrate contre la justice, a-t-il déclaré. Nous en avons assez du dilettantisme et de l’incompétence de ces voyous qui gouvernent la Roumanie. Au Parlement, c’est un désastre, on y vote des lois favorables aux délinquants. Les sociaux-démocrates doivent comprendre qu’ils ne sont pas les maîtres de la justice. » Le président a rompu avec la réserve teutonne à laquelle il avait habitué son public et il n’a pas mâché ses mots pour attaquer ses adversaires politiques.

Le 24 avril, le Parlement a voté un paquet d’amendements à la loi pénale qui limitent drastiquement le pouvoir des magistrats. Le président Iohannis a contesté cette offensive devant la Cour constitutionnelle. L’indépendance de la justice est sur le fil du rasoir et tout dépend maintenant de la décision de la Cour constitutionnelle, dernier rempart d’une démocratie fragilisée par les abus de pouvoir. « Je mets en garde contre toute action du gouvernement qui entraverait le système judiciaire en créant de facto une impunité systématique pour les hauts responsables politiques qui ont été condamnés pour corruption, a lancé Frans Timmermans lors d’un point presse organisé à Bruxelles le 3 mai. Mais s’il persiste pour des raisons de politique interne la Commission réagira immédiatement. » Un avertissement qui se passe de commentaires.

Mirel Bran
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