Cinéma

Sans foi, ni loi

d'Lëtzebuerger Land du 13.07.2018

En 2015, Denis Villeneuve et le chef-opérateur Roger Deakins signaient avec Sicario un thriller époustouflant. Kate Macer, une jeune agente du FBI, interprétée par Emily Blunt, s’y faisait instrumentaliser par l’agent Matt Raver (Josh Brolin) de la CIA et par Alejandro (Benicio Del Toro), un ancien procureur devenu justicier sans loi, pour une mission visant un des plus grands chefs de cartels du Mexique. Dans une des dernières séquences, Alejandro commettait l’irréparable en tuant non seulement le caïd en question, mais aussi sa femme et ses enfants, avant de disparaître à nouveau dans la clandestinité.

Il était alors difficile d’imaginer une suite à cette histoire pleine d’ambiguïté morale et surtout à ce personnage d’Alejandro, peu vivable d’un point de vue éthique.

Sicario: Day of the Soldado est cette suite inattendue qui se veut pourtant davantage un film valant pour lui-même qu’un véritable sequel. En l’absence du duo Villeneuve/Deakins, occupé à tourner Bladerunner 2049, le réalisateur Stefano Sollima (Suburra, 2015) et le chef-opérateur Dariusz Wolski (Prometheus, 2012) ont repris les rênes. Le personnage d’Emily Blunt ne figure plus dans cette nouvelle intrigue dont le début semble un best of de la paranoïa trumpienne, heureusement démontée par la suite, où l’on voit des cartels mexicains aidant des djihadistes à se mêler à des immigrants illégaux afin de commettre un attentat sur le territoire américain.

Matt Raver et Alejandro reçoivent alors le feu vert pour provoquer une guerre entre les cartels en kidnappant la fille adolescente d’un de leurs chefs. Mais l’idée de créer une situation instable afin de mieux pouvoir combattre les trafiquants de drogues finit dans un fiasco, obligeant Raver à couper les ponts avec son protégé.

Le scénariste Taylor Sheridan, également auteur du premier volet, attaque frontalement des sujets d’actualité et continue son exploration des limites morales là où il l’avait arrêtée. Au vu de leur aide apporté aux terroristes, les cartels sont déclarés organisations terroristes, rendant légitime bien d’autres moyens pour les combattre. Ainsi, lorsque Matt interroge un détenu hors territoire américain, il lui annonce que les bidons d’eau entreposés dans sa cellule ne serviront pas au waterboarding, méthode qu’il utiliserait uniquement dans les pays où la torture est interdite.

Avec Alejandro vidant son chargeur sur un des hauts dignitaires d’un cartel, ils forment un duo encore plus sinistre que dans le premier volet. L’absence de Kate Macer représentant la conscience dans le Sicario de 2015, crée un vide emphatique que l’intrigue essaye un peu maladroitement à combler par une attitude protectrice des deux anti-héros envers la fille qu’ils enlèvent au cours de leur nouvelle mission.

Sicario : Day of the Soldado, techniquement très bien exécuté, finit par se trouver une conclusion acceptable, uniquement pour la reprendre quelques minutes après. La voie vers un autre volet s’ouvre alors, mais avec elle aussi la forte possibilité que l’ambiguïté morale ne soit plus un sujet à réflexion, mais une simple figure de style.

Fränk Grotz
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