La musique adoucit les morts

d'Lëtzebuerger Land du 06.11.2020

Entre les prévisions d’émeutes aux États-Unis, les décompte de victimes de l’épidémie de Covid-19, les attentats terroristes ou les tremblements de terre, la nouvelle a pu passer inaperçue… en ce moment, on n’est plus vraiment à un ou deux morts près. Eddie Van Halen, le guitariste du groupe de hard rock du même nom, qui a contribué à donner ses lettres de noblesse au look cheveux longs, débardeur et pantalon en cuir moulant, a définitivement raccroché sa Fender le mois dernier, à 65 ans. Il ne reste plus beaucoup des héros des posters qui décoraient les murs de nos chambres d’adolescents, à part Harrison Ford et les Power Rangers.

La cause du décès du musicien est un cancer de la langue que l’intéressé attribuait, paraît-il, à une trop longue exposition aux ondes magnétiques et à la mauvaise habitude de machouiller ses médiators en métal, et non à une propension à ingurgiter alcool, tabac et drogues diverses. Il faut dire que la mort des musiciens est un sujet assez fascinant. Une fois passé le célèbre et funeste cap des 27 ans, fatal à Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain et Amy Winehouse, il reste aux stars du rock à échapper aux pièges tendus par les substances illicites en tous genres et autres accidents d’avion pour essayer d’atteindre, tel Keith Richards, l’âge d’une retraite qu’ils ne prendront jamais complètement. Les abonnés à Netflix auront peut-être vu The Dirt, l’incroyable fiction inspirée de la vie des membres du groupe Mötley Crüe, dont la décadence ferait passer les pires orgies romaines pour de sympathiques goûters d’anniversaire. Le moins incroyable de tout ceci est de constater qu’ils sont encore vivants. Pas forcément en très bon état, certes, mais quand on prend à contresens l’autoroute de la vie, on peut s’estimer chanceux de s’en sortir avec seulement quelques dégâts sur la carrosserie.

Maintenant que, en 2020, nous sommes tous devenus experts en médecine et en épidémiologie, tout ceci donne à réfléchir. Plutôt que de se demander comment faire pour rester en bonne santé, observons cette catégorie de la population décidée à appliquer l’exact contraire du plus élémentaire conseil de bien-être : le musicien de hard rock. Prenez Lemmy Kilmister, bassiste et leader du groupe Motörhead, rendu sans doute aussi célèbre par ses rouflaquettes et ses uniformes de l’armée sudiste que par sa musique. Peu de livres de développement personnel recommandent la consommation quotidienne d’une bouteille de Jack Daniel’s. Il aura pourtant fallu plusieurs décennies d’un tel régime pour venir à bout du bonhomme en 2015 au terme, lui aussi, d’un combat contre le cancer.

Ozzy Osbourne a 71 ans, Keith Richard 76 ans, Mick Jagger 77 ans, Clapton 75 ans, et sont autant de publicités vivantes (ou survivantes) pour les drogues dures et l’autodestruction. Ils prouvent que le monde est vraiment injuste, et que le capital génétique l’emporte souvent sur l’hygiène de vie. C’est un peu oublier tous ceux qui auront dû écourter leur carrière à l’insu de leur plein gré, que leur mort ait été absurde, tragique, ou simplement banale. Il semble facile d’échapper à une overdose de somnifères pour chevaux, une partie de roulette russe qui tourne mal ou à un étouffement par son propre vomi lorsqu’on pratique le télétravail et qu’on part sagement en vacances en famille. C’est la beauté des statistiques : si l’on enlève les rockeurs morts jeunes, forcément victimes de leur vie dissolue, alors il ne reste que des gens qui auront vécu longtemps. 

Ainsi, pour le deuxième confinement, surtout si c’est sans les enfants à la maison, moi je dis : « Terminé les séances de yoga, le pain bio aux graines et les verbes irréguliers allemands ». Regardez où tout cela nous a menés. Cette fois ce sera alcool, sexe et tabac, comme les musiciens qui s’enferment dans un studio plusieurs semaines avant d’avoir le droit de partir en tournée !

Cyril B.
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