Brexit

La France campe sur sa fermeté

d'Lëtzebuerger Land du 14.10.2016

Une position de « fermeté » au nom des « principes même de l’Union europénne ». Adoptée dès le 24 juin, au lendemain du vote majoritaire des Britanniques en faveur d’un « Brexit », la position officielle de la France n’a pas varié depuis. C’est pour préserver l’Union que Paris veut tenir tête à Londres dans les négociations à venir, et ce n’est pas un hasard si c’est à l’occasion des vingt ans de la création de l’Institut Jacques Delors, le 6 octobre dernier à Paris, que François Hollande, fréquemment présenté comme le « fils spirituel » de l’ancien président de la Commission européenne (1985-1995), a rappelé la position de la France.

« Nous devons avoir cette fermeté », a déclaré le président français, sans quoi « nous mettrons en cause les principes même de l’Union » et « il viendra à l’esprit d’autres pays ou d’autres parties de vouloir sortir de l’Union européenne pour en avoir les avantages supposés et aucun inconvénient ni aucune règle ». Ce en quoi l’actuel président de la Commission, Jean-Claude Juncker, lui a donné raison, appelant désormais à être « intransigeant » face au gouvernement britannique.

Sous l’œil bienveillant de l’Élysée, M. Juncker avait déjà annoncé la couleur, au cœur de l’été, en choisissant le Français Michel Barnier pour négocier avec Londres la sortie du Royaume-Uni de l’Union. Fin connaisseur des institutions bruxelloises, ce Savoyard bosseur est surtout le partisan pragmatique d’une Europe politique, et non pas seulement d’un « grand marché ». Et il a hérité du surnom de « bête noire de la City » depuis qu’il a ferraillé avec la place financière londonienne en tant que commissaire européen chargé de la réglementation bancaire et financière (2010-2014). Un choix qui a donc adressé un message sans équivoque au gouvernement britannique.

Certes, la fermeté n’est pas le seul et unique positionnement que les autorités françaises ont adopté depuis le vote favorable au « Brexit ». En matière de défense, la France va plutôt avoir intérêt à ménager le Royaume-Uni, sans quoi elle risque de porter seule en Europe ce coûteux fardeau, comme pour les interventions au Sahel et au Moyen-Orient. Une inquiétude que le Premier ministre Manuel Valls a présentée ainsi, le 7 octobre : « L’armée française ne pourra pas être éternellement l’armée européenne ».

Dans un tout autre domaine, la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, a choisi de coopérer étroitement avec le nouveau maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, en particulier sur les sujets de mixité sociale et résidentielle et de lutte contre la pollution de l’air. Une façon de se démarquer de la présidente de droite de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, qui juste après le vote des Britanniques avait lancé « Welcome to Paris Region », espérant y attirer des cadres de la finance ou des grandes entreprises qui souhaiteraient quitter Londres. Sauf qu’une telle arrivée, si elle était massive, ne manquerait pas de tirer plus encore vers le haut les prix de l’immobilier, alors que leur niveau actuel est déjà la source de profondes inégalités et de dangereuses ségrégations en région parisienne.

Mais hormis dans ces domaines, c’est essentiellement sur la conception de l’Europe que la France a réagi au vote pro-Brexit. Le Royaume-Uni a en effet historiquement un positionnement plutôt euro-sceptique tout en étant dans l’Union : que l’Europe ait le moins de pouvoirs supranationaux et le plus petit budget commun, tel a toujours été son credo. Un temps, Londres voulait même avoir son mot à dire sur la gestion de l’euro, sans en faire partie ! En résumé : avoir les avantages du marché unique, notamment pour la City, mais sans en avoir aucun des devoirs, et même contribuer à torpiller les initiatives euroconstructives. Or, pour négocier le départ de l’Union, la Première ministre britannique, Theresa May, a affiché une feuille de route très similaire : pouvoir garder les avantages en terme de commerce pour les entreprises britanniques, c’est-à-dire l’accès au marché intérieur communautaire, tout en dérogeant à certaines règles communes, en particulier la liberté de circulation des Européens.

Cette volonté, qualifiée de « Brexit dur » par les commentateurs, a été parfaitement comprise par la France et la Commission européenne, qui campent donc sur une même ligne de fermeté. « Je vois les manœuvres », a ainsi déclaré Jean-Claude Juncker aux vingt ans de l’Institut Jacques Delors. En mettant explicitement en garde Londres : « on ne peut pas être un pied dehors et un pied dedans, en écrasant du pied qui est dehors l’ensemble qui a été mis en place, et en marchant comme sur des roulettes pour recueillir les fruits de ce qui doit fonctionner également pour le Royaume-Uni. Sur ce point nous devons être, je le dis aujourd’hui, intransigeants ».

Emmanuel Defouloy
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