Le droit d‘auteur en question (4)

Un défi inédit

d'Lëtzebuerger Land du 20.04.2006

C'est autour du secteur de l'audiovisuel que se concentrent aujourd'hui les défis des droits d'auteur dans  un contexte social qualifié de société de la communication ou de l'information. La presse écrite a connu son évolution sur un mode assez paisible, mais l'audiovisuel avec ses développements technologiques lance un défi inédit avec une multiplication exponentielle de moyens de communications qui peuvent se combiner et se superposer. Les zones d'exploitation ne sont plus limitées aux pays d'origine, mais s'étendent vers des publics au-delà des frontières nationales. Le secteur de la radio n'est pas trop exposé dans la mesure où les œuvres diffusées sont gérées de manière cohérente par des sociétés de gestion collective de droits et les œuvres concernées ne tombent pas sous des conditions d'exploitation exclusives. N'importe quel radiodiffuseur ayant conclu un accord avec une société de gestion collective peut diffuser librement n'importe quelle œuvre rendue accessible au public. Il n'en va pas de même pour le télévision. La diffusion d'un film cinématographique, d'une série télévisuelle ou d'un documentaire est normalement grevée de clauses d'exclusivités. Un télédiffuseur obtient des droits pour un nombre limité de diffusions d'une même œuvre audiovisuelle assortie de limitations géographiques. Le Luxembourg a joué un rôle pionnier dans le secteur: RTL a été le premier exploitant de programmes de radio et de télévision destinés à des audiences pan-européennes et les programmes transmis par le système de satellites Astra ont par leur nature même une dimension internationale. Le Luxembourg était directement impliqué dans la préparation des instruments juridiques correspondants au niveau international comme la directive Télévision Sans Frontières et la directive Satellite Câble. Les deux directives sont basées sur le principe du pays d'origine en sorte que pour la transmission de programmes de télévision, la  législation du pays d'origine est la seule applicable, évitant ainsi la cumulation de législations divergentes au niveau des pays de destination.

Le droit d'auteur est basé sur le principe simple que l'utilisateur des œuvres, en l'occurrence les organismes de radio et de télévision, doivent obtenir les autorisations nécessaires pour la diffusion de ces œuvres et payer en contrepartie une rémunération équitable. Il est par conséquent indispensable pour les utilisateurs d'avoir en face des interlocuteurs représentatifs et dûment mandatés pour négocier les droits et encaisser les rémunérations correspondantes. L'acquisition des droits liés aux œuvres musicales se fait sur base de la gestion collective. Au niveau national, une société de gestion collective est mandatée pour accorder les autorisations portant sur le répertoire musical mondial de sorte que le radiodiffuseur ou le télédiffuseur est habilité à diffuser à sa convenance et selon son choix n'importe quelle œuvre musicale sans autorisation préalable œuvre par oeuvre. Il leur faut en contrepartie payer une rémunération forfaitaire et informer la société de gestion collective des œuvres diffusées permettant en interne la ventilation de la rémunération auprès des titulaires de droits concernés. La Sacem Luxembourg est l'organisme habilité à donner les autorisations correspondantes pour tout mode de communication au public. L'acquisition des œuvres audiovisuelles, films cinématographiques, séries télévisuelles, documentaires ne peut cependant pas se faire selon le mode de la gestion collective. En effet, l'exploitation de ces œuvres est assortie de clauses d'exclusivité en sorte qu'un producteur autorise un opérateur national à diffuser une œuvre individuelle en limitant la zone de diffusion à un nombre restreint de pays. Il faut par ailleurs respecter une hiérarchie d'exploitation : un film cinématographique est d'abord exploité en salle, ensuite en location vidéo et DVD, puis en télévision à péage pour devenir ensuite accessible pour la télévision gratuite. Il s'ensuit qu'un télédiffuseur acquiert les droits pour une transmission d'une œuvre audiovisuelle uniquement pour une utilisation limitée dans le temps et dans l'espace: à titre d'exemple, TF1 est autorisé à diffuser un nombre limité de fois le film Harry Potter pour une période déterminée pour la France, de même pour RTL concernant les droits au Luxembourg et en Allemagne, RTBF pour la Belgique, BBC pour la Grande-Bretagne, RAI pour l'Italie etc. Ainsi, à la disponibilité immédiate d'un répertoire musical mondial, géré par la gestion collective, s'oppose un fractionnement de droits d'exploitation des œuvres audiovisuelles auxquelles s'applique la gestion individuelle. Cette dichotomie est à l'origine de nombreux problèmes au niveau de la retransmission de programmes de télévision par l'intermédiaires d'infrastructures de redistribution de programmes et de l'accès à des programmes à péage en réception individuelle. Le Luxembourg y est particulièrement exposé dans la mesure où aucun télédiffuseur, excepté RTL, n'acquiert à l'origine des droits audiovisuels pour une quelconque redistribution pour notre pays.

L'infrastructure de distribution de référence au Luxembourg pour les programmes de télévision est le système satellitaire Astra, qui met des capacités de diffusion à la disposition de télédiffuseurs nationaux et étrangers. Ces derniers acquittent dans leur pays d'origine les droits de diffusion sur base de contrats conclus avec l'ensemble de titulaires de droits. Astra n'a aucun lien direct avec le consommateur final du programme diffusé et peut par conséquent être considéré actuellement comme une plateforme de distribution neutre. Il n'en va pas de même pour les réseaux de télédistribution au Luxembourg, qui doivent être considérés comme des organismes tiers s'interposant entre le télédiffuseur d'origine et leurs clients auxquels ils facturent un abonnement. Il ont par conséquent un contact direct avec le consommateur final. Le système est actuellement bien sécurisé au Luxembourg par la conclusion de contrats entre les réseaux de télédistribution et l'intégralité des sociétés de gestion collective, y inclus les titulaires de droits des œuvres audiovisuelles, et cela grâce à la création d'un organisme de gestion collective correspondant, l'Association luxembourgeoise de gestion des œuvres audiovisuelles. Sous l'égide de la Sacem Luxembourg, regroupant l'ensemble des autres titulaires de droits, il a été créé au Luxembourg, comme dans de nombreux autres pays de l'Union européenne, un système d'autorisation intégralement basé sur la gestion collective. Cependant, de nouvelles infrastructures de distribution de services audiovisuels se profilent : la téléphonie mobile et le numérique terrestre. Des opérateurs de téléphonie mobile pourraient inclure dans leur offre de programmes vidéo la retransmission de programmes de télévision étrangers que ce soit dans leur intégralité ou par extraits, en simultané ou en décalé. Si tel était le cas il deviendrait indispensable de trouver au Luxembourg des organismes représentatifs et régulièrement mandatés pour accorder les autorisations correspondantes et pour négocier les rémunérations. Il en va de même pour toute plateforme regroupant une offre de programmes diffusés en mode numérique terrestre. Pour un éditeur de programmes de télévision incluant dans son bouquet des programmes étrangers, il est indispensable d'obtenir les autorisations nécessaires sur base de la gestion collective. Il s'ensuit un système d'acquisition de droits où le diffuseur d'origine acquiert pour sa zone d'exploitation les droits musicaux sur une base de gestion collective et les droits audiovisuels sur une base individuelle. Cependant, pour toute retransmission, que ce soit par câble, téléphonie mobile, plateformes numériques terrestres, c'est le système de la gestion collective s'appliquant à toutes les œuvres qui est l'unique solution pour une réelle sécurisation.

C'est à partir du Luxembourg, par le système Astra, que sont diffusés de nombreux programmes à péage dans des langues accessibles au public résidant au Luxembourg tels que Canal Plus et Canal Satellite (France), Premiere (Allemagne), BSkyB (Grand-Bretagne). Or, ces programmes sont diffusés sous le contrôle des télédiffuseurs d'origine qui, pour des raisons liées au système d'acquisition de droits organisé sur une base nationale, ne rendent leurs programmes accessibles ni au Luxembourg ni dans des pays autres que leur pays d'origine. Ainsi, il n'est pas possible d'acheter au Luxembourg un abonnement pour un quelconque programme à péage étranger avec réception individuelle par satellite. Problème: droits d'auteur! Malgré les instruments internationaux, l'Europe se retrouve dans un cloisonnement national dans le secteur de la télévision à péage où le Luxembourg risque d'être un laissé-pour-compte. Le premier remède est bien évidemment le piratage. Oui, le piratage a des beaux jours en perspective en Europe, avec le cloisonnement national de la télévision à péage. Le deuxième, le vrai remède, est la gestion collective pour l'ensemble des titulaires de droits pour la réception de programmes à péage par la création d'une agence de régularisation des droits pour le Luxembourg, cette agence pouvant être hébergée auprès d'une de nos sociétés de gestion collective existantes. Le problème de la distribution par câble de programmes de télévision étrangers a été réglé de manière cohérente et efficace. Celui de la mise à disposition de programmes de télévision à péage en réception individuelle peut se régler en parallèle sur un mode identique de gestion collective impliquant l'ensemble des titulaires de droits. Ce modèle faisant ses preuves au Luxembourg pourrait s'étendre à d'autres pays avec une gestion collective centrée au Luxembourg avec les répercussions positives que cela comporterait pour notre pays. Il faut bien-évidemment l'engagement et la disponibilité des titulaires de droits, l'accord des organismes de télévision à péage et certainement un brin de volonté politique pour fédérer et coordonner les démarches et, si nécessaire, adapter la législation.

 

Roland Jaeger
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