Une exposition, en hommage aussi à Joseph Hackin, d’origine luxembourgeoise, et son épouse Ria

Bamiyan vingt ans après

d'Lëtzebuerger Land vom 17.09.2021

Samedi dernier, New York et au-delà le monde se sont souvenus de la destruction des tours jumelles du World Trade Center. C’était le 11 septembre 2001. Six mois avant, exactement, un autre événement sinistre avait déjà scandalisé : la destruction par les Talibans des deux bouddhas monumentaux de la falaise de Bamiyan. On connaît la sombre prédiction de Heinrich Heine, dès 1821, que là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes. Il faut l’élargir à toutes sortes d’exactions, ce qu’on fait aux images, on le fait aux hommes. De triste présage au vu de ce qui se passe en Afghanistan, après la débâcle de la tentative armée de nation building avec un gouvernement corrompu.

New York a eu les faveurs des journaux, des télévisions, et des commémorations politiques. C’est au musée Guimet, à Paris, musée national des arts asiatiques, qu’il appartient, jusqu’au 18 octobre prochain, de garder vivant l’autre souvenir. Dans une exposition, certes réduite de taille, mais riche en information, en enseignement, qui avec la large vue photographique de Pascal Convert de la falaise de Bamiyan, les deux excavations, trous béants qui témoignent de l’épuration mémorielle, dénonce le crime contre l’humanité, fait regretter amèrement une perte irréparable.

Elles étaient deux, comme des gardiennes, ces statues monumentales de bouddhas, au cœur de l’Hindukush. On les date autour de 600, l’une haute de 38 mètres, la plus majestueuse de 55 mètres. Mais reportons-nous une centaine d’années en arrière, en 1924, et nous aurons même du mal à imaginer le choc, le ravissement, qu’ont dû ressentir Joseph Hackin, son épouse Ria, en les découvrant lors de leur première mission archéologique. Rien de comparable avec nos pauvres illuminations à nous, gâtés par les images, ce fut tout autre chose pour l’explorateur suisse Burckhardt en face du site nabatéen de Petra à la sortie du Sîq.

Joseph Hackin est d’origine luxembourgeoise, né le 8 novembre 1886 à Boevange ; peut-être n’est-il pas inutile à rappeler à certains que le pays fut dans le passé une terre d’émigration, les parents Hackin trouvant un double emploi de cocher et de domestique dans le Calvados (les Hackin comme les Steichen, c’est en très bas âge qu’ils ont été emmenés dans les bagages). Son épouse, née Parmentier, l’est de même, née toutefois dans la Moselle occupée par les Allemands. Des études d’orientalisme amènent Joseph Hackin auprès d’Émile Guimet dont il deviendra le secrétaire, pour succéder en 1923 à son fondateur comme directeur du musée.

Plusieurs missions sont effectuées par le couple Hackin en Afghanistan, dans les années 20 et 30 ; des antiquités issues du partage de fouilles avec les autorités indigènes sont exposées au musée Guimet, comme deux pièces qui frappent particulièrement aujourd’hui, une main d’un bouddha colossal, un bouddha assis, sans tête ni bras. Attirent l’attention non moins telles photographies, d’un catalogue du musée de l’ordre de la Libération par exemple, montrant les Hackin au milieu des autochtones, hommes, femmes, enfants, d’autres prises pendant des fouilles ou des cérémonies de danse. Il en est une dans le livre qui touche particulièrement, on voit le couple, sur une route luxembourgeoise, lors d’une promenade avec leur petite nièce et filleule, Éliane Cremona, qui sera secrétaire générale de la Fédération luxembourgeoise de football de longues années durant.

Retour à Kaboul. Mais avant il faut s’arrêter à l’épreuve de la première guerre mondiale qui vaudra à Joseph Hackin, naturalisé Français depuis 1912, la Légion d’honneur et cette réflexion : « J’ai fait la guerre à 26 ans et je n’y ai trouvé aucune raison particulière d’optimisme métaphysique, aucune source d’enchantement. » Survient la déclaration de guerre en 1939. C’est de la capitale afghane que Joseph Hackin écrira en juillet 1940 au général de Gaulle une offre de ralliement, et le couple rejoindra Londres, signera son engagement dans les Forces françaises libres. De Gaulle charge Joseph Hackin d’une mission quasiment de ministre des affaires étrangères dans les pays asiatiques ; Joseph et Ria Hackin embarquent en février 1941 à Liverpool, leur steamer est torpillé par un sous-marin allemand au large des îles Féroé, sombre avec presque tous ses occupants. Dans une vitrine, à l’entrée de l’exposition du musée Guimet, les croix de la Libération attribuées à titre posthume, faisant des Hackin le seul couple compagnon de la Libération.

Lucien Kayser
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