Cinéma

À contre-sens

d'Lëtzebuerger Land du 27.07.2018

Quentin Dupieux, alias Mr. Oizo, n’en finit pas de renaître. Après quatre longs-métrages tournés en Californie, le cinéaste s’est décidé à rentrer en France, à Paris, où il travaille désormais depuis plus d’un an. Un retour fécond et inspiré, comme l’atteste le tournage rapproché de deux films : Au poste ! (2018) vient de paraître en salles, tandis que le second, intitulé Le Daim, avec Jean Dujardin dans le rôle principal, est actuellement en cours de montage. Aux commandes, Quentin-le-magicien cumule avec maestria les fonctions de monteur, scénariste, compositeur et chef-opérateur. Pour orchestrer une folie douce que l’on rencontre trop rarement au cinéma depuis la disparition de Jacques Tati et de Luis Buñuel.

Dans Au poste !, sa nouvelle comédie policière, Dupieux poursuit le filon burlesque qui l’a fait connaître du grand public (Steack, 2007). Un parti pris esthétique devenu depuis la signature de l’artiste, selon une recette bien éprouvée au fil des années : des répliques décalées prenant pour objet le langage lui-même, et une histoire invraisemblable servie par de célèbres comiques – le duo formé par Éric et Ramzy dans Steack, Alain Chabat dans Réalité (2015), et maintenant Benoît Poelvoorde dans le rôle de Buron, le flic particulièrement pointilleux. Sa victime, Louis Fugain, est un personnage digne d’un roman de Kafka. C’est l’innocent que l’on suspecte être l’auteur d’un crime (à tort ou à raison, on ne sait pas), campé par l’humoriste du Palmashow, Grégoire Ludig. D’autres acteurs issus d’horizons divers viennent compléter la bande : Marc Fraize (le policier borgne), le rappeur Orelsan (le fils de Buron), ou encore Anaïs Demoustier (la femme du policier borgne).

Au poste ! constitue le premier huis-clos de Quentin Dupieux. Pendant trois semaines, le réalisateur et son équipe se sont installés place du Colonel-Fabien, dans les bureaux du Parti communiste français où a été confectionné le décor du commissariat. Les néons, comme la salle d’interrogatoire où se fixe le huis-clos, contrastent avec la lumière naturelle et les grands espaces que l’on rencontrait dans ses longs-métrages californiens. La nuit, enfin, fait son entrée dans cet univers surréalisant.

Ce sont-là autant d’éléments de rupture qui marquent la « nouvelle » carrière du réalisateur en France. Tout en multipliant les références au cinéma de genre des années 1970 – la présence désuète d’une machine à écrire évoquant par exemple Le Magnifique (1973) de Philippe de Broca –, Dupieux formule un cinéma de l’absurde, nourri aux Monty Python et au théâtre de Beckett. Son premier long-métrage, Nonfilm (2001), semble répondre à l’unique film réalisé par le dramaturge irlandais (Film, 1965). À l’instar de René Magritte, le compatriote de Poelvoorde, Dupieux joue de la polysémie des mots et des images. Du poste de radio au poste de police, de la pièce où se déroule l’interrogatoire de Fugain à la pièce de théâtre où fugue en dernier lieu le récit (un clin d’œil bien venu à Buñuel), une curieuse filiation lie le cinéma de Dupieux à la peinture de Magritte et au théâtre de Beckett.

Loïc Millot
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