Depuis son adhésion à l’UE, la Roumanie est devenu un véritable hub des nouvelles technologies

Bye-bye les carrioles, hello la tech

d'Lëtzebuerger Land vom 12.04.2024

Oublié le modeste appartement bucarestois où l’affaire avait démarré avec une petite équipe de jeunes informaticiens. Aujourd’hui la start-up UiPath, lancée en Roumanie en 2015, possède des bureaux à New York, Londres, Paris et Mumbai tandis que la bourse de New York affiche sa valorisation à plus de douze milliards de dollars. Son fondateur, Daniel Dines, 54  ans, appartient à cette génération forgée par Internet dans les années 1990. Il a été recruté par Microsoft mais avait eu du mal à s’adapter aux carcans d’une grande compagnie.

En 2005 sa fibre d’entrepreneur le pousse à revenir en Roumanie avec le rêve de créer une entreprise capable de changer le monde. « Il y a un moment clé dans la vie de chacun, affirme-t-il. En 2013 j’étais sur le point d’abandonner. Huit ans après mon départ de Microsoft j’avais des difficultés à me faire embaucher. Mais il existe des moments privilégiés dans la vie où tu sens que ton heure est venue et où tu mets tout en œuvre pour réussir. » L’heure de Daniel Dines est venue car il est aujourd’hui le Roumain le plus riche avec des avoirs estimés à quelques milliards de dollars. Son ambition : équiper chaque personne de la planète avec un robot.

Considérée le mouton noir de l’Union européenne (UE) qu’elle a intégrée en 2007, la Roumanie était réputée pour ses retards et se retrouvait souvent à la queue du peloton. Mais l’essor des nouvelles technologies a changé la donne et des milliers de start-up poussent comme des champignons dans ce pays. Malgré un demi-siècle de dictature communiste, la Roumanie s’est fait remarquer avec ses écoles de mathématiques qui ont formé une armée d’informaticiens.

En 2001 la Roumanie faisait son entrée dans le secteur des nouvelles technologies grâce au succès de la société de cybersécurité Bitdefender. « Même si cela peut paraître paradoxal aujourd’hui, l’informatique roumaine avait connu un développement important au temps du communisme, explique Florin Talpes, PDG de Bitdefender. Ce phénomène a continué après la chute de la dictature. Tous les ans, environ 10 000 jeunes informaticiens sortent des universités. Quant à leur nombre la Roumanie occupe une des premières places au niveau mondial. »

La French Tech, vitrine française des start-up de l’Hexagone, a ouvert en juin 2020 son antenne bucarestoise avec l’idée de créer un pont entre les jeunes entrepreneurs français et roumains. « La Roumanie compte plus d’ingénieurs informaticiens par habitant que les États-Unis, la France, l’Allemagne, la Chine ou l’Inde, déclare Grégoire Vigroux, le président de la French Tech Bucarest. La présence de grandes compagnies sur son sol – Microsoft, IBM, HP, Oracle, Amazon et Telus International – confirme l’expérience et le potentiel de la Roumanie dans le domaine informatique. » Un succès qui n’est pas passé inaperçu à Bruxelles le 9 décembre 2020 où les 27 pays membres ont décidé que la Roumanie accueillerait le nouveau Centre européen de compétences en matière de cybersécurité.

Le talent des jeunes informaticiens roumains s’est avéré très utile dans le nouveau contexte de la guerre qui se déroule à proximité de leur pays. Le 24 février 2022 la Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine voisine, ce qui a provoqué une importante crise humanitaire. Des millions d’Ukrainiens, en majorité des femmes et leurs enfants, ont pris le chemin de l’exil vers l’Ouest… Du jour au lendemain la frontière roumano-ukrainienne a été prise d’assaut par cette marée humaine. Dans un premier temps il a été impossible de gérer une vague migratoire aussi importante, mais l’intelligence artificielle a fait la différence.

En un rien de temps, l’association Code4Romania (Code pour la Roumanie), qui rassemble la crème des informaticiens roumains, a mis en place plusieurs applications pour gérer cette crise humanitaire. « Nous avons stoppé toutes nos activités pour nous concentrer sur des solutions numériques qui pouvaient diminuer les effets de la guerre, déclare Bogdan Ivanel, le fondateur de Code4Romania âgé de 37 ans. Il s’agit de quatre applications destinées à aider les réfugiés ukrainiens qui arrivaient en Roumanie. Nous avons utilisé nos capacités de codage pour soutenir la société civile ukrainienne. »

Les lignes de code écrites bénévolement par les jeunes de Code4Romania ont sauvé des vies. Grâce à l’application « Dopomoha » (« aide » en ukrainien), les réfugiés ont eu un accès instantané aux procédures à suivre pour obtenir l’asile en Roumanie. Ils ont également eu la possibilité d’être mis en relation avec les Roumains qui ont souhaité les accueillir. Ainsi, l’algorithme mathématique, outil numérique de l’univers virtuel, a permis de sauver des vies dans le monde réel. Depuis cette opération, Code4Romania est devenue Commit Global, une organisation chargée de déployer des applications qui ont un impact social au niveau international. « Nous mettons en place l’infrastructure numérique dont les organisations internationales de la société civile ont besoin pour sauver des vies et protéger les populations à grande échelle », explique Bogdan Ivanel.

La Roumanie se renouvelle grâce à une jeune génération qui a abandonné les carrioles de leurs parents conduites par des chevaux pour l’intelligence artificielle. En seulement 35 ans depuis la chute de la dictature communiste en 1989, ce pays s’est modernisée grâce aux nouvelles technologies. Les carrioles que l’on croisait encore sur les routes du pays dans les années 1990 et 2000 sont oubliées. Depuis l’adhésion à l’UE, la Roumanie a rebondi grâce à une armée d’informaticiens qui en ont fait un hub des nouvelles technologies.

La success story de Commit Global n’est pas unique. Les applications développées en Roumanie ont pour but de conquérir le marché international. ConsoInfo, une autre application née en Roumanie, s’exporte aux quatre coins du monde et promet de révolutionner la traçabilité des produits alimentaires et de donner accès aux services d’urgence à l’étranger.

Cette application gratuite propose des services en 33 langues dont le français. « ConsoInfo permet de scanner un produit pour accéder à toutes les données le concernant : les ingrédients dont il est composé, les additifs et les allergènes, les valeurs nutritionnelles et la quantité de sel et de sucre, déclare Sorin Mierlea, fondateur du projet. L’application offre aussi des informations sur les produits électroniques et électroménagers, leur consommation d’énergie et leur recyclage. Nous avons utilisé la technologie de la blockchain pour stocker les données de manière décentralisée via le réseau Storj, ce qui garantit une livraison rapide et sécurisée des informations. »

Les nouvelles technologies peuvent accomplir des miracles et la Roumanie en est un exemple. Oubliées les carrioles, c’est l’heure des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle dont la jeune génération roumaine se sert pour changer le paradigme économique du pays. Marqué par un demi-siècle de dictature communiste, la Roumanie a retrouvé sa vitalité en deux générations et promet d’être le nouveau tigre de l’économie du sud-est européen.

Mirel Bran
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