La Commission de surveillance du secteur financier réclame des moyens supplémentaires pour renforcer le contrôle d‘un secteur en transition, de l‘argent gris vers l‘argent blanc. Les taxes vont flamber

La CSSF corse son contrôle et ses moyens

d'Lëtzebuerger Land vom 11.05.2012

Demandes identiques, scénarios différents. Pour faire face à la crise, la Banque centrale du Luxembourg (BCL) avait réclamé en mars 2011 au gouvernement, qui en avait d’ailleurs accepté le principe, une enveloppe supplémentaire de 300 millions d’euros à injecter sous la forme d’une augmentation de capital pour s’adapter « à l’accroissement substantiel de ses engagements et aux risques qu’elle encourt pour ses activités ». La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) se montre à son tour revendicative, bien que ses sollicitations à disposer de moyens accrus ne viendront pas de la manne publique, mais pèseront directement sur le portefeuille du secteur privé. Composé d’un mixte de personnalités de l’administration et de représentants du secteur financier, dont le président actuel de l’ABBL Ernst-Wilhelm Contzen, le conseil de la CSSF, chargé principalement des questions de budget, a été récemment informé par la direction de l’autorité de régulation d’une proposition de hausse substantielle des taxes à percevoir.

Invité à l’assemblée générale de l’Association des banques et banquiers Luxembourg, Jean Guill, directeur général de la CSSF avait annoncé la couleur aux opérateurs du secteur financier en les prévenant d’une hausse « très sensible » des taxes. Il a rappelé vendredi 4 mai, lors de la présentation du rapport annuel 2011 de sa maison, qu’il fallait s’attendre à ce que, dans les années à venir, leur contribution aura tendance à augmenter pour financer le fonctionnement de la CSSF (un budget de 46 millions d’euros en 2011, contre 38 un an plus tôt), qui aligne aujourd’hui 425 agents (plutôt bien payés) et devrait en employer bientôt 600 pour faire face à la montée en puissance de la réglementation financière. Le siège actuel route d’Arlon ne suffit déjà plus à héberger les effectifs actuels et un investissement de 35 millions est au programme pour construire un nouveau siège à proximité de bâtiment actuel.

Le patron de la surveillance financière n’a pas fourni de chiffres précis sur la hausse des taxes à intervenir via un règlement grand-ducal, applicable en principe au 1er janvier 2013, mais dans son entourage, on indique que les taxes passeront du simple au double.

Comme les taxes n’ont pas bougé d’un iota depuis presque dix ans, la dernière modification réglementaire remontant au règlement grand-ducal du 18 décembre 20091, les dirigeants de la CSSF estiment que les changements de tarification ne devraient pas avoir d’influence sur les décisions des maisons-mères des établissements financiers et le choix d’une implantation au Luxembourg ou d’y conserver leur business.

Quoi qu’il en soit, le dernier règlement grand-ducal de 2009 prévoit déjà de mettre à contributions les administrés en cas de soldes négatifs de la CSSF : c’est le cas en 2011 où la perte a pointé à 3,271 millions d’euros, la première jamais essuyée par le régulateur qui ordinairement clôturait ses exercices sur des bénéfices. L’année dernière, la perception des taxes financières et des amendes (300 000 euros), soit un total de 42,114 millions d’euros, a été insuffisante pour faire face à la totalité des charges (46,32 millions). Le renforcement de la surveillance, résultant à la fois de la complexité et de l’inflation de la réglementation, s’est traduit par un doublement des effectifs depuis 2002, où les agents CSSF étaient encore à peine 200. La CSSF emploie autant de personnel que son équivalent belge. La Bafin en Allemagne compte pour sa part 2 000 agents.

Il n’y a donc rien à négocier pour les opérateurs du secteur financier qui n’ont d’autre choix que de payer, explique Jean-Jacques Rommes, le directeur de l’ABBL pour lequel la hausse des taxes, aussi regrettable soit-elle, relève d’une certaine logique. « Nous nous plaignons, souligne-t-il, du tsunami réglementaire qui s’impose à tout le monde sur le plan international ». À la pression quantitative s’ajoute la pression qualitative, prix à payer par le secteur financier de la crise.

Plus personne d’ailleurs à l’ABBL ni dans d’autres organisations n’ose aujourd’hui s’en plaindre, alors que les opérateurs, il n’y a pas encore si longtemps, avaient présenté un mémo, réalisé par un grand cabinet d’audit, allant jusqu’à chiffrer le manque à gagner pour le secteur privé lié à l’inflation réglementaire. Les discours ont changé et la crise financière a au moins réussi à faire l’unanimité des opérateurs sur l’intérêt et la nécessité de contrôles efficaces de la part des régulateurs. Ne serait-ce que pour retrouver la confiance des investisseurs privés, dont on mesure mieux l’utilité en temps de disette.

« La rigueur du contrôle est partout en augmentation et il n’y a aucun doute que la CSSF doit investir dans son avenir », assure Jean-Jacques Rommes, en précisant qu’en cas d’accident de parcours sur la place financière, la « souffrance » du secteur pourrait s’avérer bien pire à digérer qu’un doublement des taxes.

Jean Guill ne s’en est pas caché vendredi, l’une des missions de sa maison est d’accompagner les banquiers luxembourgeois, à travers la qualité de la surveillance et un contrôle rigoureux, dans la transition de la place : de l’argent gris si facilement gagné hier vers l’argent blanc de demain, comme le revendiquent d’ailleurs désormais publiquement les dirigeants de l’ABBL. Son président Ernst-Wilhelm Contzen avait exhorté la semaine dernière le gouvernement à l’aider à développer sa stratégie de ne plus traiter que des clients avec de l’argent blanc, c’est-à-dire totalement transparents vis-à-vis du fisc de leur pays d’origine.

Le patron de la CSSF se refuse à fournir un état des lieux du degré de probité des clients des établissements luxembourgeois. Il y a sans doute encore pas mal de boulot, d’autant plus que les banques du pays n’ont jamais vendu autant de constructions financières complexes à leurs gros clients pour notamment diluer le repérage de leur fortune et son étendue.

La qualité de la surveillance par la CSSF, qui a encore multiplié ses contrôles sur place en 2011 et n’a pas l’intention d’en arrêter le mouvement ascendant ni de baisser la garde sur la surveillance ou encore moins de faire de compromis sur la législation, va être jaugée la semaine prochaine par une mission du Fonds monétaire international (FMI), qui fait son retour au grand-duché. Lors de leur précédent déplacement à Luxembourg il y a un an, les experts internationaux avaient pointé du doigt un certain nombre de faiblesses du régulateur, notamment sa proximité avec le ministère des Finances, reproche que Jean Guill balaie encore aujourd’hui d’un revers de main. Il n’accepte pas non plus la critique que lui formulent volontiers ses adversaires : il n’y a pas à ses yeux d’opposition entre une certaine proximité du régulateur envers ses administrés et la mission légale de contrôle. « La CSSF, écrit-il, assume ainsi sa mission de surveillance légale qui comporte une participation active à l’expansion ordonnée du secteur financier et à l’amélioration du cadre réglementaire de la place financière, en s’efforçant de respecter le principe de proportionnalité ». Il n’y a pas de contradiction « entre cette approche et la mission première de la CSSF qui consiste à assurer la surveillance prudentielle du secteur financier et la stabilité financière ». La réponse du berger à la bergère, de Jean Guill à son homologue de la BCL Yves Mersch, qui verrait sans doute bien la maison qui est encore la sienne prendre de l’ascendance sur la CSSF.

1 Pour les banques, outre le forfait de 5 000 euros pour l’instruction de chaque demande d’agrément, la CSSF prélève un forfait qui varie en fonction de la somme de bilan, de 27 250 à 55 000 euros par an. S’ajoutent un forfait de 12 500 euros pour chaque établissement soumis à une surveillance consolidée et une taxe de 10 000 euros pour chaque filiale bancaire et 5 000 euros pour une filiale du secteur financier. Le forfait supplémentaire est de 10 000 euros pour une succursale établie à l’étranger. Il est de 125 euros pour chaque caisse rurale. Pour les OPC, le forfait annuel de base est fixé à 2 650 euros pour chaque demande d’agrément et de 500 euros pour une société de gestion. Pour les professionnels du secteur financier (PSF), outre le forfait unique de 3 500 euros pour l’instruction de la demande d’agrément, il faut compter un forfait annuel s‘échelonnant entre 5 000 et 30 000 euros, selon l’activité demandée. Les auditeurs doivent acquitter une taxe variant entre 1 000 et 500 000 euros, en fonction du nombre de missions en plus du forfait de base.

Véronique Poujol
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