Une exposition, ça commence par un choix d’œuvres ; et celles-là ne donnent de réponses que par rapport aux questions qui leur sont posées

Collection sans révélation

L’accrochage pâtit de l’étroitesse de l’espace
Photo: Tom Lucas
d'Lëtzebuerger Land du 12.04.2024

Le musée, dans sa fonction de monstration, est bipède ou, pour nous éloigner de l’image anthropomorphique, repose sur deux piliers. En premier, une collection où les commissaires peuvent puiser à leur guise, des réserves où se sont accumulées les acquisitions au fil des décennies ou plus, au gré également des responsables ou des tendances du moment. D’autre part, l’un et l’autre ne s’excluent pas, il est le recours à des expositions temporaires avec des apports extérieurs, à l’occasion de telle circonstance particulière. Et la collection elle-même peut donner lieu à de profondes sautes, un regard neuf suscitant un changement de perspective. Un autre discours se déploie alors à nos yeux, une exposition tenant dans les meilleurs cas toujours du développement, de l’exposé. Collections/Revelations (en anglais, donc sans accents), promet la présentation nouvelle au Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art au Marché-aux poissons. Mais, au bout c’est une déception plutôt, provoquée par trop de confusion.

Pourtant, ça commence bien, avec la blancheur, la pureté, et le mouvement tournoyant, de Shaping, de Su-Mei Tse : une main pour donner forme à la matière sur un tour de potier. Belle image d’entrée pour un parcours des arts plastiques. Hélas, le visiteur s’engage tout de suite après dans un chemin creux, couloir étroit trop chargé de peintures de taille assez grande, sans recul possible, il a le nez dessus. Il n’y a pas que cette difficulté de perception, de saisie, seule la toile de Michel Majerus y échappe, à condition de s’éloigner dans l’ouverture d’une autre salle, pour ne pas être en face seulement de coups de pinceau pris dans leurs élans isolés. D’ailleurs, cette toile de 1999, comment la situer dans cet ensemble, aux côtés de Bissière et de Jorn par exemple, avec en plus un commentaire se rapportant aux répercussions de la Seconde guerre mondiale. La section de l’exposition se trouve intitulée Chaos, « réflexion sur l’équilibre entre ordre et désordre » (il faut relire Bergson à ce sujet), peut-être a-t-on voulu y ajouter une note plus récente et en plus autochtone.

Certes, les travaux de rénovation, bienvenus, n’ont rien pu changer à l’exiguïté des espaces. Et il en est heureusement tout autre ailleurs, dans les salles où visiteurs comme œuvres ont de quoi respirer. Il a été question de l’intitulation de l’entrée, des premiers pas. Les commissaires ont pris le dessein (tout à fait défendable) d’une organisation thématique (la chronologie pouvant apparaître souvent comme un pis-aller, une facilité), et d’« établir des parallèles entre des œuvres d’époques et de genres distincts ». Seulement, les catégories choisies, les classes où ranger les œuvres, s’avèrent tellement générales, qu’elles finissent par être sans signification réelle. Et que bon nombre puissent facilement passer d’une salle à une autre. Jugez-en, après Chaos, suivent Faces, Nature, Shapes and Forms, et pour finir Colour.

Autant, serait-on tenté de dire, s’accrocher à la nomenclature des formats de toiles à peindre, des Figure, Paysage, Marine. Personne ne nie le rôle joué par la représentation humaine dans l’histoire de l’art, mais il faudrait alors aller plus loin, et la simple juxtaposition par exemple de poses bourgeoises vieilles de plus d’un siècle et de visages floutés ou faunesques ne mène nulle part. Accordons toutefois ailleurs une part d’humour à l’ensemble déglingué de la gouache de Magritte et de la résine polyester (bien agrandie) des Feipel et Bechameil. Comme au bouledogue de François Pompon qui semble saluer l’éléphant se dressant en haut de la construction dans la toile de Tina Gillen (et l’on pense au projet d’un gros pachyderme en haut des Champs Elysées, idée de Napoléon avant qu’il n’opte pour un arc de triomphe).

Au bout, voilà la salle consacrée à la couleur, la seule couleur bleue. Tant de nuances de bleu. Toutefois, les toiles d’Aillaud et de Monory, pour ne prendre que celles-là, ajoutez-y la Nuit de l’Épiphanie, de Manessier, pour la lumière, disent amplement que leur sujet n’est pas du tout l’emploi de telle couleur ; et puis il aurait été plus intéressant, plus payant pour la démonstration qu’est toute exhibition, d’aller voir comment des artistes jouent des harmonies, des dissonances, font ainsi preuve d’audace et nous surprennent.

Il fait sombre sur le balcon cannois, avec un ciel tant soit peu éclairé ; il est vrai que c’est le crépuscule. Il est question du tableau de Picasso, vous le verrez maintenant pour de vrai, après son retour d’Amérique (pour le vernissage, il fallait se contenter d’une photo). Histoire assez invraisemblable que cette présence dans la collection du MNAHA. Prêté par une galerie suisse pour une exposition sur l’École de Paris, en 1999, le tableau fut endommagé lors du décrochage et acheté pour six millions de dollars. Restauré, et après qu’il fut prêté au musée par l’État, le ministre du Budget et du Trésor compta le vendre, sans succès, même à un prix inférieur. En 2014, enfin, il fut versé au patrimoine. En conclusion donc, comme il serait toujours instructif de savoir quand et comment une œuvre a rejoint la collection, tributaire autant du marché de l’art que de telles décisions politiques, outre le choix bien sûr des responsables. Avec pour garde-fou son inaliénabilité.

Lucien Kayser
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