ÉDITO

Tr.nsp.re.ce

d'Lëtzebuerger Land du 26.08.2022

Le concept imprime lentement la vie publique luxembourgeoise. Cet été, a paru pour la première fois le registre des entrevues des membres de l’exécutif, ainsi que celui des conseillers de gouvernement. Dans le document publié le 25 juillet, ne figure qu’une seule entrevue du Premier ministre Xavier Bettel (DP). Elle est intervenue le 4 mai, soit quelques jours après l’entrée en vigueur de l’arrêté grand-ducal instituant le registre. Il s’agit d’une visite de l’archevêque Jean-Claude Hollerich et de deux proches collaborateurs. Le tableau-registre prévoit une colonne pour la position défendue par le tiers et une autre pour le cadre, légal ou législatif, concerné. Dans le cas d’espèce la réunion consistait en un simple échange sur la situation générale de l’Église catholique en 2022 et ne concernait pas de projet en particulier. D’autres entrevues au sein d’autres ministères informent sur les motivations. Par exemple, le ministre des Classes moyennes Lex Delles (DP) a reçu le 10 juin des représentants de la Fédération des artisans qui souhaitaient que certaines branches soient éligibles au nouveau régime d’aides pour les entreprises touchées par la hausse des prix de l’énergie causée par l’agression de la Russie. Le 19 mai, est fait état d’une réunion entre le ministre de l’Économie Franz Fayot (LSAP) et le président de la Chambre immobilière Jean-Paul Scheuren. Dans la colonne position défendue, on lit : « hausse du prix de l’immobilier résulte d’une croissance démographique et d’une pénurie de terrains, mais pas de la commission de vente » (sic). En janvier, le ministre socialiste avait expliqué sur RTL que l’une des sources de l’explosion des prix du logement résidait dans les trois pour cent perçus par les agences lors de la vente d’immeubles. Franz Fayot avait manifesté le souhait de plafonner ces commissions. Ce qui avait fait bondir Jean-Paul Scheuren.

Certains ministres publient davantage que d’autres sur ce registre dont on regrette seulement qu’il soit publié sous forme de pdf (so 2000’s) et dont les données sont difficilement exploitables dans le temps. Le membre du gouvernement en charge de l’Énergie, Claude Turmes (Déi Gréng), fait figure de bon élève. Est-ce lié à son passé de député européen ? Les membres du Parlement européen publient leur rendez-vous de la même manière, exemplaire si l’on part du principe que le registre est exhaustif. Loin de la pratique fumiste instaurée par nos Parlementaires nationaux. Chd.lu ne publie qu’un « registre de la transparence » qui ne révèle pas grand chose. Le document pdf (aussi… start-up nation) consiste en une énumération d’associations, fondations et quelques personnes physiques ou morales, qui ont accès aux élus dans le cadre de leur travail législatif. Le registre ne renseigne pas l’identité des députés qui ont été rencontrés par ces tiers, quand ils l’ont été et à quels sujets. La proposition de modification du règlement de la Chambre visant à introduire ce registre des lobbys, conformément aux recommandations du Greco (groupe anticorruption du Conseil de l’Europe), a été vidée de sa substance lors des débats en Commission. Déposé par Sven Clement (Piraten), député nouvelle génération qui n’a eu pour soutien que les Verts dans sa lutte contre les pratiques passéistes à la Chambre en matière de transparence, le texte initial devait rendre publics les contacts que les députés ont eu avec les personnes extraparlementaires qui ont tenté d’influencer leur travail politique ou législatif.

Dans l’exposé des motifs, l’élu Pirate expliquait vouloir renforcer la confiance du citoyen dans le système politique. Fallait-il y voir un symbole ? Lorsqu’il a présenté la proposition de règlement en plénière en décembre dernier, le président de l’instance Fernand Etgen (DP) a écorché l’intitulé et parlé de « registre de transpirance ». La transparence de la vie publique progresse trop lentement. Le pays se targue d’être un État fondateur de l’UE, mais il attend la voiture balai de cette dernière pour agir en la matière. Dans son rapport sur l’état de droit, livré fin juillet, la Commission européenne demande entre autres de « poursuivre la mise en œuvre de la nouvelle législation sur le lobbying auprès du Parlement » ou de réduire les délais de traitement des demandes de divulgation de documents officiels, pourtant encadré par une loi toute jeune. Le code de déontologie des membres du gouvernement, bien que fraîchement remanié, mériterait aussi un serrage de vis. Mais la pression publique pour plus de transparence est assez limitée. La seule association militante (Stop Corrupt, héritière de Transparency) se fait discrète. Et l’émergence d’une instance de contrôle spécialisée comme la Haute autorité pour la transparence de la vie publique en France n’est pas pour demain. On a les élus, la vie militante ou la presse qu’on mérite après tout.

Pierre Sorlut
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