La pandémie met la pression à moyen terme sur les régimes de retraite

Quand le virus s’attaque aux retraites

d'Lëtzebuerger Land vom 18.12.2020

Dès le début de la pandémie en février 2020, des humoristes (ou plutôt des individus présentés comme tels) avaient estimé que la surmortalité observée chez les plus de 65 ans réglerait peut-être la question du financement des retraites. Non seulement leurs cyniques pronostics ont été déjoués mais, tout au contraire, la crise sanitaire a aggravé une situation déjà très tendue en début d’année. « Avant la pandémie, le vieillissement démographique, la croissance atone et le faible niveau des rendements et des taux d’intérêt pesaient déjà lourdement sur les régimes par capitalisation et par répartition », peut-on lire dans les « Perspectives de l’OCDE sur les pensions 2020 », un document publié le 7 décembre. Dans les systèmes de retraite par répartition, qu’il s’agisse de régimes de base ou complémentaires, ce sont les travailleurs en activité qui financent directement les pensions de leurs aînés. Or, l’épidémie de coronavirus a provoqué un effet de ciseaux, comme l’illustre le cas de la France, championne toutes catégories de la répartition. Le 15 octobre, le Conseil d’orientation des retraites y révélait que la première vague de la pandémie avait provoqué la mort prématurée de 22 500 retraités, soit 0,14 pour cent seulement du total de cette population. Et si le rapport n’ignorait pas les risques d’une augmentation de ce pourcentage du fait de la deuxième vague qui commençait au moment de sa parution et qui n’est pas encore terminée, il concluait que « cette surmortalité n’affecte que marginalement les dépenses du système de retraite ».

En revanche les recettes ont chuté. De 5,4 pour cent au minimum selon le Cor, du fait de la contraction très significative de la masse salariale du secteur privé (-8,4 pour cent) pour cause de chômage et d’activité partielle avec corrélativement des cotisations perdues. Avec des dépenses en légère hausse et des ressources en baisse, le déficit des retraites, très faible en 2019 (1,9 milliard d’euros, soit 0,1 pour cent du PIB) plongera à 25,4 milliards d’euros en 2020, soit 1,1 pour cent du PIB, mais probablement davantage en raison de la deuxième vague. La dégradation des comptes s’annonce durable, malgré la reprise prévue dès 2021 : le déficit atteindra encore 13,3 milliards en 2024, soit 0,5 pour cent du PIB. Sur quatre ans, ce sont 70 milliards d’euros qui vont manquer, dont plus de la moitié à cause de la pandémie. Pour couronner le tout, la France s’est montrée particulièrement imprévoyante, car les réserves permettant, comme dans la plupart des pays avancés, d’amortir les chocs économiques qui réduisent les cotisations, n’y atteignent que six pour cent du PIB, contre quatorze pour cent en moyenne dans l’OCDE et jusqu’à 31 pour cent en Suède !

Dans les pays disposant d’un système par capitalisation le risque est double. La baisse des marchés, comme celle qui s’est produite entre mars et avril 2020, peut générer un mouvement de panique et pousser à récupérer son épargne-retraite au plus vite. Un comportement irrationnel qui concrétise les pertes, seulement virtuelles tant qu’on ne touche pas aux fonds. A minima les épargnants peuvent opérer des ponctions partielles pour compenser la baisse de leurs revenus pendant les confinements. C’est ce qui s’est fréquemment produit, semble-t-il, selon l’OCDE. En effet, et bien que l’Europe fasse bande à part (dans la zone euro, le taux d’épargne a augmenté de quatre points début 2020 pour atteindre le niveau record de 16,9 pour cent), la pandémie a mis en évidence le « manque de résilience financière » de nombreux ménages à travers le monde, c’est-à-dire l’insuffisance de leur épargne de précaution, celle qui permet de faire face aux imprévus, d’où la tentation de piocher dans leur épargne-retraite.

D’autre part la capacité d’épargne des ménages risque de se réduire dans un futur proche : « Les chocs provoqués par la crise sanitaire et économique mondiale vont probablement maintenir, à l’avenir, la croissance économique, les taux d’intérêt et les rendements à des niveaux durablement faibles, exposant de nombreuses personnes au risque de ne pas pouvoir épargner suffisamment pour leur retraite », déplorent les auteurs du rapport, considérant qu’une « épargne plus importante améliore l’adéquation des futures prestations » et qu’il est essentiel que les actifs financiers continuent de s’accumuler pour la retraite même si cela est plus difficile en temps de crise. Dans son rapport annuel sur les pensions publié le 20 octobre, le cabinet américain Mercer, leader mondial du conseil en ressources humaines et spécialiste de la retraite, s’était déjà penché sur la question de l’impact du Covid-19 sur l’avenir des systèmes de retraite. Ses conclusions étaient naturellement les mêmes, mais Mercer insistait davantage sur les niveaux record de la dette publique, « susceptibles de restreindre la capacité des futurs gouvernements à soutenir leurs populations âgées, soit par le biais des pensions, soit par la fourniture d’autres services tels que les soins ».

Les deux documents saluent la rapidité des pouvoirs publics à prendre diverses mesures de soutien à l’économie, ayant eu par ricochet un effet favorable sur les régimes de retraite dans le contexte du Covid-19. Ils ont notamment étendu les dispositifs de maintien dans l’emploi et les allocations de chômage qui permettent aux travailleurs de continuer à cotiser (éventuellement de manière réduite) et à accumuler des droits à pension. Mercer observait en outre que « certains gouvernements ont autorisé l’accès temporaire à des pensions épargnées ». Par exemple, l’Australie a permis aux personnes dont les revenus avaient chuté de plus de vingt pour cent de retirer jusqu’à l’équivalent de 14 000 dollars de leurs actifs de retraite, tandis que le Chili a permis aux cotisants actifs de retirer volontairement dix pour cent de leurs fonds de pension individuels, jusqu’à 5 600 dollars. Or, selon l’OCDE, cela « devrait rester une option de dernier recours, fondée sur les circonstances particulières d’un individu, comme la détresse financière ou une maladie grave ». L’organisation considère que « récupérer ses actifs avant la retraite pourrait avoir un impact encore bien plus large sur les futures prestations », un avis partagé par David Knox, l’auteur principal du rapport Mercer, qui observe que les Pays-Bas et le Danemark, les deux pays en tête dans l’indice mondial des pensions 2020, « n’ont pas permis un retrait anticipé de l’épargne retraite, même si les actifs d’investissement de chaque système de retraite représentent plus de 150 pour cent du PIB du pays ».

Selon Mercer, la crise sanitaire a mis en évidence l’inadaptation d’un « régime universel » fondé uniquement sur la répartition (formule qui était envisagée en France juste avant la crise), déstabilisé dès que les entrées financières deviennent insuffisantes. Mais de leur côté les systèmes par capitalisation doivent être rendus plus résilients. Les problèmes de gestion liés à l’environnement économique de taux bas et de volatilité des marchés ne doivent pas être aggravés par des versements réduits ou des retraits intempestifs. Dans certains pays, comme l’Islande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, les États ont directement subventionné les cotisations patronales dans les plans d’épargne-retraite, allégeant ainsi temporairement la charge des employeurs. Du côté des ménages, l’OCDE suggère « la mise en place de dispositifs d’épargne longue associant un compte d’épargne destiné à la retraite et un autre destiné aux cas d’urgence », citant l’exemple de Singapour, qui abrite un système où les gens épargnent dans « trois comptes à des fins différentes, un pour les besoins de la retraite, un pour le logement et un pour les frais médicaux ». En fait ces formules sont déjà bien connues, en Europe de l’ouest notamment, où elles sont souvent assorties d’avantages fiscaux. Si l’on veut booster l’épargne de précaution sans toucher à l’épargne-retraite, la vraie question, non abordée par l’OCDE, est celle de savoir comment accroître le taux d’épargne global, très faible voire négatif dans certains pays pour des raisons structurelles.

Selon Mercer, une autre conséquence délétère de la crise sanitaire sera sans doute une aggravation de l’écart entre les niveaux de pension des hommes et des femmes. Une étude menée dans l’Union européenne avant la crise révélait qu’il était de quarante pour cent, au détriment des femmes, contre seize pour cent d’écart entre les salaires des actifs. L’auteur du rapport estime que cet écart devrait encore se creuser car les femmes représentent plus de la moitié de la main-d’œuvre de secteurs très affectés par la crise sanitaire comme l’hôtellerie, la restauration, le tourisme ou les activités culturelles.

Georges Canto
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