Films made in Luxembourg

« Finalement on ne contrôle rien ! »

d'Lëtzebuerger Land vom 18.12.2020

Les cinémas sont fermés, mais le cinéma luxembourgeois reste disponible en ligne. Parmi les propositions de la VOD grand-ducale, de nombreux court-métrages marquant les débuts des réalisateurs. Suite de ce retour en arrière avec 22:22 de Julien Becker

Un homme se réveille au bureau. Il est 22h22, il est seul dans son open-space impersonnel. Il prend sa veste, bien décidé à rentrer chez lui. Mais l’ascenseur ne semble pas fonctionner. Son étage est haut dans cette tour de bureaux, mais pas le choix, il décide de prendre les escaliers. Il descend un étage, puis un autre… mais quand il regarde en bas, les escaliers semblent infinis. Il veut alors retenter de prendre l’ascenseur. En rentrant dans le hall, il s’aperçoit qu’il est revenu au point de départ et se trouve toujours à son étage. Il retente alors le coup, en laissant sa mallette à l’accueil, redescend d’un étage… et retrouve ses affaires. Là, la musique entêtante qui rappelle un chronomètre prend tout son sens. L’homme semble pris au piège, dans son bureau, sans téléphone, sans internet et sans issue possible. Et il va vivre à plusieurs reprises cette même péripétie.

Une descente aux enfers ? Un burn-out absolu ? Un cauchemar ? Le purgatoire ? Est-il en train de voyager dans différents mondes parallèles ? À chacun de se faire son film. « Je ne voulais pas expliquer ou dire les choses clairement », explique le réalisateur, Julien Becker, qui signe là son premier court (suivra Article 19-42 en 2019). « C’est un film métaphorique, une allégorie de l’aliénation au travail, un exercice de style aussi, je voulais créer une ambiance grâce à une esthétique, un rythme », ajoute celui qu’on connaît également comme photographe. Pour lui le seul message est : « Finalement on ne contrôle rien ! »

Pour résumer, et sans avoir peur de la comparaison grandiloquente, on peut dire que ce court-métrage de vingt minutes marie, à sa manière, Groundhog Day pour l’histoire qui se répète et Gattaca pour son aspect hyper-esthétique, son ambiance et ses décors minimalistes. Hervé Sogne signe-là une de ses meilleures performances d’acteur et Julien Becker un premier film réussi, riche en détails, à l’image (Carlo Thiel) léchée, au son (Carlo Thoss) impeccable et aux décors (Christina Schaffer) irréprochables. Une belle réussite qui voudra à l’alors néophyte le Lëtzebuerger Filmpräis du meilleur court-métrage de fiction en 2014. Pas mal pour une première !

Comment est né 22:22 ?

Julien Becker : Tout ce que je fais est lié à la société de production que j’ai cofondée avec Gwenael François, SkillLab ; mais 22:22 précède même sa création. Tout est parti du fait que le soir, devant la télé, je bloquais souvent sur l’heure 22h22. J’ai donc voulu créer une histoire où quelque chose de bizarre se déroule à cette heure-là. L’idée était de faire un film entre copains, avec un seul personnage et dans un seul lieu. À l’époque, on ne savait même pas que le Film Fund existait, on n’avait donc pas d’argent pour le faire. Le scénario a un peu traîné, entre temps on a créé la société, commencé à comprendre comment fonctionnait la production au Luxembourg, et on a fini par proposer le projet au Film Fund qui nous a donné une petite aide pour retravailler le scénario qui, c’est vrai, n’était pas encore mature. Je l’ai retravaillé, reproposé et, là, il a été accepté.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce film ?

J’en suis toujours très fier. Pour un premier film, formellement, il tient vraiment la route, malgré certaines faiblesses dans le scénario. D’ailleurs, à chaque fois que j’ai montré le film, on m’a pris au sérieux.

Justement quel est l’apport de 22:22 à la suite de votre carrière ?

Dans le monde des techniciens, ça nous a identifiés comme des gars qui essayent de faire des trucs pas trop dégueu. Surtout après le Filmpräis. Même si aucun producteur ne m’a depuis contacté pour me proposer de faire un film. Ce qui est certain c’est qu’on a fait de beaux festivals, qu’on a fait de très belles rencontres et que ça nous a fait progresser. Mais comme on fait toujours de la pub, on a une évolution très lente. Depuis 2010, on n’a produit que trois court-métrages (22:22, Article 19-42 de Julien Becker et Lupus de Laurent Prim, ndlr) et on n’a tourné notre premier gros projet que cette année. C’est An 0, un docu-fiction de 90 minutes prévu le 11 mars en prime-time sur Arte. Le film met en scène un accident de catégorie 7 – autrement dit l’équivalent de Tchernobyl – à Cattenom, ce qui fait que le Luxembourg n’existe plus en tant que territoire et que sa population se retrouve dans des camps de réfugiés.

Pablo Chimienti
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