Livres scolaires

Liese, schreiwe, rechnen, rechnen, rechnen

d'Lëtzebuerger Land vom 28.08.2003

Un chiffre pour situer l'envergure du marché: chaque année, le Service central des imprimés de l'État (SCIE) gère à lui tout seul quelque 450000 livres pour la rentrée scolaire. La majorité de ces livres sont destinés à l'enseignement primaire, 386000 en 2002; 95 pour cent des livres et manuels qui y sont utilisés sont édités par le ministère de l'Éducation nationale, de la Formation professionnelle et des Sports (Menfps), les autres provenant d'éditeurs étrangers. Les livres utilisés dans l'enseignement primaire sont obligatoires, ce sont les communes qui les commandent et les payent en bloc pour leurs différentes écoles. L'année dernière, le SCIE livrait également 57000 livres pour l'enseignement post-primaire, d'une part des livres d'enseignants allant directement aux lycées, et de l'autre les manuels pour les élèves diffusés aux libraires qui les revendent.

«Le marché du livre scolaire est un marché très spécial, parce qu'il s'adresse à des gens qui ne choisissent pas d'acheter tel ou tel livre, mais qui sont obligés de le faire,» explique Fernand Ernster. L'entreprise familiale qu'il a reprise de son père vend des livres à trois points de vente, dont le plus important est celui de la capitale. Depuis quelques années, la librairie Ernster organise durant deux mois, de la mi-août à la mi-octobre, un véritable marché du livre scolaire dans une cour adjacente à la papeterie, pour ne pas encombrer le magasin principal ou gêner ses clients réguliers. Car une rentrée scolaire est comme un sprint pour une librairie, un effort court et intensif, qui demande beaucoup de main d'oeuvre à l'accueil et un calcul extrêmement serré pour qu'il reste rentable. Avec une marge minimale se situant entre quinze et 25 pour cent du prix de vente, 28 pour cent sur le prix brut des livres du SCIE, dix pour cent d'invendus suffisent pour que l'exercice ne vaille plus l'effort.

Et c'est là que le bât blessait cette année: afin de pouvoir planifier et calculer au plus près les commandes de livres pour la prochaine rentrée, les libraires ont demandé au Menfps de recevoir les listes des livres qui seront au programme pour le 1er mai de chaque année. Or, cette année, ces listes se sont faites attendre, provoquant l'ire des libraires, impatients de s'organiser et de commander les stocks pour la mi-août. Dans une lettre adressée le 2 juillet à la ministre, Anne Brasseur, le président de la Fédération des libraires et directeur de la librairie éponyme à Esch, Jean-Claude Diderich, demandait itérativement la mise à disposition de ces listes avant le 9 juillet. Ce fut fait de justesse. 

En réponse à une question parlementaire du député socialiste Mars di Bartolomeo y afférente, la ministre explique que «des problèmes au niveau du traitement informatique des données sont à l'origine du retard de la publication de la liste des manuels. En effet, plus de 5000 programmes scolaires sont à gérer et la seule liste des manuels compte à peu près 3000 entrées. Ces données sont saisies par les responsables des commissions nationales et validées par les collaborateurs de mon département. La mise en oeuvre de cette procédure causa plus de problèmes que prévu.» Le responsable du gâchis a pour nom Mendoc. Il s'agit d'un programme informatique élaboré pour le Menfps, qui doit permettre à chacun des responsables des commissions des programmes d'accéder directement en-ligne aux listes des livres proposés pour la prochaine année scolaire. Après deux années de mise en place, le programme fonctionna pour la première fois dans toute son envergure cette année, avec son lot de problèmes au réglage.

L'impatience des libraires est compréhensible, car en fin de compte, ce sont eux qui accueillent des clients insatisfaits de ne pas s'y retrouver, de ne pas savoir quoi acheter ou de devoir échanger un livre. Une des évolutions qui agacent le plus les libraires, c'est la multiplication de livres «au choix» sur les programmes. «Regardez par exemple le programme des classes de septième en allemand, lance Jean-Claude Diderich, il y a quatre livres de lecture allemande au choix, le classique Brunnen luxembourgeois et trois livres d'éditeurs allemands. Comment voulez-vous que nous, libraires, sachions quoi commander?» Car vues les marges réduites et la difficile gestion des stocks - coût de l'espace de stockage, risque que le livre ne soit plus au programme l'année suivante - les libraires doivent évaluer au plus près combien d'exemplaires ils vendront de chaque titre. Munis des listes du ministère et, dans le meilleur des cas, des statistiques prévisionnelles du Menfps sur les nombres d'élèves inscrits dans chaque classe l'année suivante, ils essaient de travailler «sur mesure». Or, si chaque enseignant peut choisir un livre parmi quatre possibles, le libraire ne peut plus oser prévoir, «dans ce cas, nous devons attendre que les enseignants se décident, il faudra alors que les élèves patientent un peu avant d'avoir leurs livres,» estime le président de la Fédération des libraires. 

Les libraires ont insisté auprès du Menfps qu'ils aimeraient voir cette évolution stoppée et avoir le moins de choix possibles. «C'est effectivement notre point de discussion principal, avoue Raymond Straus, un des fonctionnaires responsables du dossier au ministère. Mais il faut que les libraires comprennent que nous sommes à l'ère de l'autonomie pédagogique, que nous devons laisser un peu de latitude aux professeurs dans leurs choix.» Oui, mais, répondent les libraires, car c'est chez eux que les parents et les élèves se plaignent lorsqu'ils ne trouvent pas tout de suite leurs livres, ou s'ils en ont acheté l'un de la liste des choix et que l'enseignant finalement opte pour un autre.

Annick Ernster, qui organise ce marché spécifique dans la librairie, constate que les commissions des programmes changent de plus en plus rapidement les livres obligatoires: «Je crois qu'en moyenne, on pourrait dire que chaque classe a au moins un livre nouveau par an.» Une accélération que confirment, en amont, Pascal Pull et Viviane Lorang du Service central des imprimés de l'État. Après les adaptations des livres de mathématiques à l'euro et des livres d'allemand à la nouvelle orthographe, les livres de français et des matières complémentaires furent adaptés à l'air du temps, modernisés, imprimés en quadrichromie. Sur les 55 titres de l'enseignement secondaire qu'ils produisent cette année, quinze sont de nouvelles éditions; sur les 184 titres du primaire et du préscolaire, 27 furent nouvellement édités.

Le plus gros morceau pour eux étant cette année Mila, le nouveau manuel d'apprentissage de l'écriture et de lecture pour les premières classes du primaire, qui remplace le Simsalabim. Les premiers livres et leur matériel didactique d'accompagnement seront prêts pour cette rentrée, la suite étant produite au cours de l'année pour les prochains trimestres. «Comme les manuels deviennent de plus en plus complexes à produire, notre travail devient lui aussi plus difficile et plus lourd avec le temps,» constate Pascal Pull. Le SCIE attribue les contrats d'imprimerie par soumission, selon la loi des marchés publics; 90 pour cent des imprimés sont ainsi réalisés en sous-traitance par des imprimeries privées. Les autres livres, souvent à très petits tirages ou demandant une main d'oeuvre importante, peuvent être réalisés dans l'imprimerie du SCIE.

«Notre surface de stockage est assez limitée, nous devons nous aussi travailler sur mesure,» affirme Viviane Lorang, en charge de la distribution des livres scolaires. Après l'inventaire au mois de novembre, le SCIE est informé par le ministère au début de l'année quels livres restent sur les programmes et lesquels sont supprimés. Ces titres-là sont détruits, le SCIE reprend alors aussi les stocks des libraires. Les travaux d'impression ou de réimpression s'étendent alors de mars-avril à septembre, jusqu'à 10000 exemplaires par titre - des tirages que peu de Luxemburgensiae n'atteignent.

Le taux de renouvellement important des manuels au programme a rendu la tâche de planification plus ardue, aussi au SCIE, qui se base en règle générale sur son expérience des dernières années pour évaluer les nombres de livres à imprimer. Dans son service aux communes, au ministère, aux lycées et aux libraires, le SCIE se veut extrêmement flexible et livre chaque jour les commandes de la veille. Les libraires toutefois exigent encore plus de flexibilité, notamment dans le reprise des stocks; à moyen terme, ils aimeraient arriver à une sorte de dépôt, leur permettant de renvoyer les invendus à la fin de chaque rentrée afin de réduire leurs stocks internes à eux. Une telle formule toutefois n'est pas envisagée à l'heure actuelle.

Face à la marge de manoeuvre réduite de ce marché très réglementé, il y a eu comme un effet de concentration des librairies qui y participent, avec, comme poids lourd, le réseau des Librairies réunies du groupe saint-paul, qui dispose désormais de huit points de vente rachetés à travers tout le pays, un site Internet, un service d'envoi par courrier et surtout une campagne coup de poing - gratuite - dans tous les médias du groupe. Une visibilité qu'aucun indépendant ne pourrait se payer. Or, dans une interview au Luxemburger Wort (du 18 juillet 2003), même le directeur des Librairies réunies, Jean-Paul Ternes, malgré le fait que selon son estimation, chaque élève investit entre 200 et 400 euros en livres scolaires par rentrée, affirme que «das große Geschäft ist es nicht».

 

 

 

 

 

josée hansen
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