Restopolis, en passe de devenir une administration à part entière, lance un nouveau programme pour plus de durabilité dans les cantines scolaires. Les prestataires doivent s’adapter

Verdir le plateau

Le personnel est payé par Dussmann mais habillé aux couleurs de Restopolis
Photo: Anthony Dehez
d'Lëtzebuerger Land du 22.10.2021

Lasagne de quorn et légumes, bouchée à la reine, penne au potimarron et grillades de viandes avec frites et petits pois : les quatre assiettes sont presque vides. Mélissa, Vanessa, Cheryl et Léa, étudiantes de 17 et 18 ans, bavardent encore un peu avant de ranger leurs plateaux et de quitter la cantine au deuxième étage du Forum Geesseknäpchen. Les plats qu’elles ont choisis reflètent la diversité des propositions culinaires en ce mardi dans l’un des plus grands restaurants scolaires du pays (il dessert les quatre lycées du campus). Le site internet de Restopolis nous apprend que le lendemain, les pâtes seront au pesto, le wok au bœuf, le plat végétarien, un butternut aux graines de millet. La pizza Margherita est proposée tous les jours, comme le salad bar. « C’est vrai qu’on a un large choix et beaucoup d’options, surtout pour les élèves qui ne sont pas végétariens ou véganes. Là, les choix sont encore trop limités », tempère l’une d’elle qui prépare le plus souvent son déjeuner à la maison. « C’est plutôt bon, mais les pâtes sont molles et trop cuites », nuance une autre. Plus loin, Giorgio et Nicolas, treize et quatorze ans, estiment que « parfois, il n’y a pas assez dans les assiettes » tout en appréciant de « toujours trouver quelque chose qu’on aime ».

Comme eux, plus de 15 000 élèves, étudiants et personnels scolaires mangent chaque jour dans les 74 restaurants scolaires (lycées), sept restaurants universitaires et six restaurants de structures d’accueil de jour (les écoles primaires des écoles internationales publiques, Eis Schoul et les établissements spécialisés) que gère Restopolis, un service du ministère de l’Éducation nationale. À cela s’ajoutent 30 000 snacks et sandwiches dans le cafétérias des mêmes établissements. Difficile de mesurer la proportion des personnes qui ne mangent pas dans ces restaurants en raison de la disparité des profils et encore moins de comprendre les raisons d’un éventuel désamour. « Une fois par semaine, avec mes amis, nous mangeons à l’extérieur, pour changer de la cantine. On décide en fonction des menus », explique Sven, en route pour acheter un kebab non loin du campus. « On est en train de travailler à des statistiques pour comprendre et analyser les comportements de nos clients et surtout de ceux qui ne le sont pas », détaille Monique Ludovici qui dirige Restopolis depuis 2005. « On essaye d’adapter nos offres en permanence. » Cependant, le défi de Restopolis est plutôt inverse : satisfaire une demande croissante (passant de 813 000 repas annuels en 2015 à 2,7 millions en 2019) et faire en sorte qu’il y ait « plus de personnes qui mangent assis un repas chaud, équilibré et moins qui attrapent un sandwich vite fait », explique la directrice. « Les cafétérias nous sont demandées quand il n’y a pas assez de places, mais j’estime qu’il faut diminuer le snacking pour plus de repas sains. »

70 centimes pour une boîte à pizza Des repas sains, équilibrés, qui s’inscrivent dans une démarche de développement durable : cela fait des années que, progressivement, les ambitions de Restopolis apportent une réponse aux demandes des élèves et de leurs parents (qualité nutritionnelle des repas, changement des comportements alimentaires, respect des allergies) ainsi qu’aux injonctions politiques dictées par le gouvernement (agriculture biologique et locale, lutte contre le gaspillage, éducation à l’alimentation). Une augmentation continue des prescriptions et une évolution constante des attentes qui se lit dans les campagnes de communications successives : « semaine fair trade » en 2008, « fruit for school » et « produits sans OGM », en 2010, « produits de l’agriculture domestique », en 2014, « anti-gaspillage » dès 2016, « Rething your drinks » en 2017, « Bio & lokaal as ideal », il y a quelques mois. Ces principes et mesures, dont certains émanent des discussions avec les jeunes de Friday for Future, sont aujourd’hui concentrés et détaillés dans le plan Food 4 Future mis en place depuis la rentrée en septembre dernier, à grand renfort d’outils marketing divers (brochures, badges et affiches, pas forcément vertueux en termes écologiques).

Les six « Restogoals » (il faut toujours mettre de l’anglais dans la communication) veulent avoir un impact sur la consommation et la production alimentaires et, in fine, sur l’environnement : Plan d’action national « Pan-Bio2025 » (pour arriver à cinquante pour cent de produits locaux et quarante pour cent de bio), nouvelle offre de repas (plus de plats végétariens et véganes, abandon des produits non-durables), achats en circuits courts (collaboration avec les producteurs locaux), prévention des déchets (emballages réutilisable, facturation des produits à usage unique comme les boîtes à pizza, les couverts en bois ou les sachets, réduction des bouteilles PET), lutte contre le gaspillage alimentaire (promotion de la réservation des repas, réduction des portions, abandon des plats de présentation) et sensibilisation à l’alimentation durable (brochures, semaines thématiques, formation). Ces six domaines d’action qui font preuve d’une certaine créativité comme pour l’utilisation des fruits et légumes « moches » ou les projets de jardins éducatifs, voire d’audace. Ainsi, les « Veggie Mondays », un projet pilote où seuls des plats végétariens et véganes seront servis va être testé entre Toussaint et Carnaval dans plusieurs lycées. Mais, ces indications qui ne disent rien du goût, du plaisir de manger, et de la convivialité. C’est dommage pour ceux qui considèrent que manger, ce n’est pas seulement se nourrir, même si « on peut concilier approche durable et plaisir », comme le rappelait le ministre Claude Meisch (DP). « Personne n’est obligé de manger à la cantine, Restopolis se donc doit de satisfaire ses clients et de proposer des repas au goût des élèves et des enseignants. »

Cinq pour cent Les contraintes imposées aux prestataires qui fournissent les cantines ont été renforcées pour veiller au respect de ces exigences en matière de durabilité. Depuis une dizaine d’années, ils sont ainsi tenus de confectionner les repas sur place, d’utiliser des produits frais plutôt que du congelé ou du transformé et de mettre à disposition des cantines le personnel adéquat. Les « soumissions pour la fourniture de prestations de service pour la restauration scolaire » et les cahiers des charges sont ultra cadrés (on lit par exemple dans la description de l’offre fournie aux prestataires que le salad bar doit comprendre « trois vinaigrettes différentes », que du poisson doit être proposé deux fois tous les dix jours ou que les desserts doivent être faits maison). Les textes ne laissent que très peu de marge de manœuvre aux prestataires. « Ce ne sont pas des concessions. Les fournisseurs sont tenus à des consignes très précises et à des contrôles réguliers », rappelle Monique Ludovici. Ces soumissions, lancées pour des périodes de trois à cinq ans, sont examinées à l’aulne de multiples critères, « le prix n’est qu’une partie de la donne, nous n’allons pas forcément vers le moins disant, pour éviter le dumping et garantir la qualité. » Nombre et qualification du personnel requis, quantité et qualité des matières premières, considérations environnementales, certifications… sont ainsi pris en compte. La matière première (ou « engagé de marchandise » dans le jargon) représente entre 35 et quarante pour cent du prix du repas, les frais de personnel et de fonctionnement (matériel, locaux) comptent pour la même proportion. Le reste correspond aux frais de gestion et à la rémunération des prestataires : cinq à sept pour cent de marge est considéré comme la norme dans le secteur. Vu la complexité et le niveau d’exigence des dossiers, il n’est pas étonnant que seules deux entreprises privées (Dussmann Catering et Äre Restaurant) et une ASBL (pour les « internats Jacques Brocquart », liés à l’épiscopat) se partagent les 66 établissements en gestion concédée (ou « en régie privée »). Restent dix établissements « en régie directe », avec du personnel de l’État (soit 107 personnes en 2019 contre 433 pour la régie privée).

Pour s’assurer que les consignes soient respectées, des contrôles sont effectués régulièrement. Une « check-list » est validée chaque jour par le coordinateur de site et des inspecteurs vérifient (sans préavis) l’accueil, l’hygiène, la présentation des plats, les températures des frigos ou encore la présence des affiches informatives. Les livres comptes des prestataires sont également épluchés pour s’assurer qu’il n’y a pas de surfacturation ou de marges arrière sur la marchandise, une pratique régulièrement dénoncée chez nos voisins français. « Les élèves et leurs parents sont également invités à partager leurs expériences et leurs impressions. C’est particulièrement important en cette période, avec notre nouveau concept », s’engage la directrice qui sait que des ajustements seront nécessaires. « Les prestataires sont impliqués pour élever le niveau. Ils doivent sortir de leur zone de confort et faire des efforts de formation, de créativité et d’innovation pour suivre notre approche ». Elle se souvient que l’introduction d’une offre végétarienne quotidienne obligatoire (il y a quinze ans, alors que la France vient seulement d’imposer un plat végétarien une fois pas semaine !) avait été bataillée : « Ils n’avaient pas d’autres idées que de simplement retirer la viande ». Aujourd’hui, pour aller plus loin, des formations sont proposées pour travailler une cuisine végane. « Le personnel qui est en contact avec les élèves est un maillon essentiel, c’est lui qui délivre les messages de l’alimentation durable. Il y a encore un effort à faire de ce côté pour qu’ils accompagnent les enfants et expliquent les produits dans cette démarche globale. »

Administration Pour le prix, « un équilibre entre une tarification raisonnable pour les familles et la réponse aux attentes politiques dans le respect des contraintes budgétaires est recherché », souligne la directrice. Un menu complet (entrée, plat et dessert) est facturé 4,70 euros, mais beaucoup d’élèves se contentent d’un plat (3,70 euros). Au fil des années, le prix a peu varié (le menu était facturé 4,30 euros en 2012) alors que les exigences ont augmenté. « Le prix de revient est environ du double », nous informe la directrice en précisant que le personnel encadrant paye plus cher (8,70 euros le menu). La dotation financière de Restopolis a forcément été revue à la hausse d’année en année pour pallier ces écarts : de onze millions d’euros en 2012, elle est passée à quinze millions en 2021 et est projetée à vingt millions pour 2022, hors frais de personnel. De quoi couvrir aussi la promesse de repas gratuits aux enfants issus de familles à revenus faibles ou modestes lancée par Xavier Bettel dans son discours sur l’état de la Nation. Progressivement, Restopolis est ainsi devenu un service stratégique de l’éducation nationale. Son champ d’action, la diversité de ses missions et le budget engagé n’ont fait que s’étendre. Aussi, de service de l’État à gestion séparée, l’entité va devenir une administration propre (« Administration des cantines scolaires et universitaires »). Un projet de loi déposé en sens est en cours d’examen au Conseil d’État. Il ne devrait cependant pas réellement bouleverser la donne puisque le recours au secteur privé n’est pas remis en question et que les exigences resteront les mêmes.

Trop tard ?

« L’offre de restauration scolaire est au moins aussi large que celle dans les entreprises, le Luxembourg va beaucoup plus loin que d’autres pays », constate l’association nationale des diététiciens du Luxembourg (ANDL) consultée par le Land. Elle note la qualité nutritionnelle et diététique, la variété des goûts et le respect des régimes spécifiques, végétariens en particulier. Elle tempère cependant en pointant que « l’éducation nutritionnelle doit se faire bien en amont pour que les jeunes puissent faire des choix alimentaires variés et équilibrés et acquérir des compétences pour prendre en main leur propre santé ». Pas la peine de s’échiner à proposer des plats sains à la cantine si les adolescents sortent pour s’empiffrer de junk food.

Aussi, les diététiciens insistent sur l’importance des menus servis dans les crèches, les écoles et les maisons relais où les cahiers des charges sont généralement bien moins contraignants que dans les lycées et qui n’ont que rarement une cuisine sur place. L’association veut promouvoir des initiatives qui mettent en valeurs les produit bruts, qui font participer les enfants à la culture (potager) et à la cuisine, qui valorisent la diversité et la découverte des goûts, qui luttent contre la sédentarité. Mais aujourd’hui, les repas du cycle fondamental restent hors du champ de Restopolis et relèvent de la compétence des communes. « C’est un choix politique de ne pas englober les maisons relais, même si nous pouvons apporter notre expertise aux communes qui le demandent », note la directrice de Restopolis. Il y a encore de la marge d’amélioration donc. fc

France Clarinval
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